Le prieuré clunisien Saint-Pierre de Rompon (XIe siècle) et son enceinte paléochrétienne menacés par l’expansionnisme d’un carrier

Les abords du prieuré Roman de Rompon (XIe siècle), site clunisien inscrit au titre des monuments historiques, sont inexorablement grignotés par une carrière dont le font de taille se situe actuellement à 140 m du monument, menaçant de détruire son enceinte fortifiée du Ve siècle.
Les travaux d’excavation doivent immédiatement cesser dans les abords du prieuré et l’emprise et le degré de sa protection revus (un classement de l’intégralité des 5 hectares de l’enceinte paléochrétienne fortifiée au sein de laquelle se trouvent les vestiges s’impose).
A cette fin, nous vous invitons à signer la pétition dont le lien se trouve à la fin de cet article.
JL

Confluent Rhône - Drôme. Vue aérienne

Le prieuré clunisien Saint-Pierre, dit communément le Couvent des Chèvres, est établi sur la Montagne de Rompon, sur les communes de Rompon et du Pouzin (Ardèche). Ce plateau dominant la confluence Drôme-Rhône a été occupé du chalcolithique au XVIIe siècle. S’y trouvaient ainsi des grottes, des dolmens, la limite des cités gallo-romaines d’Alba et Valence et le site de hauteur du VIe siècle.

Prieuré Roman de Rompon, XIe siècle.

De ce site monastique, fondé en 977, subsistent des vestiges, datant du XIe siècle, inscrits au titre des Monuments Historiques depuis 1927. Le prieuré Saint-Pierre-de-Rompon fait en outre partie du réseau européen des sites clunisiens en voie d’être classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO dans le cadre du dossier défendu par la Fédération Européenne des Sites Clunisiens (FESC).

Intérêt préhistorique et historique :

Le site qui entoure le prieuré, dominant la confluence de la rivière Drôme et du Rhône, rassemble des éléments historiques et archéologiques qui en font un site majeur sur le plan préhistorique et historique :

  • Au moins quatre dolmens ont été identifiés (entre 5000 et 4000 av. J.-C.) sur le site ;
Dolmen
Monnaie romaine (APCSPRLP) et à droite inscription en caractère de grande taille (APCSPRLP/Cuminal)
  • Du mobilier gallo-romain et une inscription en caractères latins trouvés sur le site qui domine le port fluvial du Pouzin dépendant de la cité d’Alba Helviorum ;
  • Une enceinte paléochrétienne de cinq hectares avec porte fortifiée à l’ouest qui, selon le rapport de l’INRAP 2003, en fait un site d’une importance capitale pour l’histoire de notre région.
Enceinte paléochrétienne fortifiée (Ve s.) de 5 ha et prieuré roman (E. Ferber, P. Rigaud)

Intérêt naturel :

L’intérêt naturel du plateau de Rompon l’a fait inscrire depuis 2019 dans le Réseau Natura 2000 (zone Ouvèze-Payre) en raison de sa richesse géologique, faunistique (chiroptères, reptiles dont un très rare lézard ocellé) et floristique. Le site fait en outre partie du réseau des aires protégées au titre de la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : les zones prioritaires pour la biodiversité (ZPB) [28/11/2019].

Intérêt patrimonial et touristique :

Le site du « Couvent des Chèvres », nom affectueux donné au Prieuré de Rompon, est apprécié des randonneurs (il est traversé par le GR 42a), les chasseurs, les agriculteurs (pastoralisme) et, généralement, de toute la population locale qui en fait, depuis toujours, un lieu de promenade et de pique-nique, appréciant le point de vue spectaculaire sur la confluence Drôme-Rhône que l’on découvre depuis le plateau.

Abside du prieuré avant effondrement.
Abside du prieuré aujourd’hui.

La menace

Depuis les années d’avant-guerre, une petite carrière de calcaire était exploitée en bordure nord et nord-est du plateau. Dans les années 70, l’exploitation s’interrompt pendant 30 ans et reprend à partir de 2002 après le rachat du site par la Société Lafarge. En 2002, une extension de carrière en direction du prieuré est autorisée par arrêté préfectoral sans préserver le périmètre de 500 m applicable du fait de sa protection au titre des monuments historiques. Cela malgré une enquête publique où les associations CARTA et Patrimoine du Pouzin ont alerté sur l’intérêt historique et scientifique du site, confirmé par un diagnostic archéologique de l’INRAP (2003) qui mettait en lumière l’existence d’une enceinte paléochrétienne et de vestiges antiques.

En 2014, une « convention d’objectif et de mécénat » est signée entre Lafarge, l’Association Avenir du Prieuré Clunisien St Pierre de Rompon - Le Pouzin (APCSPRLP), la Fédération Européenne des Sites Clunisiens et les communes de Rompon et du Pouzin pour cinq ans, afin de « mettre en œuvre un projet patrimonial exemplaire visant à la réalisation d’actions de sauvegarde, de préservation et de valorisation du prieuré ». La société Lafarge avait accepté de protéger de la destruction le site archéologique paléochrétien découvert en 2003 au cours du diagnostic de l’INRAP. Des actions de consolidation sur le monument, de sensibilisation (Journées du Patrimoine) et de mise en valeur (fléchage, panneaux, exposition…) sont conduites entre 2015 et 2019 et ce, jusqu’à l’achat du site en 2020, par la Société Delmonico-Dorel.

En 2021, un nouvel arrêté préfectoral avait reconduit celui de 2002, ignorant à nouveau la protection qu’implique le périmètre de 500 m découlant de l’inscription au titre des monuments historiques de 1927. Après quatre réunions en 2022, la tentative de renouvellement de la convention échoue, faute d’accord avec le nouveau propriétaire. Fin 2022, le nouveau carrier saisissant la DRAC/SRA entend bien exploiter la carrière sans aucune restriction en demandant une prescription d’autorisation de fouille préventive. C’est à ce moment-là, janvier 2023, que nous entamons un travail de recherches et des démarches tous azimuts pour comprendre comment, après toutes ces années (dont une convention de cinq ans) nous en sommes arrivés à une situation aussi complexe et incohérente.

Le PLU en révision, nous découvrons la légèreté du document pour restituer au citoyen les mesures de préservation d’un patrimoine figurant dans la liste des 46 000 sites protégés et d’intérêt national. Nous sollicitons les autorités dont le préfet du département pour comprendre encore une fois comment le prieuré roman protégé par son périmètre de 500 mètres peut être menacé jusqu’à 50 mètres de sa clôture par le front de taille de la carrière, en détruisant le site paléochrétien comme le chemin d’accès au prieuré (il est actuellement déjà inutilisable par les véhicules de secours et d’incendie, ce qui pose un grave problème de sécurité).

Cette invraisemblable situation a, comme nous l’avons souligné, été rendue possible grâce aux deux arrêtés préfectoraux en 2002 et 2021 qui autorisent une extension d’exploitation de la carrière jusqu’en 2032, au mépris total d’une protection en vigueur depuis 1927.

Dans le cercle supérieur, l’emprise de la carrière (en jaune) entamant le périmètre de protection MH de 500 mètres
Le prieuré est indiqué en orange.

Aujourd’hui, le front de taille est déjà à une centaine de mètres des vestiges de l’église et le chemin d’accès emprunté par le GR surplombe déjà la carrière.

La covisibilité du site protégé du prieuré/carrière est flagrante.

Réaction et actions :

Dès la fin 2022, l’APCSPRLP a réagi en multipliant ses actions pour obtenir des soutiens auprès :

  • Des représentants politiques ont été alertés : le président de la Fédération Européenne des Sites Clunisiens, M. Rémy Rebeyrotte, député de la Haute-Loire et Hervé Saulignac, député de l’Ardèche, ont interpellé la ministre de la Culture, la Direction régionale des Affaires Culturelles, le Préfet de Région, les maires de Le Pouzin et de Rompon ; après un premier contact au printemps 2023, Monsieur le Préfet de l’Ardèche a organisé, le 29 juin, une réunion de concertation entre toutes les parties, à l’issue de laquelle il a proposé la mise à l’étude par le groupe de travail ainsi réuni d’un projet de mise en valeur patrimoniale du site. Dans cette optique, la présidente de l’APCSPRLP, Joëlle Dupraz, a rencontré, en novembre 2023, la directrice de la culture de l’Ardèche qui l’a assurée de l’appui des services du département en vue de monter un projet de valorisation du site à construire à l’échelle du territoire.
  • Des services d’état chargés du patrimoine : L’Architecte des Bâtiments de France (UDAP), la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, la Direction régionale des affaires culturelles

Une pétition en ligne est en cours sur le site de l’Association Avenir du Prieuré Clunisien Saint Pierre de Rompon-Le Pouzin et une pétition papier, ont recueilli plus de 4.000 signatures.

Deux séances de travail ont eu lieu en janvier 2024 l’un avec le cabinet d’audit recruté par le carrier et dont nous attendons les résultats, l’autre avec la nouvelle préfète. Une réunion du groupe de travail est programmée en mars 2024.

En parallèle d’autres actions sont prévues :

  • Constitution officielle du collectif d’associations ;
  • Banderole qui sera installée à Rompon ;
  • Programmation d’une réunion publique avec présentation du film « Des cailloux dans la chaussure », documentaire sur la lutte des habitants de Saint-Nazaire-en-Royans (Drôme) contre l’installation d’une carrière.

Mais, bien sûr, nous attendons la réponse de la ministre de la Culture à la question écrite formulée en novembre 2023 par le député ardéchois Hervé Saulignac.

Joëlle Dupraz et Roland Comte, président de l’association Cévennes Terre de Lumière

Pour signer la pétition

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Biographies des auteurs :

  • Joëlle Dupraz est archéologue–ingénieure retraitée au ministère de la Culture, directrice de fouilles et travaux de recherche sur le site archéologique d’Alba-la-Romaine de 1983 à 2001, archéologue au Conseil général de l’Ardèche (2008- 2011). Parmi ses nombreuses publications scientifiques, on peut citer la direction de la Carte archéologique de la Gaule-Ardèche 07 (en collaboration avec Christel Fraisse), ainsi que sa collaboration aux Inscriptions Latines de Narbonnaise, vol. 6, Alba, etc. Elle est par ailleurs présidente de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de l’Ardèche (ASLA)
  • Roland Comte est ethnologue. Diplômé de Sciences Po, ancien élève de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, est président-fondateur de l’association Cévennes Terre de Lumière (connaissance et sauvegarde du patrimoine naturel et culturel vivarois). Il siège à la Commission Régionale pour le Patrimoine et l’Architecture (CRPA) Auvergne Rhône-Alpes et est membre de l’ASLA.