Prix "Allées d’arbres" 2019

Jury de l’édition 2019 :
Alice Brauns, Association des Paysagistes-Conseils de l’État ;
Yaël Haddad, journaliste de la presse professionnelle du paysage ;
David Happe, Expert arboriste indépendant, ingénieur en écologie ;
Jean-Michel Gelly, Maisons paysannes de France ;
Chantal Pradines, expert indépendante ;
Jean-Pierre Thibault, Conseil général de l’environnement et du développement durable ;
Michel Widehem, Groupement des experts conseils en arboriculture ornementale.
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Le prix « Allées d’arbres »  :
De nouveaux acteurs engagés pour préserver les allées

 

Chantal Pradines
Cabinet All(i)ée - Déléguée générale de l’association « Allées-Avenue » / allées d’avenir
Rapporteur du jury

Avec sa 4ème édition et ses 76 dossiers déjà examinés depuis sa création, le « Prix des allées » a clairement trouvé sa place dans le paysage. C’est qu’il intéresse bien du monde, avec sa particularité d’inviter à concourir côte-à-côte personnes privées, structures publiques quelle que soit leur taille, professionnels, voire simples amoureux des allées. Cinq associations ou groupements de citoyens, quatre communes, trois conseils départementaux, deux propriétaires particuliers ont ainsi déjà été primés, auxquels viennent s’ajouter cette année une commune de 800 habitants, Anglards-de-Salers, dans le Cantal, et, pour la première fois, une architecte-paysagiste, Frédérique Tézenas du Montcel ainsi qu’un Parc naturel régional, celui du Marais poitevin. Nous vous les présentons ci-après. Au cloisonnement, nous préférons résolument la fécondité des contacts et du partage des bonnes pratiques entre tous les lauréats, quels que soient leurs moyens. Ceci a une conséquence logique : il n’y a pas non plus de hiérarchie entre eux…
Les compétences variées - environnementales, paysagères, culturelles - des membres du jury ont permis une évaluation multi-critères pour identifier des acteurs solidement engagés pour la préservation des allées d’arbres et inscrits dans une dynamique qui pourra en inspirer d’autres. Le rapport « Infrastructures routières : les allées d’arbres dans le paysage » publié par le Conseil de l’Europe insiste justement sur l’importance de s’intéresser conjointement à tout ce qui fait l’intérêt des allées, c’est-à-dire leur dimension historique, leur apport paysager, leur atout en matière d’environnement. Cette même exigence se retrouve dans l’article L350-3 du Code de l’environnement qui protège les allées d’arbres depuis 2016 en France.
La Journée européenne des allées, le 20 octobre (qui coïncide avec la Journée internationale du paysage du Conseil de l’Europe) est l’occasion de lancer l’édition 2020 du prix. Le règlement est en ligne sur www.sppef.org. La date limite de réception des dossiers est fixée au 31 mars 2020.

Commune d’Anglards-de-Salers (Cantal) :
gestion d’une allée vieillissante
(voie communale - 200 m - 23 marronniers)

La commune d’Anglards-de-Salers, 800 habitants, dans le Cantal, compte parmi les « plus beaux villages de France ». Campée dans un paysage de prairies et de forêt, elle peut s’enorgueillir d’un riche patrimoine culturel, comme l’église St-Thyrse (XIIe) ou le château de la Trémolière (XVe), et bien sûr, l’allée de 200 m de long, bordée de 23 marronniers, par laquelle on accède au bourg depuis Salers.

Quelle que soit la saison, l’allée forme un écrin charmant à l’entrée du bourg © Commune d’Anglards de Salers

En dépit de sa modestie, cette allée a aujourd’hui un caractère monumental, formant un véritable tunnel dont l’effet est assuré par toutes saisons, en feuilles comme sous la neige, réduit à la simple expression de ses branches. Clairement, il n’en serait pas de même si les arbres avaient subi des tailles mutilantes. Le jury a bien évidemment apprécié la qualité esthétique de cette entrée de bourg, mais surtout le respect des arbres : les mauvaises tailles, qui amputent les arbres de branches de trop grosses sections sont pauvres à l’œil - la masse de feuilles fait illusion en été sans toutefois permettre l’effet de tunnel, tandis que l’hiver dévoile un mauvais profil de « goupillons » - ; surtout, de telles tailles fragilisent les arbres et nuisent à leur durabilité, tout le contraire de ce qu’il est recommandé de faire lorsqu’on souhaite préserver son patrimoine pour les générations à venir.

Ne dit-on pas que la qualité d’un lieu dévoile l’attention qui lui est portée par ses gestionnaires ? C’est bien le cas ici, avec une commune qui reconnaît dans ces plantations une image de marque de son territoire, favorable à l’économie touristique, et qui en assume la gestion, bien qu’il s’agisse d’une route (RD 22) relevant du conseil départemental. Partant d’un problème de chute de branches en octobre 2018, lorsque la neige s’est amassée sur les marronniers encore en feuilles, la commune a engagé une démarche dont la pertinence est évidente : commencer, avant toute chose, par un diagnostic des arbres ; puis, dans un second temps, selon les besoins, procéder à la mise en sécurité de l’allée dans des conditions raisonnées ; surtout, élargir la réflexion et se poser la question de l’avenir et du renouvellement de cette structure paysagère car, plantés au début du XXe siècle, certains des marronniers de l’allée accusent leur âge. Court terme, moyen terme, long terme : tout y est.

Reste maintenant à la commune à se rapprocher d’un expert en arboriculture ornementale pour établir le diagnostic, définir le cahier des charges pour les travaux et effectuer le suivi de leur réalisation. Ce faisant, les cavités et caries de branches de tels vieux arbres constituant des micro-habitats pour les oiseaux, les chauves-souris et les insectes, il conviendra d’en tenir compte. Nul doute que toutes ces actions constitueront autant d’occasions de sensibiliser jeunes et moins jeunes à la valeur de ce patrimoine. Et peut-être - nous l’espérons - le Conseil départemental s’engagera-t-il à son tour pour valoriser les allées à l’échelle du département dans son ensemble, voire replanter sur d’autres axes de la région !

Frédérique Tézenas du Montcel, paysagiste concepteur
restauration et plan de gestion de l’allée du château de la Serraz (Savoie)
(chemin privé - 676 m - allée double de 142 arbres,
principalement châtaigniers, marronniers, tilleuls)
Avenue d’arrivée au château de La Serraz. Au premier plan, les jeunes plantations de zelcovas. © FTDM

Le château de La Serraz, propriété de la famille des Salteur de La Serraz depuis 1755, est adossé au Mont du Chat, d’où il domine la vallée qui s’ouvre au sud du lac du Bourget. On l’atteint, depuis le pont surplombant le torrent du Varon, en empruntant une allée double d’environ 700 m de long, Une telle allée, qui mène à l’entrée du domaine ou de la demeure est désignée par le terme « avenue », employé en ce sens en 1615 par Claude Mollet, ou en 1654, en anglais, par John Evelyn. Elle sert évidemment à faire impression sur le visiteur !

L’allée mêle aujourd’hui 142 arbres de 9 essences différentes, principalement châtaigniers, marronniers et tilleuls, mais aussi érables sycomores, pins, peupliers, frênes, platanes et magnolias. Si quelques châtaigniers pourraient dater du XVIIIe siècle (le plus gros mesure 165 cm de diamètre), les autres arbres ont probablement été plantés vers 1840. Cette mixité des essences, tout comme le mélange des âges attesté déjà en 1875, sont inhabituels dans le contexte d’un château où les codes privilégiaient la régularité et l’uniformité. Il est donc intéressant de constater comment, finalement, au fil des replantations passées, on s’est écarté ici du formalisme d’alignements homogènes sans que l’aspect paysager en ait pâti pour autant.

Malheureusement, les marronniers, fortement dépérissants avaient conduit à l’abattage des 120 premiers mètres de l’allée. Pour replanter le tronçon manquant, le propriétaire actuel, Hervé de Lacotte, fit appel à Frédérique Tézenas du Montcel, paysagiste-concepteur, gérante de Jardin-Patrimoine et spécialiste des jardins historiques. Pour les simples amoureux que nous sommes généralement, avoir une vision d’ensemble ne va pas de soi. Heureusement, c’est le propre des spécialistes d’un sujet de voir ce qui nous échappe et d’être en capacité d’analyser et de penser les situations et leur évolution dans leur globalité. Pour cette paysagiste du patrimoine, il est aussitôt apparu qu’on ne pouvait renouveler le tronçon d’allée abattu sans s’interroger sur l’état sanitaire et mécanique des arbres restants et sur les modalités de leur renouvellement, dans un avenir proche ou plus éloigné. L’objectif est de pouvoir, dans un très long terme se mesurant en siècles, donner à lire une structure paysagère parvenue jusqu’à nous après justement des siècles d’existence - l’allée figurait déjà sur la mappe sarde de 1730 [1].

Rien ne manque dans la démarche engagée : prise en compte d’ensemble du paysage - l’allée est visible depuis la vallée -, intégration de la dimension historique, intervention d’un géomètre, appui d’un professionnel de l’arbre. Suite au diagnostic sanitaire et mécanique réalisé, et compte tenu que l’alignement est très lisible en dépit du nombre important d’arbres manquants, il a été convenu d’abattre uniquement les arbres dangereux et de replanter dans les dents creuses là où l’espace et l’éclairement permettent de garantir un bon développement des jeunes arbres. Ce renouvellement échelonné, sans rechercher un formalisme absolu, est inhabituel pour des allées liées à des châteaux et s’inscrit ici dans la suite des pratiques antérieures. On évite ainsi une rupture dans la continuité des fonctions écologiques de l’allée comme dans l’image du paysage. Dans ce même esprit, il aurait pu être justifié, ici, de planter des arbres d’essences différentes pour le premier tronçon - ce qui peut présenter un avantage en cas d’attaque de parasites -, mais, sur l’avis de la DRAC, ces 120 m premiers mètres, renouvelés en bloc, sont replantés uniquement de zelkovas.


Le Zelkova

Proche cousin botanique des micocouliers et des ormes (famille des Ulmacées), le genre Zelkova comprend six espèces arborescentes, originaires d’Asie et d’Europe. Toutes ces espèces sont menacées dans leur aire naturelle de répartition (source UICN). Zelkova sicula, dont on dénombre moins de 2000 individus à l’état spontané en Sicile, est en danger critique d’extinction et figure parmi les espèces d’arbres les plus menacées du Vieux Continent.

Dans les parcs d’Europe occidentale, l’orme de Sibérie (Zelkova crenata) est incontestablement l’espèce qui a été la plus communément plantée. Originaire de la région du Caucase et d’Iran, les premiers spécimens furent importés en France par le célèbre botaniste et explorateur André Michaux en 1782. Si la France et l’Espagne comptent parmi les pays abritant les plus grands sujets (un sujet de plus de 33 mètres de hauteur a été inventorié dans le parc du château d’Escos – Pyrénées atlantiques – en 2018), deux parcs du sud de l’Angleterre accueillent des ormes de Sibérie monumentaux atteignant plus de sept mètres de circonférence.

Introduit plus tardivement en Europe (1830), le zelkova du Japon (Zelkova serrata) est originaire du Japon, de Corée et de Chine. En Corée, les vieux Zelkova serrata - âgés de plus de cinq siècles – comptent parmi les arbres les plus anciens du pays. Introduit dans de nombreux parcs et jardins d’Europe occidentale, Zelkova serrata peut atteindre des dimensions tout à fait respectables à l’image de ce vieux sujet planté dans la cour d’une école de la ville de Banska Stiavnica en Slovaquie, qui atteint plus de 4,50 mètres de diamètre.

Plus résistants que les ormes à la graphiose et réputées assez rustiques, les espèces de Zelkova présentent un intérêt indéniable en arboriculture urbaine. Leur feuillage est à la fois esthétique et particulièrement intéressant pour ombrager les espaces urbains en période de forte chaleur.

Au château de la Serraz, le choix de cette essence a été dicté par l’aspect esthétique, par son adaptation au sol et à l’évolution du climat. Par ailleurs, bien que le paysagiste français Edouard André ait préconisé son usage en alignement, il reste peu utilisé à cet effet.
David HAPPE
Expert arboriste & ingénieur écologue


Parc naturel régional du Marais poitevin
(Charente-Maritime, Deux-Sèvres, Vendée) :
Prospective et plan d’action pour le maintien à long terme d’un paysage d’allées
(ensemble de canaux - 2 100 km - 400 000 frênes, doublés de peupliers
Une vision fascinante des allées du Marais poitevin qui n’existerait pas sans
sans l’action de l’homme dans le temps long © Pascal Baudry pour Sud Vendée Tourisme

Le Marais mouillé, qui couvre 18 600 ha et constitue la partie inondable du Marais poitevin, est sillonné de canaux bordés d’alignements de frênes têtards plantés à intervalles réguliers, doublés de peupliers. Ce territoire situé sous le niveau de la mer, est façonné par l’Homme depuis le XIIe siècle, mais les plantations qui en font aujourd’hui la renommée ont été établies au XIXe siècle.

Depuis 2003, le Marais mouillé poitevin est classé au titre des monuments et sites naturels pour sa trame d’allées, une trame hydrographique accompagnée de sa trame arborée. Depuis 2010, ce paysage exceptionnel de « Venise verte » a également été labellisé Grand Site de France. C’est aussi une Zone Natura 2000. Enfin, les frênes, au nombre impressionnant de 400 000, sont protégés dans les Deux-Sèvres depuis 2013 par un Arrêté de protection de biotope pris, malheureusement, à la suite d’abattages inconsidérés.

Ces frênes, âgés pour la plupart entre 75 et 175 ans, sont menacés par le vieillissement, le recul des berges et une maladie cryptogamique, la chalarose, qui s’étend ces dernières années depuis le nord-est de la France. Si des frênes résistent bien dans certains milieux ouverts et peu humides, la présence de l’eau crée ici une ambiance favorable au développement du champignon. Comme en Suède où la graphiose de l’orme a déclenché un mouvement pour la protection des allées routières dans les années 1990, le risque de voir disparaître les frênes a suscité ici une prise de conscience qui a permis d’engager rapidement un plan d’action assez exceptionnel. Voulait-on, en effet, voir disparaître ces paysages emblématiques, leur beauté troublante, cette mémoire humaine, cet héritage social, culturel et économique lié à l’exploitation des arbres-têtards, enfin la richesse biologique de cette zone Natura 2000 ?

Le jury ne pouvait qu’être séduit par la démarche d’anticipation à très long terme engagée par le Parc naturel régional. Celui-ci se projette en effet à une échelle de temps similaire à la durée d’existence actuelle de ce bien commun, soit plus de 150 ans, qui plus est à une échelle géographique considérable ! C’est bien ce temps long et cette étendue géographique large qui siéent aux paysages culturels parvenus jusqu’à nous pour nous charmer, nous émouvoir, donner du sens. Et le jury a apprécié l’approche adoptée, dans laquelle anticiper le dépérissement ne signifie pas le devancer par des abattages indus, pas plus qu’assurer une meilleure résilience des paysages et des écosystèmes ne signifie opter pour une diversité des essences pied à pied. Au contraire, l’accent est mis sur le maintien des frênes têtards existants tandis que la diversité des essences d’arbres est assurée à l’échelle du territoire. L’homogénéité des essences reste la règle pour chaque alignement d’une même berge. La mise en place d’une filière « végétal local » est un gage supplémentaire de robustesse des nouvelles plantations, en même temps qu’un encouragement à des activités économiques locales.

Les élèves des écoles à pied d’œuvre pour créer les paysages qui raviront à leur tour
leurs arrière-petits-enfants © Parc Naturel Régional du Marais Poitevin

Le programme « Plantons les arbres têtards de demain » a déjà permis de planter plus de 3 000 arbres (18 km) depuis 2016. 1 800 arbres (10 km) devraient être plantés cette année, l’objectif étant de parvenir à 2 500 arbres par an en régime de croisière. Les propriétaires étant à 95 % privés, le Parc naturel régional prend en charge la totalité des démarches, il organise et finance l’ensemble de la plantation (fourniture des plants, protections et paillages, plantation par des chantiers d’insertion, entretien la première année, suivi des plantations). Les propriétaires, incités à participer à un stage gratuit sur la taille de leurs futurs arbres têtards, s’engagent pour leur part à entretenir ce patrimoine arboré sur le long terme. Mais, planter ne suffit pas à garantir la réussite de cette vaste entreprise de recréation d’un « grand » paysage pérenne : le Parc naturel régional a, notamment, travaillé sur les questions de valorisation économique (filière bois de chauffage et tourisme), de communication (diversifiée selon les publics concernés), de documentation de l’évolution du paysage (par un observatoire photographique), de sensibilisation et d’incitation (avec l’utilisation d’images prospectives à 10 et 20 ans, l’accompagnement financier et technique des propriétaires, l’implication des enfants dans les plantations).

Lorsqu’on voit la liste et la diversité des acteurs mobilisés pour ce projet (Etat, partenaires institutionnels, collectivités, agriculteurs, propriétaires privés, acteurs touristiques…), on mesure le tour de force. Sans doute est-ce là une belle démonstration de l’intérêt concret des protections institutionnelles et des labels : tout le travail antérieur d’analyse des enjeux paysagers et environnementaux permet d’identifier les menaces dès qu’elles se profilent et d’être prêts à anticiper les dégradations du patrimoine, tandis que l’habitude de mettre autour d’une même table des acteurs nombreux et variés permet d’être opérationnel en un temps record.

Allée de saules têtards en Belgique © Jean-Claude KIRPACH

Les arbres têtards

Les arbres têtards, ou trognes, sont des arbres « paysans » : on coupait régulièrement leur ramure, la récolte de feuilles servant pour nourrir le bétail ou les vers à soie, celle du bois pour le chauffage, la confection de piquets ou de manches d’outils, la vannerie etc. L’étêtage initial du tronc se faisait généralement à 2 ou 3 mètres de haut : les jeunes pousses se formant ensuite sur les « têtes » au fil des ans étaient ainsi hors de portée des animaux qui pâturaient au-dessous. Dans le Marais poitevin, les têtes étaient positionnées généralement vers 2 mètres de haut, sauf s’il s’agissait de produire du bois de chauffage de manière intensive, auquel cas ils étaient exploités à 50 centimètres ou 1 mètre au-dessus du sol (dispositif dit de « terrée »).

La formation des arbres têtards commence dès que le diamètre du jeune tronc atteint 5 à 10 cm. La récolte des branches se fait alors tous les 3 à 4 ans, puis est plus espacée - tous les 9 à 15 ans dans le Marais poitevin. Les bois taillés ont toujours un diamètre faible, de l’ordre de la dizaine de centimètres maximum. Ces arbres doivent leur forme particulière aux recouvrements successifs des plaies de tailles, qui s’accumulent toujours au même niveau. Cette « tête » contient alors les réserves nutritives de l’arbre. Ce régime de tailles, avec des cicatrisations plus ou moins longues, la production d’un nombre important de nouvelles branches, et l’accumulation de feuilles mortes, fait que les arbres se carient et se creusent. Avec le bois décomposé en terreau, ils deviennent des abris précieux pour de nombreuses espèces animales. Leur longévité est grande, sous réserve que l’on poursuive leur entretien sur le même mode. Si l’on néglige les tailles régulières, les branches nombreuses grossissent de la même manière, finissant par représenter un trop grand poids pour le tronc : l’arbre risque de s’ouvrir en deux, ou d’être déraciné en cas de tempête lorsque le houppier, devenu trop volumineux, offre alors une résistance excessive au vent.

L’étêtage d’un arbre adulte, auparavant mené en port libre ou semi-libre, ne forme pas une trogne. Il crée une plaie de gros diamètre, lente et difficile à recouvrir, qui condamne le plus souvent l’arbre à court ou moyen terme. L’étêtage d’un arbre adulte peut être considéré comme une grave erreur de gestion. Dans le Marais poitevin, la coupe des « têtes », c’est-à-dire l’étêtage au niveau du tronc, est d’ailleurs globalement proscrite en raison du classement en site protégé.

Et les allées d’arbres têtards ? Elles ont existé là où cette économie paysanne était nécessaire. L’allée de mûriers pour laquelle la commune de Beaurecueil (Bouches-du-Rhône) a été primée en 2016 en est un exemple. On trouve aussi, par exemple, des allées de saules têtards en Suède, en Allemagne, en Belgique etc. Dans le Marais poitevin, les nouvelles essences retenues pour leur capacité à être conduites en têtards ont aussi été sélectionnées pour leur caractère local et pour leur capacité calorifique et de maintien des berges : chêne pédonculé, peuplier noir, orme champêtre (variété résistante à la graphiose), saule blanc, charme commun et érable champêtre.
David HAPPE
Expert arboriste & ingénieur écologue

Imprimer l’article de la revue Sites & Monuments n° 226-2019

Notes

[1Cadastre établi entre 1728 et 1738 par le royaume de Piémont-Sardaigne.