LOI ACCÉLÉRATION DES ENR - Bientôt, grâce aux lobbys, une (nouvelle) exception aux pouvoirs des ABF concernant les panneaux solaires ?

Dans le numéro de 2018 de Sites & Monuments, consacré à la loi ELAN de novembre 2018, nous expliquions les dangers de la création d’un article L. 632-2-1 dans le code du patrimoine. Celui-ci permettait en effet de soustraire au pouvoir d’autorisation des Architectes de Bâtiments de France (ABF) - cantonnés à de simples avis - les bâtiments placés par les maires sous arrêté de péril ainsi que les antennes relais de téléphonie mobile. Nous écrivions alors, qu’"intrinsèquement mauvaises, les dispositions de la nouvelle loi pourraient en susciter d’autres".

Il s’agit en effet aujourd’hui de soustraire au pouvoir d’autorisation des ABF les dispositifs de production d’électricité et de chaleur par énergie solaire, sur les bâtiments, comme "en ombrière". Les zones patrimoniales concernées sont parmi les plus précieuses, mais ne représentent, au plus, que 6 % de notre territoire : les abords des monuments historiques et les Sites patrimoniaux remarquables (secteurs sauvegardés et AVAP).

La conception d’un avant-projet sous influence

Comme le révèle Contexte, dans un article intitulé "Ce rapport fantôme qui sert de feuille de route au gouvernement", cette idée est née dans l’esprit de hauts fonctionnaires mandatés par le Premier Ministre Jean Castex le 11 avril 2022, soit le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle. Les motivation de cette « mission relative à l’accélération et à la simplification des procédures pour renforcer l’indépendance industrielle, énergétique et agricole de la France » sont antinomiques. Il s’agirait ainsi "d’accélérer la sortie de la dépendance de notre pays aux énergies fossiles, et tout particulièrement des importations de gaz et de pétrole russe, et de combler au plus vite le retard qu’accuse la France par rapport à ses objectifs de développement d’énergies renouvelables". Sur la méthode, le Premier Ministre demande de "tester l’acceptabilité des propositions en s’appuyant sur un groupe miroir" qui sera constitué notamment par des "organisations non gouvernementales". Celles soucieuses de notre patrimoine ne l’ont pas été.

Selon un observateur interrogé par Contexte, "ses auteurs ont travaillé en chambre, et c’est bien regrettable", en court-circuitant le Conseil général de l’environnement et du développement, service d’inspection du ministère de la Transition écologique peut-être peu enclin à participer à "ce qui aurait pu s’apparenter à entreprise de détricotage du droit de l’environnement".

La Lettre A rapporte, pour sa part, dans un article intitulé "Comment les énergéticiens se sont placés dans la roue du projet de loi ENR", que "lobbyistes et représentants de la filière sont étroitement associés au texte qui sera présenté en juillet en conseil des ministres".

Le rapport (p. 14-15), que nous nous sommes procurés auprès des services du Premier Ministre, semble dubitatif puisqu’il explique que "Le taux d’échec des projets photovoltaïque dû à un avis conforme des ABF, avancé par la filière, est très difficile à objectiver." Ainsi, selon le lobby consulté par le rapporteur, ’"Environ 250 MW de projets PV [soit l’équivalent du plus grand parc du Texas] seraient bloqués du fait d’un avis conforme négatif de l’ABF et de nombreux projets s’« auto-censureraient »."

Le rapporteur envisage ainsi la possibilité de "Passer d’un avis conforme à un avis simple [de l’ABF] pour les projets photovoltaïques non soumis à évaluation environnementale, à l’image de ce qui s’est fait pour les antennes relais (loi ELAN du 23 novembre 2018)", tout en précisant que cette mesure a fait l’objet d’"un retour d’expérience néanmoins mitigé". Il est indiqué par un astérisque, à la suite de la disposition législative (article 10) prête à l’emploi rédigée à la suite du rapport, qu’elle "ne fait pas encore l’objet d’un consensus" interministériel.

La préférence du rapporteur semble aller à la rédaction d’un "guide (ministère de la culture / ministère de la transition énergétique / ministère de la transition écologique) à destination des ABF afin de faciliter l’implantation de panneaux photovoltaïques et homogénéiser les pratiques". Cette dernière option est qualifiée de "satisfaisante si elle est mise en œuvre rapidement et de manière ambitieuse."

Un arbitrage interministériel favorable à la Culture

Le projet de dérogation aux pouvoirs de l’ABF était cependant retenu comme le révèle un article du Canard enchaîné. Ce projet, présenté à l’arbitrage interministériel, a heureusement été repoussé à la grande satisfaction du ministère de la Culture, qui avait fait valoir des taux de refus très bas par les ABF.

Réintroduction de l’exception par Renaissance au Sénat

Mais, sorti par la porte, le dispositif réapparaissait par la fenêtre avec un amendement du groupe Renaissance (LREM) lors de l’examen du projet de loi en commission au Sénat et faisait l’objet d’un nouvel article du Canard enchaîné intitulé "Le soleil a rendez-vous avec la thune". Les dérogations étaient particulièrement substantielle puisque portant sur les "installations de production de chaleur ou d’électricité par l’énergie radiative du soleil installées sur bâtiments ou ombrières". Certains furent surpris que le Gouvernement ne tienne pas ses troupes au Sénat, permettant de contourner la résistance du ministère de la Culture...

Suppression en séance par les sénateurs républicains et socialistes

Pourtant, une alliance des sénateurs Les Républicains et Socialistes - les deux groupes les plus importants de la haute chambre, avec respectivement 145 et 64 sénateurs sur 348 - permit, par deux amendements de suppression votés concomitamment (voir ici et ici), de conserver aux ABF leur pouvoir d’autorisation sur les panneaux solaires. La victoire n’était pourtant que provisoire...

Réintroduction d’un amendement du SER en commission à l’Assemblée Nationale

À l’Assemblée Nationale, deux amendements strictement identiques proposent de réintroduire en commission un avis simple de l’ABF sur les "installations de production de chaleur ou d’électricité par l’énergie radiative du soleil installées sur bâtiments ou ombrières". L’un d’entre eux est "sourcé" comme provenant du "Syndicat des énergies renouvelables" (SER), comportant 295 adhérents pour la filière "photovoltaïque", 44 pour le "solaire thermique" et 19 pour le "solaire thermodynamique" (cabinets de conseil, industriels, constructeurs ou exploitants, banquiers et avocats spécialisés...) On peut légitimement douter, dans ces conditions, de la capacité du SER à faire des propositions dans l’intérêt général.

Ces amendements de suppression identiques ont été endossés par les groupes Renaissance (LREM) (voir ici) et Les Républicains (et ici). Par un tour de passe-passe, l’amendement du SER porté par le Groupe Renaissance (LREM), le seul à être "sourcé", était "retiré avant discussion", celui des députés Les Républicains étant en revanche adopté. Un autre amendement adopté à la demande des mêmes députés Renaissance complétait ce dispositif, de façon quelque peu redondante, en plaçant dans le code du patrimoine une autre mention de l’avis simple de l’ABF en matière de panneaux solaires (voir ici).

L’amendement adopté par la commission du Développement durable, saisie pour avis, présenté par son rapporteur Renaissance, sera repris à son compte par la commission des Affaires économiques, saisie au fond. Il sera en définitive signé par 10 députés Les Républicains et 21 députés Renaissance dans la rédaction proposée par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) (voir ici), lobby ayant par ailleurs obtenu en commission la suppression de l’avis conforme des ABF dans les 10 km des monuments historiques (voir ici).

L’imagination des parlementaires Renaissance (LREM) semble sans limite pour déréguler la protection du patrimoine. On peut ainsi citer l’idée de créer un périmètre de protection, non plus de 500 m, mais de 100 m pour les panneaux solaires (voir ici) ou, en complétant à nouveau l’article L. 632-2-1 du code du patrimoine, celle de rendre simple l’avis des ABF pour les éoliennes situées à l’intérieur des abords de 500 m des monuments historiques (disposition s’appliquant aux monuments qui ne sont pas des habitations, comme les mégalithes ou les parcs classés). Plus pernicieuse encore, l’idée d’introduire un article L. 632-2-2 dans le code du patrimoine était destinée, non à rendre simples les avis des ABF, mais à supprimer tout droit de regard de ces fonctionnaires (voir ici) !

Conclusion

Le pouvoir d’autorisation des ABF sur les panneaux solaires sera-t-il rétabli, comme au Sénat, à l’occasion de l’examen en séance ? C’est en réalité l’intégralité de l’article L. 632-2-1 introduit par la loi ELAN dans le code du patrimoine qu’il faudrait supprimer. Allonger la liste de ses dérogations au fil des menées des lobbys (nous en avons une preuve irréfutable ici) et des priorités du moment est désastreux. Les conséquences de cet article sont aujourd’hui bien palpables notamment à Foix. Le patrimoine ne peut être morcelé, tandis que le pouvoir d’autorisation des ABF est d’abord un pouvoir de négociation avec les propriétaires et les maires. En revanche, doubler l’effectif des ABF - au nombre de seulement 180 -, en les dotant des moyens de la pédagogie (notre demande dans le cadre du projet de loi de finances), permettrait de fluidifier leur travail indispensable à une évolution harmonieuse de nos villes et villages.

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments