Prix "Second œuvre" 2023

La remise des prix aux cinq lauréats a eu lieu le samedi 4 novembre 2023
lors du Salon Interprofessionnel du Patrimoine Culturel
au Carrousel du Louvre à Paris.
Le prix "Second œuvre" 2023

 

La porte de la chapelle des Ursulines en 2021 avant sa restauration © Ville d’Angers
La porte restaurée a retrouvé son éclat © Ville d’Angers
Jury de l’édition 2023
Jean-François Lagneau, architecte en chef honoraire des monuments historiques,
Jean-Michel Gelly, administrateur de Maisons paysannes de France,
Michel Jantzen, architecte en chef honoraire des monuments historiques,
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments,
Arnaud Tiercelin, ingénieur du patrimoine

 

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Jean-François Lagneau
Architecte en chef honoraire des monuments historiques
Rapporteur du jury

 
Nous souhaitons par ce prix attirer l’attention sur les ouvrages de second œuvre trop souvent négligés, voire détruits car considérés comme superflus et simplement décoratifs. En effet, menuiseries, ferronneries, dallages, enduits décoratifs, peintures ne participent pas à la stabilité des constructions. Ils sont de ce fait les premières victimes d’opérations de réhabilitation, par ignorance, par souci d’économie ou par l’application mal comprise des exigences d’isolation. Pourtant, on oublie trop souvent qu’ils tiennent une place primordiale dans la qualité et le caractère d’un patrimoine bâti. Ce sont eux qui font vibrer nos bâtiments, qui leur apportent leur touche finale et qui mettent en valeur la technique et le savoir-faire de l’artisan façonnier.
Les deux lauréats de cette année, chacun dans leur contexte, en apportent la preuve et ont retenu l’attention du jury pour leur caractère exemplaire : une association ayant remis en valeur sur le long terme un édifice fin XIXe siècle, avec ses décors d’un style et d’une facture encore trop souvent si mal appréciés ; une commune ayant entrepris de restaurer un portail menuisé du XVIIe siècle devenu invisible dans son cadre urbain et permettant la requalification de l’édifice et de son environnement. Il s’agit de deux exemples de restauration avec une conservation optimale d’éléments anciens et la même volonté de faire revivre un patrimoine en retrouvant les techniques de sa réalisation, permettant ainsi sa transmission aux générations futures dans toute son intégrité.

 

La renaissance de la porte de la chapelle des Ursulines
Angers, (Maine-et-Loire)

 
Malgré ses dimensions imposantes et sa position « dominante » en haut d’un escalier de pierre, la porte d’accès à l’ancienne chapelle des Ursulines, rue des Ursules, dans le centre d’Angers, ne se remarquait pas. Il est vrai que cette porte du XVIIe siècle en bois sombre avait triste mine. La figure fleurie du tympan et ses angelots se distinguaient à peine, pas plus que les vantaux ornés de tables géométriques. Les peintures et vernis étaient en fin de vie et laissaient par endroits le bois à nu.

En juin 2021, la municipalité prend la décision de restaurer la porte, inscrite au titre des monuments historiques depuis 1935 – comme l’ensemble de la chapelle – pour lui redonner son éclat et la reconnaissance qu’elle mérite. Elle engage en décembre 2021 le processus de restauration, qui est confiée aux ateliers Perrault. Supervisé par l’architecte des bâtiments de France (ABF) et la mairie, le chantier va durer six mois. L’objectif fixé est de conserver au maximum les éléments existants et de ne remplacer que les bois trop détériorés pour être conservés et restaurés.

La porte est déposée pour restauration en atelier le 22 décembre 2021. Une étude stratigraphique de la peinture a été réalisée avant la dépose. Un constat d’état complet est effectué sur la porte en atelier. Une analyse de l’état sanitaire des éléments permet d’identifier les parties à restaurer ou à remplacer, avant validation avec le maître d’ouvrage et l’ABF des travaux à réaliser. Il y aura d’ailleurs des échanges et des allers-retours entre l’entreprise, la ville et l’ABF afin de sauver le plus de bois possible et de conserver la porte dans son état le plus authentique. L’ensemble des éléments sont démontés puis décapés. Les bois trop détériorés pour être conservés sont remplacés – moins de 30 % du total –, le ferrage et la quincaillerie sont révisés et resserrés, les éléments sculptés sont consolidés.

La porte ayant été sablée lors d’une précédente restauration, les traces de polychromie antérieure révélées par la stratigraphie n’ont pas été évidentes à interpréter. Par sororité avec d’autres portes du XVIIe siècle, la teinte « rouge Vauban » est choisie comme étant la plus probable lors d’un arbitrage collégial entre les services de la mairie et l’ABF. Une fois terminée la mise en peinture, la porte est reposée en mai 2022.

1. Un des angelots du tympan de la porte en cours de restauration © Ville d’Angers
2. Les éléments de la porte démontés en atelier © Ville d’Angers
3. Un premier vantail en cours de repose après sa resauration© Ville d’Angers

La porte et son décor ont retrouvé leur éclat et sont désormais à l’honneur rue des Ursules. La municipalité s’est maintenant donnée pour objectif de mieux la faire connaître des Angevins et de touristes. La porte est en tête d’une des fiches-conseils du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la ville comme un exemple de bonne pratique de restauration de menuiseries. La prochaine étape sera la mise à jour de l’histoire de la chapelle des Ursulines dans la brochure de l’office du tourisme de la ville. Enfin, une exposition devrait présenter en 2025 les restaurations passées, en cours et à venir des monuments historiques d’Angers. La porte des Ursulines y figurera en bonne place parmi d’autres restaurations ou de préservation d’éléments de second œuvre réalisées par la municipalité.

Maître d’ouvrage : ville d’Angers, propriétaire du site.
Maître d’œuvre : Ateliers Perrault (Saint-Laurent-de-la-Plaire, Maine-et-Loire).
Étude stratigraphique : Nacre Patrimoine (Basse-Goulaine, Loire-Atlantique)
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À l’origine, le bâtiment est l’église conventuelle des Ursulines, bâtie entre 1639 et 1645, au centre d’un couvent de grande taille. Lors du percement de la rue des Ursules après la Révolution, la majeure partie de la nef de l’église est détruite, ainsi qu’une partie des transepts. Différentes restaurations sont réalisées en 1894 puis en 1980. L’ancienne église, devenue une chapelle, est aujourd’hui une salle de concert et de réception ouverte aux Angevins. C’est une des dernières chapelles du XVIIesiècle à Angers.


 

La sauvegarde du décor du chœur de l’église Notre-Dame
Gensac (Gironde)

 
Sauver les peintures du chœur de leur église communale, Notre-Dame de Gensac, tel est l’objectif que se donnent les six premiers membres de l’Association de sauvegarde du patrimoine culturel et cultuel de la vallée de la Durèze lorsqu’ils la fondent en 2016. Un projet ambitieux pour une jeune association, dont les seules ressources sont le dynamisme et la motivation de ses membres. Sept ans après, les résultats sont au rendez-vous. La majeure partie des peintures sont restaurées. Le dossier déposé par l’association a convaincu le jury de l’édition 2023 du prix Second œuvre.

Le chœur de Notre-Dame de Gensac après restauration © Atelier Les Faures / Christophe Damiano

L’église Notre-Dame de Gensac, commune de huit cents habitants à mi-chemin entre Castillon-la-Bataille et Sainte-Foy-la-Grande, a été détruite pendant les guerres de Religion, restaurée au XVIIIe siècle puis définitivement reconstruite en 1873 dans le style néogothique, à l’emplacement de l’église romane d’origine. Son chœur est décoré en 1897 de scènes bibliques par le peintre bordelais Léon Millet (1851-1929), créateur de nombreux décors d’édifices religieux de Gironde. Peintes à l’huile sur un mortier de chaux, elles s’étaient fortement dégradées au fil des années. L’humidité et les remontées salines causées par les infiltrations d’eau de pluie avaient fragilisé l’adhérence des peintures à leur support. Il y avait urgence, en particulier pour le mur sud, le plus dégradé. Sans une intervention rapide, une partie du décor risquait de disparaître, et avec lui une des figures bibliques, celle de Daniel et le lion.

Emmenés par leur présidente, les membres de l’association se mobilisent pour sauver « leurs » peintures, non protégées au titre des monuments historiques. Ils s’attellent d’abord à la préparation d’un programme de travail et du budget nécessaire pour les quelque 200 m2 de peintures du chœur. Les ressources financières étant limitées, il est décidé de procéder par étapes, en « découpant » les murs du chœur en trois parties – basse, médiane et haute – et en échelonnant les travaux dans le temps : sept tranches sont définies et seront réalisées par ordre de priorité, en fonction du degré d’altération des peintures… et des fonds réunis.

En parallèle, l’association doit faire connaître son projet pour commencer à réunir des fonds, asseoir sa crédibilité et montrer sa capacité de mobilisation. À partir de 2017, elle organise tombolas, brocantes, repas et concerts. En 2019, grâce à un collectionneur de Gensac, elle propose dans l’église une première exposition de crèches, qui rencontre un franc succès. D’autres expositions suivront, couplées à des ventes d’objet d’artisanat qui attirent de nombreux visiteurs dans l’église : crèches encore, cartes postales puis dessins d’enfants « dessiner mon village » en 2023. Un livre sur l’histoire de l’église est publié sur souscription en 2023 par un de ses adhérents. Enfin, elle organise des visites de l’église et des travaux de restauration pendant les Journées du patrimoine. Il va sans dire que tous les fonds récoltés grâce à ces multiples activités sont affectés depuis 2017 à la restauration du décor du chœur.

En haut : La frise aujourd’hui. En bas : La partie inférieure de la frise médiane avant restauration
© Atelier Les Faures / Christophe Damiano

En 2019, la municipalité engage les travaux de réfection de la toiture et d’étanchéité de la façade, indispensables pour assainir les murs avant la restauration du décor. L’association apporte une première contribution financière pour ces travaux. En 2020, celle-ci lance en tant que maître d’ouvrage les deux premières tranches de restauration pour le mur sud du chœur. Elle peut financer les travaux avec les produits de ses activités et surtout grâce à la générosité des deux mécènes du département – un supermarché et une banque – qui ont répondu à son appel. Le restaurateur sélectionné, Christophe Damiano, commence la restauration des peintures dans les règles de l’art : enlèvement des sels en surface, consolidation et refixage de la couche picturale, gommage, colmatage et réintégration picturale des parties manquantes.

La crise sanitaire entraîne une pause dans le programme de restauration. En 2022, la mairie prend la maîtrise d’ouvrage et engage trois autres tranches de travaux (partie basse du mur est, parties médianes des murs est et nord). L’association, qui a repris toutes ses activités au bénéfice du projet, peut financer la quasi-totalité du programme de l’année. À la fin de l’année, les deux peintures du chœur ont retrouvé la luminosité perdue avec les années, tout comme les figures de David et de Moïse dans le contre-chœur. Le décor au pochoir de la partie basse des murs arbore ses couleurs vives d’origine et la frise endommagée par des pitons plantés dans le passé pour accrocher des tentures est reconstituée.

Forte des travaux réalisés, la municipalité obtient la même année une subvention du département qui va permettre d’engager les deux dernières tranches de travaux initialement prévues et d’y intégrer le décor de la voûte et des colonnes de l’arc triomphal, concluant ainsi le programme de restauration lancé en 2016. L’association compte bien aller au bout du projet et le soutenir financièrement dans la mesure de ses possibilités. Elle aura alors atteint son objectif, partagé au fil des années avec la municipalité : sauvegarder le décor intérieur de ce patrimoine communal « culturel et cultuel » afin que celui-ci continue à être un lieu de vie au cœur du village. Après l’église de Gensac, elle a déjà en tête d’autres patrimoines en attente de restauration…

Maîtres d’ouvrage : Association de sauvegarde du patrimoine culturel et cultuel de la vallée de la Durèze (ASPCCVD) puis municipalité de Gensac (Gironde).
Restauration des peintures : Christophe Damiano, atelier Les Faures, Civrac-de-Blaye (Gironde)
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Deux figures bibliques du contre-chœur après restauration © Mairie de Gensac

 

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