Le temple de Metz-Queuleu menacé de disparition

Temple protestant Metz-Queuleu. Image Wikimedia Commons.

L’emprise du protestantisme à Metz remonte au XVIe siècle, et le Luthéranisme s’est trouvé renforcé avec l’annexion allemande (1871-1918). Cette emprise se constate encore par la présence de temples néo-gothiques ou néo-romans, dont la plupart du plus haut intérêt et de grande beauté.

La pratique chrétienne en général recule et ces édifices construits avec bien de l’énergie et des dons privés, sont actuellement désertés, leur avenir semble plus qu’incertain. Une menace précise touche actuellement le temple calviniste (réformé) de Metz-Queuleu construit au début du siècle précédent sur une colline dominant la vieille ville.

Il se trouve que le consistoire de l’Église réformée d’Alsace-Lorraine (réunion des deux confessions) a décidé de le vendre à un promoteur pour le faire démolir et construire à sa place un petit ensemble de logements, ce qui affecterait également l’écrin arboré qui l’enserre.

Fort heureusement, le projet suscite localement une levée de boucliers, une Association de Sauvegarde du Temple de Metz Queuleu ayant même été créée pour éviter l’irréparable.

En tant que délégué régional de Sites & Monuments, j’ai été invité à une réunion de discussions et de possible conciliation organisée par Renaissance du Vieux Metz sur le sujet. Le responsable du consistoire, préférant sacrifier « les pierres mortes et s’occuper de l’évangélisation des pierres vivantes (sic) » est resté ferme et peu enclin aux concessions (demande d’inscription de l’édifice ; alternative à la démolition...)

La municipalité, pour sa part, reste dans l’ombre. L’intérêt de ce temple, témoin de l’extension et de l’embellissement de la ville (la gare de Metz est tout-à-fait contemporaine du temple) à l’époque wilhelminienne, est pourtant fermement établi.

Portail du temple Metz-Queuleu. © Association Temple Metz Queuleu.

Tout a en effet été dit sur l’intérêt, sur l’histoire, sur la beauté de cet édifice. Pierre Bronn, Christiane Pignon-Feller, Mireille Bénédicte Bouvet, René Klein et bien d’autres ont ainsi prêté leur plume et même, pour certains, donné de leur personne pour que survive un témoin, à la fois insolite et classique, du passé religieux messin.

À deux pas de l’église catholique de Queuleu, ce temple inauguré la même année que le temple neuf (1904), bâti en pierres roses et jaunes, apparaît, dans son ilot de verdure, d’où émerge son fier clocher, comme un phare.

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L’architecte, Ludwig Lévy, a résolument adopté un style roman-rhénan. S’il n’y avait pas le temple neuf comme deuxième exemple de ce style à Metz (mais Lévy n’en fut pas l’architecte), on pourrait parler d’un style rarement agréé par les maîtres d’ouvrage de la communauté réformée. Le néogothique était souvent préféré (Courcelles-Chaussy, Montigny) tant en Lorraine qu’ailleurs. C’était une question de clarté, car les fenêtres ne sont pas grandes dans notre temple. Lévy a cependant compensé cet inconvénient par d’imposantes rosaces.

© Association Temple Metz-Queuleu.

L’architecte était juif et a fait les plans de nombreuses synagogues dans les territoires annexés, comme dans la vieille Allemagne, beaucoup plus que d’églises catholiques ou luthériennes. En dessinant les plans de Queuleu, il pouvait largement s’inspirer des synagogues : le calvinisme n’est-il pas un lien ravivé avec l’Ancien Testament ? Peuple de foi, peuple élu, peuple sauvé. Le Christ du tympan, le clocher et la chaire sont là pour affirmer que l’édifice est bien un lieu de culte chrétien.

On a dit aussi que les réformés étaient moins sensibles à la grande musique que les Luthériens, et qu’ils n’ont pas inspiré ou commandité des musiciens de renom. La présence du bel orgue de Queuleu démontrerait le contraire, mais il faudrait des chiffres, des statistiques, des comparaisons.

L’intérieur du temple. © Association Temple Metz-Queuleu.

Un colloque sur le néo-gothique s’est tenu récemment à Nancy et Metz. L’agencement intérieur des temples y a souvent été évoqué. Quant à considérer notre temple comme une revanche sur celui des Luthériens de la rue Mazelle ou de la garnison, c’est un faux problème. La chronologie et la pression militaires ont avantagé ces derniers, mais il ne faut pas oublier que la population réformée de Queuleu représentait un bon quart des résidents, alors relevant de la classe moyenne ou populaire.

Prévue dès la fin du XIXe siècle, la construction envisagée fut au-dessus des moyens du consistoire et une souscription fut lancée auprès des fidèles, alors confinés dans une simple salle d’école de Queuleu pour leur culte. Les quêteurs annonçaient par voie d’affiches ou d’articles : « Pour l’église de Queuleu ! » Comme l’église de l’Immaculée Conception, appelée à être la voisine catholique de l’édifice réformé, était aussi en gestation et sa future construction en souscription, les fidèles chrétiens, catholiques ou non, ne savaient pas vraiment à quelle « église » ils allaient contribuer. Certains en sourirent, d’autres s’y perdirent. Il faut dire que les dénominations et les traductions variaient : nous n’étions plus en France, mais dans le Reich.

Le Kaiser donna, paraît-il, 5000 marks sur sa cassette personnelle et contribua à l’élaboration des plans. Les fenêtres géminées surmontant le tympan d’entrée étaient prévues au nombre de cinq : il nota dans la marge qu’il fallait diminuer ce nombre à trois. L’architecte et le maître d’œuvre Schnitzler s’inclinèrent respectueusement et la correction fut faite.

Les fenêtres geminées du temple. © Association Temple Metz-Queuleu.

Faut-il rappeler que Guillaume II avait plusieurs raisons de s’intéresser au projet ? Il s’intéressait à l’urbanisme autant qu’à l’architecture et de plus, en bon Hohenzollern qu’il était, son obédience était celle inspirée et codifiée par Jean Calvin. Sa tutelle appuyée n’était donc pas du touche-à-tout mais relevait de la normalité. Il faut ajouter que la rue du roi Albert, où se construisait le temple, portait alors le nom de « Prinzessin Viktoria-Luisen », la propre fille du Kaiser. Donna-t-il le blanc-seing pour le transfert du mobilier du vieux temple de Courcelles-Chaussy vers celui de Queuleu ? Rien ne le prouve, d’autant que ce mobilier n’existe apparemment plus.

L’inauguration du temple de Queuleu-Plantières (décembre 1904, soit quelques mois après celle du Temple Neuf) se fit, comme celle du Haut-Koenigsbourg, par un temps de chien. La procession qui gravit l’actuelle rue de Queuleu (« rue de la Roche » à ce moment), eut besoin de nombreux parapluies, mais le son des cloches et de la fanfare militaire qui précédait la file donna aux grimpeurs du baume au cœur. Haendel fut à l’honneur, et les airs du Messie (la marche, le final) furent remarquablement interprétés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du temple : l’ombre du maître de Halle et de Londres planait sur la cérémonie.

Ludwig Lévy, qui vivait ses dernières années, n’était pas présent à la fête. On notera la participation active des enfants des écoles protestantes de Metz à cette inauguration : ils allaient bénéficier du vaste espace offert par le temple et ses annexes pour les séances de catéchisme. La notion d’écoles protestantes avait disparu du mental des Messins depuis 1685 et la Révocation de l’Édit de Nantes. Le XIXe siècle l’avait vue timidement réapparaître, et l’Annexion l’avait un peu renforcée. Le Kulturkampf n’avait visé que les écoles confessionnelles catholiques, de surcroît affiliées directement à Rome par leur personnel. Les écoles primaires protestantes, peu nombreuses il est vrai, s’en trouvaient confortées. Martin Meurisse et les pourfendeurs de huguenots s’en seraient retournés dans leur tombe !

Ce fut le pasteur Pfeiffer de Kassel (une ville très calviniste) qui fit le sermon : après des envolées sur l’acte de sortie de terre du lieu où il parlait il fit un rapide cours d’histoire qui ne pouvait paraître hors sujet. Il rappela les exactions des troupes du duc de Guise (une flèche contre Nancy et les Français ?) et notamment le pillage de Gorze et la série de drames et de violences qui accompagnèrent cet oiseau de malheur. Il fallait bien rappeler aux fidèles venus ou revenus de l’extérieur (peut-être même des descendants des victimes des rois de France) que les « Prétendus Réformés » existaient toujours pour entretenir la flamme. Mais aussi l’irénisme.

Depuis ce temps, le temple de Queuleu-Plantières a traversé les décennies sans encombre. Ludwig Lévy est mort en 1907, et quelques-unes de ses synagogues ont été incendiées puis rasées lors de la « Nuit de cristal ». Son temple, tout en couleurs, en bossages, et en esprit d’accueil à la mode rhénane, est ce qu’il nous lègue.

© Association Temple Metz-Queuleu.

Bien sûr, les églises en sursis sont légion, et on n’ose envisager ce que sera notre patrimoine religieux dans cinquante ans. Evidemment, il faudrait commencer par des mesures de protection, d’autant que notre édifice n’est présentement pas en péril et à la veille de s’effondrer. Et lui trouver une destination : lieu de spectacles, de mémoire, de conférences ou siège d’administrations ... (Il y a une trentaine d’années, j’avais vainement tenté, en tant que délégué VMF pour la Moselle, d’attirer l’attention sur le Migomé de Paul Ferry à Plappeville -depuis inscrit à l’Inventaire des MH toutefois- pour en faire un musée sur le protestantisme messin). Facile à dire ou à inventer en chambre, surtout par les temps inopportuns qui courent.

Il reste que la démolition serait un crime impardonnable et méritant une peine morale incompressible. Il faut d’autant plus saluer les efforts de l’association « pour la sauvegarde du temple » à qui j’ai emprunté beaucoup d’éléments de recherche pour rédiger cet article, article assimilable à un brûlot pour la bonne cause.

Jean-François Michel, délégué régional Sites & Monuments pour le Grand-Est