L’école Marinoni à Beaulieu-sur-Mer : un legs bafoué, une mémoire éteinte ?

Au bord de la Méditerranée, dans la très jolie ville de Beaulieu-sur-Mer, l’école primaire Marinoni pourrait disparaître pour être remplacé par un pôle scolaire et un parking dans le cadre d’un projet de réaménagement urbain initié par la municipalité.

L’école Marinoni. Image Vitale.Beaulieuautrement.com

Cette perspective suscite une très vive opposition au sein de la population berlugane. La mobilisation s’est d’ailleurs très vite organisée autour d’un collectif de sauvegarde, avec l’association locale Beaulieu Autrement, pour sauver ce bâtiment centenaire qui fait partie du patrimoine de la ville.

Pour ce faire, des recours gracieux – dont l’un est cosigné par l’association Beaulieu Autrement et Sites & Monuments - ont été adressés au maire de la commune afin de contester cette décision et demander une réhabilitation de l’édifice.

Ecole Marinoni à Beaulieu-sur-Mer dans son environnement inscrit au titre des sites.

Rappelons qu’une expertise indépendante a démontré que la rénovation est non seulement possible, mais pertinente : la structure est saine, les volumes adaptables, et les caractéristiques patrimoniales intactes. L’école pourrait ainsi être modernisée sans être détruite, réinventée sans être effacée.

Hippolyte Marinoni : un bâtisseur de cité, un mécène éclairé

L’école Marinoni n’est pas uniquement un bâtiment et une structure scolaire. Elle est l’incarnation physique et symbolique de l’œuvre d’Hippolyte Auguste Marinoni (1823–1904), figure majeure du progrès industriel et social français. Inventeur de la rotative, fondateur du Petit Journal et pionnier de la presse de masse, Marinoni est aussi, et surtout pour Beaulieu, le fondateur de la commune dont il fut le premier maire après avoir arraché son indépendance à Villefranche-sur-Mer en 1891.

Beaulieu-sur-Mer, monument à Hippolyte-Auguste Marinoni. Cartes postales, vers 1904.
Le Petit Journal - Crise des Balkans (1908). La même année, la veuve d’Hippolyte-Auguste Marinoni offrait le terrain de l’école à la municipalité de Beaulieu-sur-Mer.

Humaniste convaincu, il mit sa fortune au service du bien commun : réseaux d’égouts, infrastructures, urbanisme et surtout l’école publique comme pilier de l’égalité républicaine. Après sa mort, son épouse poursuivit son action. En 1908 et 1924, elle offrit les terrains et les dotations nécessaires à la création d’écoles pour filles puis pour garçons. Ces établissements, unis sous le nom d’École Marinoni, sont bien plus qu’un lieu d’enseignement : ils sont le prolongement d’un idéal.

« Toucher à cette école, c’est effacer le geste fondateur d’un homme qui a façonné Beaulieu avec son esprit, son cœur et sa générosité », rappelle une habitante engagée dans la mobilisation.

Un patrimoine architectural en danger

Cet édifice est également un témoignage précieux de l’architecture publique du début du XXe siècle. Conçue par les architectes niçois Jean-Baptiste et Louis Crovetto, il s’inscrit dans le mouvement Art déco, alliant fonctionnalité, rigueur géométrique et élégance sobre. Sa façade, ses volumes ainsi que son implantation harmonieuse dans le tissu urbain témoignent d’un soin architectural rare pour un bâtiment scolaire.

Ce projet de démolition est d’autant plus incompréhensible que l’école est située dans la zone du site inscrit « Littoral de Nice à Menton » et dans le périmètre de protection de deux monuments historiques, l’église anglicane Saint Michael construite fin XIXe début XXe siècle inscrit Monument historique le 3 juillet 1920 et l’ancien hôtel Bristol XIXe siècle inscrit Monument historique le 23 juin 1978 et le 4 février 2022. Malgré cela, le bâtiment, ne bénéficiant d’aucune mesure de protection, est en grand danger.

L’école Marinoni, entourée en rouge, est située en site inscrit et dans les abords de deux monuments historiques. Atlas des patrimoines, Beaulieu-sur-Mer.

Preuve en est l’avis favorable de l’Architecte des Bâtiments de France en date du 20 mars 2025, certes assorti de prescriptions mais qui valide le projet… et, sept jours plus tard, le 27 mars, un arrêté municipal délivrant le permis de construire pour le nouveau pôle scolaire en lieu et place de l’école Marinoni est publié.

L’« Association Berlugane contre la Densification, pour la sauvegarde de l’Environnement et un urbanisme maîtrisé » (ABCDE) et des habitants de la commune de Beaulieu-sur-Mer ont déposé, le 12 juin 2025, une requête en référé suspension auprès du tribunal administratif de Nice contre l’arrêté municipal du 27 mars. L’audience se tiendra le 30 juin.

Soulignons que la municipalité, sans attendre, a fait engager les travaux, notamment l’abattage des arbres situés dans la cour. Enfin, une pétition , initiée par le collectif « Non à la démolition de l’école Marinoni », a reçu déjà plus de 450 signatures.

Mémoire collective et enjeu patrimonial

Derrière cette école se joue aussi une question plus large : celle de notre rapport à la mémoire, à l’histoire locale, et aux valeurs fondatrices de nos territoires.

« On ne construit pas une ville durable en effaçant ses fondations », martèle un membre du collectif de sauvegarde. La démarche municipale est perçue comme symptomatique d’une urbanisation standardisée, indifférente à l’âme des lieux.

Projet proposé par le cabinet d’architecture Corinne Vezzoni et associés.

Cette décision soulève une profonde inquiétude de nombreux citoyens, anciens élèves, historiens, architectes et défenseurs du patrimoine.

L’exemple de l’école Marinoni résonne bien au-delà de Beaulieu-sur-Mer ; il incarne un enjeu national de préservation des édifices civils, porteurs d’histoire, d’identité et de sens.

Marie-Anne Sylvestre, Association Beaulieu Autrement

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