Amiens : De l’église Saint-Honoré au Pavillon pontifical de l’Exposition internationale de Paris en 1937 jusqu’au chef-d’œuvre gothique, la cathédrale médiévale Notre-Dame, la plus vaste cathédrale au monde.
14h30, le rendez-vous était donné au pied de l’église Saint-Honoré, sur l’esplanade Branly. Mais la pluie commence exactement à 14h30 et nous devons nous réfugier dans l’église. Celle-ci est plongée dans une relative pénombre, notre guide Aurélien André faisant valoir qu’il faut découvrir le lieu et son dôme de quatre étages successifs de vitraux à la lumière naturelle
L’église antérieure, touchée par les bombes allemandes le 19 mai 1940, fut entièrement détruite. Un baraquement provisoire fut érigé sur l’esplanade en 1941 ; il resta en usage jusqu’en 1961, date de la consécration de la nouvelle église. Les premiers pourparlers pour la reconstruction datent de 1947 ; le premier coup de pioche attendra 1957. L’architecte Paul Tournon réutilisa en partie les plans du pavillon pontifical qu’il avait conçus pour l’exposition universelle de Paris en 1937 en les retravaillant considérablement. Il envisage un édifice au plan centré, en forme de croix grecque, couverte d’un dôme octogonal, précédée d’un portail monumental et accostée d’un immense clocher de 51 mètres de hauteur. L’église est entièrement construite en béton armé et couverte à l’extérieur de pierres blanches.
L’intérieur de l’église surprend par son ampleur et son ambiance lumineuse. Tous les regards convergent vers l’immense coupole qui repose uniquement sur quatre piliers de béton, permettant un dégagement de l’espace et des volumes. La coupole est ornée de vitraux en dalle de verre (une résille de béton sertissant les verres au lieu du plomb traditionnel) réalisés par le maître verrier Joseph Archepel (né en 1925). Dans une lettre de 1959, Paul Tournon explicite le programme iconographique :« Ces verrières sont une illustration du Cosmos, depuis les éléments et saisons jusqu’au mouvement des astres, avec, parmi ces éléments, la grande voix de ceux qui ont appelé les hommes à regarder au-delà : les prophètes et les apôtres ». Ce dôme, étagé, rappelle la tiare pontificale.
La vision à la lumière naturelle fait place ensuite à la lumière électrique ; alors nous verrons, la chapelle exceptionnelle des fonts baptismaux, établie sous le clocher. Elle rappelle les baptistères paléochrétiens : le néophyte descend vers la cuve baptismale avant de remonter vers la lumière. L’emploi du béton armé a permis de dessiner une voûte à la ligne pure, reposant sur des colonnes à facettes.
Et puis nous découvrirons les quatorze stations du chemin de croix, œuvres singulières admirées par le groupe. On n’en connait pas l’auteur. Réalisées à l’émail sur métal, elles bénéficient d’un éclairage électrique intégré dans le cadre.
En sortant après la pluie, nous verrons l’immense tympan surmontant les portes, orné d’une vaste composition en mosaïque de briques colorées sur fond de béton, œuvre de Florence Tournon-Branly (1923-1982), la fille de l’architecte : quatre évêques, de quatre continents différents, de part et d’autre de la croix, représentent l’Église universelle.
À leurs pieds, l’architecte a conçu une tribune avec un ambon (pupitre). L’usage de cette tribune reste mystérieux : il faut probablement y voir une référence à Édouard Branly, son beau-père, chantre de la communication moderne avec l’invention de la TSF. On lit, au-dessus du tympan l’inscription suivante, tirée de l’Évangile selon saint Matthieu : « Allez, enseignez toutes les nations. Et voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles ».
Quant au clocher, il est surmonté d’une monumentale statue de la Vierge portant l’Enfant. La statue originale avait été réalisée par le sculpteur Roger de Villiers (1887-1958) et le ferronnier d’art Raymond Subes (1891-1970) pour le pavillon pontifical en 1937. Composée d’une âme de béton recouverte de plaques de cuivre, cette sculpture, de huit mètres de hauteur et de près de cinq tonnes, dut être déposée en 1988. Elle fut remplacée par une copie en résine beaucoup plus légère en 1995. L’œuvre originale, dénommée Notre-Dame-de-France, orne désormais le sanctuaire du même nom situé sur la commune de Baillet-en-France, dans le diocèse de Pontoise.
La cathédrale Notre-Dame d’Amiens (classée Monument historique depuis 1862 et inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1981) fut construite en 55 ans, à compter de 1220. Ses trésors sont multiples et Aurélien André choisira de nous présenter seulement certains d’entre eux.
– La chapelle Saint-Jean du Vœu
La cathédrale d’Amiens s’enorgueillit de conserver, depuis 1206, la relique de la face de saint Jean Baptiste recueillie lors de prise de Constantinople durant la quatrième croisade.
Au début du XVIIIesiècle, en accomplissement d’un vœu émis lors de l’épidémie de peste de 1668, l’ancienne chapelle Saint-Pierre fut réaménagée pour devenir la chapelle Saint-Jean-du-Vœu afin d’y conserver la relique.
L’évêque demanda à l’architecte Gilles Oppenord (1672-1742) le projet et le devis d’un décor et d’un autel en marbre avec retable. La maîtrise d’ouvrage fut confiée au chanoine Maximilien Filleux qui signa les marchés avec les artisans : la sculpture fut confiée à Jean-Baptiste Poultier (1653-1719), sculpteur ordinaire du roi ; les marbres furent taillés et posés par Pierre Malleroy, maître marbrier à Paris.
La partie inférieure du retable, qu’on nomme le stylobate, en Sérancolin bordé de marbre de Rancé, est ornée d’un médaillon ovale en bronze doré représentant le chef de saint Jean-Baptiste posé sur un plateau. Cet ovale sert de clôture à la niche grillée destinée à abriter le reliquaire du chef de Saint Jean. De chaque côté, le stylobate sert de support aux statues en pierre de Tonnerre de Saint Firmin et de Saint François-de-Sales, œuvres signées de Jean-Baptiste Poultier, et datées de 1710.
Les virtuoses grilles rocaille en fer forgé sont l’œuvre de Jean-Baptiste Veyren, dit le Vivarais de Corbie (1707-1788), pour la grille principale, et de son compagnon Claude Badaroux (1707-1745) pour la grille latérale. Elles ont été réalisées en 1744. Elles sont la quintessence de la serrurerie française du XVIIIe siècle.
– Les stalles de la cathédrale
Joyau de la hucherie et de la sculpture du XVIe siècle, les stalles de la cathédrale d’Amiens constituent un des ensembles les plus complets et les mieux conservés de ce type de mobilier au monde.
Disposées dans le chœur liturgique, les stalles servaient de sièges au personnel religieux de la cathédrale. Au commencement du XVIe siècle, le chapitre fit refaire de neuf un nouvel ensemble de 118 stalles qui ont, à l’exception de huit d’entre elles, traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui.
C’est aux huchers (menuisiers) picards que nous devons ce chef-d’œuvre.
Près de 4000 figurines, œuvres des entailleurs d’images (nous dirions aujourd’hui sculpteurs) ont été sculptées dans les stalles amiénoises, faisant la part belle aux scènes bibliques. La Genèse occupe une bonne partie des scènes sculptées sur les grandes jouées, sur les rampes des escaliers et sur toutes les miséricordes : on peut suivre, parfois verset par verset, la Création d’Adam et Eve, l’histoire de Noé, celle d’Abraham, de Jacob et de son fils Joseph. Le cycle de l’Ancien Testament se clôt avec l’histoire de Moïse puis celle de Samson et de Job. L’autre cycle narratif est dédié à la Vierge Marie, patronne de la cathédrale et se répand sur les parties basses des grandes jouées et sur les petites jouées. Enfin les appuie-mains et les pendentifs sont sculptés de scènes profanes, représentant dans des attitudes variées, tel ou tel métier, ou état de la société amiénoise du début du XVIe siècle. Quelle que soit la scène, les entailleurs ont représenté avec la plus grande précision des décors d’intérieur de maison, des paysages de campagne ou des paysages de villes qui nous replongent telle une peinture, dans l’Amiens de la Renaissance.
Stylistiquement, les stalles d’Amiens sont encore très marquées par le gothique flamboyant, notamment dans les décors en accolades des dosserets et dans la claire-voie des baldaquins. En fait cette œuvre est typique du grand courant de la Renaissance du Nord de la France et des Pays-Bas où se mêlent aux formes flamboyantes quelques éléments décoratifs antiquisants et italianisants. Peu de stalles au monde montrent une si grande qualité d’exécution dans la profusion des détails.
– Fiat lux : les vitraux de la cathédrale
La cathédrale, dont le chantier de reconstruction commença il y a exactement 800 ans, en 1220, n’est pas précisément célèbre pour ses vitraux. Pourtant Notre-Dame d’Amiens recèle quelques chefs-d’œuvre de cet art de la peinture sur verre, fragile entre tous.
Au Moyen Âge, presque toutes les verrières étaient garnies de vitraux de couleur : fenêtres des chapelles, fenêtres des bas-côtés, fenêtres hautes, roses. Leur disparition s’explique par les ouragans, les explosions (en particulier de moulins où l’on fabriquait de la poudre à canon), le manque d’entretien, les campagnes d’éclaircissement et les avatars de la Grande Guerre.
La verrière de l’arbre de Jessé, décrivant la généalogie du Christ, date des années 1240. À dominante bleue, elle constitue le plus bel exemple de vitrerie du XIIIe siècle de la cathédrale. Initialement ce vitrail garnissait une baie de la grande chapelle axiale dédiée à la Vierge. Déposé lors des bombardements de 1918, il fut entreposé à Paris en attendant sa restauration. Malheureusement un incendie détruisit quarante-cinq caisses de vitraux anciens en 1920, endommageant partiellement l’arbre de Jessé. Avec quelques panneaux de la Vie de la Vierge, et de l’Enfance et de la Passion du Christ, on les remonta en 1994 et 2003 dans les baies de la chapelle Saint-François-d’Assise. Les éléments lacunaires furent remplacés par des compositions en verre moderne reprenant les formes générales des vitraux anciens. Ce remarquable travail de restauration fut mené par Jeannette Weiss-Gruber (née en 1934).
– La façade
De nouveau sans la pluie, notre groupe put admirer la façade et écouter quelques commentaires d’Aurélien André sur la remarquable statuaire du porche.
Sur l’entrée de droite, la Vierge conserve quelques traces de couleur, il faut dire qu’elle fut repeinte plus de vingt fois, tant elle était honorée ; au-dessus accrochée à la voûte, des bougies étaient régulièrement allumées pour l’éclairer. Aujourd’hui l’illumination du son et lumière montre de la meilleure façon les splendeurs des trois porches.
Hugues d’Hautefeuille, délégué Sites & Monuments des Hauts-de-France