L’allée du Champ-de-Bataille, déjà privée de 138 hêtres, survivra-t-elle aux nouvelles menaces ?

L’allée du Champ de Bataille en octobre 2019. Image Google Street View

Au mois d’octobre 2020, la décision d’abattre la totalité des hêtres de l’Allée du Champ de Bataille, soit 167 arbres, est annoncée en pleine séance du conseil municipal.

La maire du Neubourg, Isabelle Vauquelin, justifie sa décision en considérant que la sécurité des promeneurs réclame ce traitement radical alors que, selon le diagnostic réalisé par l’ONF quelques semaines plus tôt (mai 2020), seuls trente d’entre eux doivent être abattus ; tous les autres méritant d’être épargnés à la faveur d’un entretien (élagage, taille de mise en sécurité etc.) malheureusement négligé depuis trop longtemps.

Fin avril début mai 2021, durant la fermeture de l’allée au public par la municipalité. © Collectif Champ de Bataille

L’opposition à cet abattage ne tarde pas à se manifester, notamment à l’initiative d’un étudiant résidant dans la commune dont la pétition lancée en ligne recueille rapidement un peu plus de 70 000 signatures. Confrontée à cette réaction et prise en défaut au niveau des formalités préalables qui auraient dû être remplies, la municipalité n’a d’autre choix que de différer l’exécution de son projet.

Quinze mois après sa première expertise l’ONF procède en août 2021 à un second diagnostic. Trente-six arbres doivent être abattus, soit six hêtres supplémentaires par rapport au précédent bilan. Mais la municipalité campe sur sa position : tout abattre..!

Bien décidés à préserver l’allée d’un "massacre à la tronçonneuse", tout en reconnaissant la nécessité d’éliminer les 36 arbres réputés morts ou très malades selon l’ONF, quelques habitants de la commune créent le collectif "Allée du Champ de Bataille" puis, en novembre 2021 l’association loi de 1901 "Pour le bien Hêtre d’une allée".

L’allée du Champ de Bataille lors de l’hiver 2017 © Collectif Champ de Bataille

L’Allée du Champ de Bataille, inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en 1995, se situe à l’intérieur du périmètre de protection des 500 mètres délimité par deux édifices eux-mêmes classés Monuments Historiques, à savoir le Vieux Château du Neubourg classé en 2020 et l’église du Neubourg classée en1938.

Qui plus est, un arrêté du préfet de la région Normandie, en date du 12 février 2021, a largement agrandi la zone protégée jusqu’au Château du Champ de Bataille (inscription Monument Historique en 1995 ) considérant que "l’allée cavalière du champ de Bataille doit demeurer un axe visuel rappelant le lien existant entre le Vieux Château...et le Château Neuf".

Le périmètre délimité des abords (rose) correspond à la servitude AC1 sur la commune du Neubourg.
Extrait de l’arrêté de la préfecture de la région Normandie du 12 février 2021.

À de multiples reprises, le collectif puis l’association ont alerté des élus du département, le préfet de l’Eure, le préfet de la région Normandie, la ministre de la transition écologique, la ministre de la culture et de nombreux organismes afin que la municipalité ne soit pas en mesure de mettre son projet à exécution.
Pour bénéficier de l’expertise d’une structure compétente et efficace, l’association est devenue membre de France Nature Environnement Normandie.

En dépit de l’implication dans ce dossier de FNE Normandie et de l’association Pour le Bien Hêtre d’une Allée, le 17 janvier 2022 la SARL Jean Fréon Élagage bien protégée (mais pourquoi donc ?) par un cordon de plusieurs dizaines de représentants des forces de l’ordre, abattait 138 hêtres sur les 167 que comptait l’allée jusqu’à ce jour. L’autorisation de cette opération ayant été délivrée par un arrêté du préfet de l’Eure daté du 14 janvier 2022, mais publié six heures après le début de l’abattage.

Au petit matin du 17 janvier 2022. Récupération du bois des 138 hêtres qui viennent d’être abattus.
© Collectif Champ de Bataille.
Janvier 2022. L’allée du Champ de Bataille après abattage. © Collectif Champ de Bataille

Par un jugement du 10 mars 2022, considérant que l’abattage aurait dû se limiter à une trentaine d’arbres, comme le préconisait l’ONF, le tribunal administratif de Rouen, saisi par FNE Normandie, annulait les deux arrêtés du 4 et 15 décembre 2020 officialisant la décision de la municipalité d’abattre la quasi-totalité des arbres de l’Allée du Champ de Bataille. Malheureusement le mal était fait

Bosquet conservé encore 5 ans pour tenter de préserver les espèces protégées recensées par la LPO.
Ces hêtres seront abattus en 2026. © Collectif Champ de Bataille.

La dégradation de ce site ne s’arrêtera pas là puisque le projet d’aménagement de l’allée porté par la maire du Neubourg comporte un second volet et non des moindres : la réalisation d’un parking à ciel ouvert d’une trentaine d’emplacements à l’entrée de l’allée où se dressaient une dizaine de hêtres.

15 juin 2022. Installation du panneau indiquant le permis d’aménager avec la volonté de réaliser un parking sur le site de l’Allée du Champ-de-Bataille. © Collectif Champ de Bataille.

Compte tenu du régime de protection que les Monuments Historiques confèrent à ce site, nous ne comprenons pas que la municipalité ait obtenu les autorisations requises, et notamment celle de l’ABF, pour construire ce qui sera immanquablement une véritable injure faite au patrimoine culturel et environnemental.

Bien entendu notre association Pour le Bien Hêtre d’une Allée est déterminée plus que jamais à faire en sorte que cette allée, déjà considérablement enlaidie par un abattage massif, ne soit pas totalement défigurée par une aire de stationnement incompatible avec le respect dû aux sites et édifices inscrits et classés au titre des Monuments historiques.

Notre combat contre la réalisation de ce parking ne connaîtra une issue favorable que s’il fédère toutes les bonnes volontés des opposants à la destruction systématique et parfaitement illégitime des sites qui appartiennent à notre culture et à notre histoire.

Y-M Peraldi, Président du Collectif Champ de Bataille
F. Brunet, Collectif Champ de Bataille