Mittersheim (Moselle) : un village se bat pour sauver sa maison en pan de bois

Personne ne soupçonne plus aujourd’hui que la Moselle compta jusqu’au XIXe siècle, plusieurs milliers, sinon plusieurs dizaines de milliers de maisons en pan de bois, à l’est d’une ligne, Saint-Avold Sarrebourg. Essentiellement situées dans le secteur germanophone, ces maisons n’étaient pas lorraines mais du type de la vallée de la Sarre, à pignon étroit et toit de forte pente. Leur aire d’extension se poursuivait bien sûr sur l’Alsace Bossue, en allant au contact de la maison à cour alsacienne dont il existe quelques spécimens, mais à cour ouverte, à l’est du pays de Bitche. En deux siècles, ces maisons se sont raréfiées au point de se trouver aujourd’hui proches de la disparition.

Un important patrimoine réduit à quelques de maisons

Une mutation classique dans le domaine de l’habitat ancien s’est d’abord produite, qualifiable de passage du pan de bois à la pierre. Ces pans de bois du XVIIIe siècle, souvent posés à même le sol, étaient érodés au point qu’il fallut leur substituer un rez-de-chaussée en pierre, l’étage restant à colombage. L’étude des dates portées par beaucoup de ces maisons montre que ce phénomène s’est produit un siècle plus tôt dans le nord de la zone que dans le sud, soit, vers le milieu du XVIIIe du côté de Saint-Avold, et plutôt vers celui du XIXe vers Sarrebourg. Pareille hybridation a toutefois pu s’effectuer de façon synchronique, la maison étant à la fois construite en pierre pour le bas et en pan de bois pour le haut ; ou de façon diachronique, la pierre s’étant substituée plus tardivement au pan de bois. Dans le premier cas, les fenêtres de la maçonnerie de pierre sont à linteaux en segments d’arc (XVIIIe siècle) ; dans le second, elles sont à linteaux droit (XIXe siècle).

De ces constructions, il n’existe aucun recensement avant ceux de 1981 et 1991-1992, conduits par la Service Régional de l’Inventaire, alors que ce patrimoine s’était considérablement restreint. On ne comptait plus alors qu’une centaine de maisons présentant au moins du pan de bois en façade avant, plus quelques deux cents en plus dont l’un des pignons au moins, et/ou la façade arrière conservaient quelques traces de pans de bois. En corollaire, nous ignorons la géographie de cet habitat au temps de sa plénitude ; la carte que nous présentons ici ne traduit que sa situation d’aujourd’hui sans rendre compte de ce que fut l’implantation du pan de bois mosellan, par exemple entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle. Il faudrait également parler en termes de rapport entre le pan de bois et la pierre, qui a fini par se généraliser.

Moselle : En ligne rouge, la frontière des toitures entre la tuile plate écaille, sur toits de forte pente, à l’est, et la tuile creuse lorraine, sur toits de faible pente, à l’ouest.
En ligne noire, la frontière entre la Moselle germanophone, au nord-est, et la Moselle francophone, au sud-ouest. En pointillé, sa poursuite approximative vers le nord-ouest. Ces deux frontières se confondent jusqu’à Albestroff, puis elles se séparent. 3 en jaune et en orange, la présence du pan de bois, avec, en orange, les communes de forte densité de pan de bois. 4 en rose, la présence d’un pan de bois urbain qui échappe à la typologie qui nous intéresse plus précisément, celles des maisons de la vallée de la Sarre. Ce pan de bois urbain s’observe très marginalement à Metz, à Vic-sur-Seille et à Sarralbe. 5 en bleu, des repérages de pan de bois seulement en intérieur, répondant à une technique originale, à Eincheville et à Linstroff.

Plusieurs phénomènes s’observent sur ces cartes

  • La concentration du plus gros du pan de bois sur les marnes irisées du Keuper.
  • La raréfaction et l’isolement des maisons en pans de bois dans le pays de Bitche et les pays de Phalsbourg et Sarrebourg. Est-ce un effet de relief et de géologie, l’exploitation plus facile du grès ayant permis une apparition plus précoce de la pierre ? Dans le secteur des marnes irisées, on peut considérer que le pan de bois est contenu, à l’ouest, par la frontière des toitures.
  • Au sud de la zone, un débordement du pan de bois sur la Moselle francophone, Assenoncourt, Bisping, Guermange, toutefois, ces maisons-là présentaient des différences majeures avec les maisons typées de la vallée de la Sarre, en particulier le maintien de la technique des bois longs et l’absence de fermes dites à l’allemande, les charpentes de ces maisons se partageant entre les charpentes lorraines à hommes-debout et les charpentes à fermes à reprises de forces verticales.
  • au nord d’Albestroff, en Moselle germanophone mais à l’ouest de la frontière des toitures, la présence de quelques maisons en pan de bois, par exemple à Adelange et Vahl-les-Bénestroff, dont on peu se demander si elles représentent des exceptions ou si elles sont les vestiges d’un pan de bois plus largement présent dans ces communes.

Beaucoup des villages repérés ne comptaient alors qu’une ou deux maisons en pan de bois, mais plusieurs en conservaient des concentrations plus importantes, Bisping, Insviller, Guermange, Kappelkinger, Loudrefing, Mittersheim, Vibersviller. Pour apprécier l’aire d’extension la plus récente du pan de bois de l’est mosellan, il nous manque de connaître celle du pan de bois intérieur, qui a pu subsister dans les communes où la pierre a remplacé du pan de bois à l’extérieur. La connaissance des charpentes serait également utile, à la fois pour situer la présence respective des charpentes à hommes-debout lorraines et des charpentes à fermes à reprises de forces obliques, dites à l’allemande, pour les logis, et celle des fermes à reprises de forces verticales, pour les granges qui pourraient, ces dernières, témoigner de l’existence ancienne du pan de bois.

Même les maisons les mieux protégées

Dans le courant des années 1980, la sauvegarde du peu de maisons conservées, dont l’état se montrait inquiétant, représentait une véritable course contre la montre. En 1979, l’occasion s’était présentée pour Maisons Paysannes de Moselle d’œuvrer avec le Parc Naturel Régional de Lorraine, dans le cadre de l’Union R.E.M.P.ART, à la restauration, à Bisping, de l’une de ces maisons, dite maison du Clément, à laquelle s’étaient ajoutées les maisons dites de la Que Wenn et de la Marie de l’Alfred, toutes trois destinées à devenir un Centre Permanent d’Initiation à la maison de pays, qui ne vit pas le jour par manque de volonté politique locale. Il aurait pourtant aidé à restaurer largement l’ensemble de ces maisons de l’est mosellan, à commencer par celles de Bisping qui se sont partagées entre quelques restaurations et la poursuite de nombreuses destructions.

Le but de l’Inventaire thématique de 1991-1992 était de proposer une douzaine de ces maisons à l’Inscription au titre de Monuments Historiques, ce qui par voie de conséquence, pouvait conduire à en protéger plusieurs dizaines d’autres situées dans leur périmètre de protection de 500 m. Ces inscriptions ont eu lieu, à quoi s’est ajoutée, une tentative du Parc Naturel Régional de Lorraine, via le CAUE de la Moselle, dans le courant des années 1990, du diagnostic général de ces maisons, avec une analyse sociale et un chiffrage en gros des travaux à effectuer, de manière à assister les propriétaires dans leurs projets de travaux. Des projets de travaux, il n’y en eut aucun ! Dernière tentative, assez illusoire, en direction du Conseil Général, de le conduire à racheter ces maisons, autant que cela pouvait se faire, afin de les mettre hors d’eau et hors de péril, pour ensuite leur rendre un devenir au cas par cas, vente, location, transformation en gîtes, rétrocessions aux communes. Proposition restée sans réponse.

Quelques restaurations tout de même ont eu lieu, d’une maison à Hellimer, dans le quartier de l’église, de deux ou trois à Kappelkinger, deux à Insviller, plusieurs à Bisping, la maison de Léo à Audviller, mais ces efforts restent insuffisants en comparaison de toutes les maisons qui ont disparu ces dernières décennies, notamment à Loudrefing, Insviller, Vibersviller, même Bisping qui nous ont conduit à parler de « livre noir du pan de bois en Moselle ». Sur toutes ces maisons, cinq ont été incendiées, dont trois sans doute volontairement, la quatrième, à Vibersviller, s’est trouvée victime d’un incendie domestique accidentel, la cinquième, à Honskirsch, d’un tir malencontreux de lampion lors d’une procession.

En même temps, certaines maisons étaient mises à bas, à commencer par celle d’Hazembourg, pour laisser place à un terrain à bâtir. Une seconde maison de Loudrefing était détruite, en plus que celle qui avait été incendiée ; toutes deux se trouvaient pourtant dans le périmètre de protection de 500 m de deux maisons Inscrites Monuments Historiques, comme plusieurs maisons de Bisping. Pire encore, deux maisons Inscrites MH ont elles-mêmes disparu, à Hambach, volontairement mise à bas et, à Kirviller, détruite par abandon. En vérité, la protection légale n’assure aucune protection.

La maison de Kirviller en 1991, un peu avant son inscription au titre des Monument Historique.
La maison de Kirviller en 2002. Elle a depuis disparu...
A Loudrefing, remarquable maison hybride, pan de bois du XVIIIe siècle pierre du XIXe siècle, en 1980.
La maison de Loudrefing en 2012. Depuis, toute la structure en bois du corps d’exploitation a disparu, il ne reste que l’ancien logis. Et pourtant, cette maison se situe à proximité d’une maison ISMH, que l’on distingue à l’arrière-plan gauche de la photo, et donc soumise à l’avis conforme de l’ABF.

Une doyenne finalement promise au sacrifice

La maison de Mittersheim, habitée en 1991.

Au nombre des maisons que nous pensions hors de danger se trouvait cette demeure de Mittersheim, rendu remarquable par sa forte pente de toiture et sa nature constrictive hybride associant les deux structures de pan de bois dites à bois longs et à bois courts. Elle distribue de gauche à droite une grange encadrée par deux écuries, et un logis de deux fois trois pièces, au rez-de-chaussée et à l’étage, desservi au rez-de-chaussée par un couloir traversant. Elle a conservé son fumoir, ses deux niveaux de greniers et son isolation en plafond, en terre dite « bousillage ». Maison unique dans son sous-type, du type de la vallée de la Sarre dont la toiture a souffert d’abandon de la part de ses co-propriétaires, au niveau de la seule partie qui restait de tuiles bieberschwantz, ou queues de castor anciennes, si bien qu’il y a environ deux ans, l’infiltration des pluies à provoqué la rupture d’une partie de l’arrière de la ferme gauche de la grange, tandis que la prise au vent enlevait au versant avant une partie de ses tuiles, le corps d’habitation restant toutefois indemne.

La même maison, en 2012, après quelques années d’abandon et d’économies malheureuses faites sur la réfection de la toiture arrière en tuiles anciennes. Sur la façade avant, le vent a fait le reste.

Un jeune couple ayant eu l’idée de convertir cette maison en gîtes et en salle, nous pensions que la maison allait rester pérenne et nous avions soutenu ce projet, en y consacrant du temps et un peu de trésorerie. Puis, à notre insu, ces personnes ont préféré proposer au parc de loisir de Sainte-Croix, sur la commune de Rhodes, d’y reconstruire la maison « hors sol », arrachée à son milieu légitime et historique, pour ne plus ne plus devenir qu’un sujet d’attraction dans un « réserve naturelle d’émotions ». Cette aberrante machination va à l’encontre d’un principe essentiel de la sauvegarde de l’architecture paysanne traditionnelle, à savoir que « restaurer, c’est conserver », parce qu’il est impossible de reconstituer à l’identique une structure ancienne, nous n’avons plus les mêmes matériaux et perdu les savoir-faire. Il n’est que le pan de bois, les solivages et la charpente qui puisse être reconstitués au plus proche, et encore pas toujours, parce que, souvent, les assemblages et les pièces sont à reprendre, au détriment de la cohérence temporelle des structures.

Par celles-ci et par ses matériaux, une maison ancienne porte une charge de temps, mais un temps rapidement volatile quand on n’en assure pas l’intégrité et la durée. Dès lors, le démontage et la reconstruction d’un bâtiment s’apparentent à l’action de faire supprimer l’original pour n’en faire qu’une copie à peine conforme. Une maison déplacée, ce n’est plus du tout la même maison. Le domaine de Sainte-Croix, avec son parc animalier, ne peut répondre à deux logiques contraires : ne plus prélever ses animaux dans la nature, mais les prendre à partir des naissances dans les zoos ; prélever au contraire des maisons dans leurs milieux historiques, en les en faisant disparaître. Les maisons traditionnelles sont en voie de disparition autant que de nombreuses espèces animales ; c’est particulièrement le cas pour les dernières maisons en pan de bois de l’est mosellan.

Dépouillés du peu de droits qu’il nous restait

Cette affaire révèle l’impéritie de notre société en matière de patrimoines bâtis dont on n’a jamais autant parlé et qu’on n’a jamais autant laissés se perdre. En particulier, la charte de Venise ne restera qu’un vœu pieux tant qu’elle ne sera pas opposable en justice. La valeur publique du patrimoine n’a aucune reconnaissance légale face aux choix souvent irréversibles des propriétaires qui ont droit de disposer librement d’un bien qui tient pourtant également d’une propriété publique intellectuelle et culturelle. Le permis de démolir a été supprimé sauf pour les édifices protégés et les PLU qui ont choisi de le conserver. Comment continuer à parler de patrimoine tant qu’ils n’ont aucun droit, celui que pourrait avoir l’opinion publique de s’opposer aux choix personnels de ces propriétaires coupables de dénaturer ou faire disparaître leurs maisons par le simple fait du Prince ? Nos faibles moyens d’opposition ont même été restreints avec la perte de l’avis conforme des Architectes des Bâtiments de France, qui permettait de sauver des maisons dans la zone de protection de 500 mètres autour d’un Monument Historique. Le simple avis facultatif n’est plus qu’une aimable plaisanterie.

L’idée même que le transfert d’une maison aussi majeure dans son style, son type et son histoire vers un parc de loisir montre combien certaines générations ont perdu l’esprit de réalité, en proposant que cette forme de virtualité puisse tenir lieu de réel. Comment exercer de la pédagogie hors sol, dans un lieu inapproprié, alors qu’en Lorraine, les maisons n’ont de sens que dans les villages où elles se regroupent sous forme de véritables communautés d’habitat ? Mettre les maisons en réserve au lieu d’en assurer la découverte, village par village, comme nous le proposons depuis si longtemps, pour révéler comment leur typologie s’accorde avec la géographie de leurs emplacements. Autant de présences qui donnent à tous ces villages leur légitimité en matière de patrimoine bâti. Rien ne justifie, même pas la valeur d’un terrain à bâtir, qu’ils en soient privés.

Lorsque les propriétaires font faillite, par manque de ressources ou mauvaise intention, il devrait naturellement appartenir à la collectivité de les soutenir et ou de les suppléer, en se montrant en contrepartie exigeante sur le droit et le devoir de sauvegarde. Dès lors qu’elle ne réagit pas sans ce sens, elle se met elle aussi en faillite morale de brader un patrimoine qui situa, en France, parmi les plus diversifiés et les plus riches d’entre les nations. Certes, s’y est-elle essayée, de congrès en tables rondes, de bonnes intentions en déclarations généreuses : Livre blanc de l’environnement, Monument Historique demain en 1984, Forum du patrimoine en 1987, Jeunesse et Patrimoine en 1989 et en 1991, Biennale européenne du patrimoine culturel en 1990, mais sans jamais aboutir à la moindre protection légale qui consacrerait la reconnaissance du patrimoine bâti comme étant aussi d’intérêt public, de telle sorte que ses propriétaires privés puissent en user sans en abuser.

Car abus il y aurait à Mittersheim si la maison disparaissait, en fin de compte achetée dans le seul dessein de la soustraire de ce lieu en se donnant la bonne conscience qu’elle resterait égale à elle-même dans ce parc de loisir où les habitants de Mittersheim ne feraient plus d’elle le même profit culturel. « Une maison appartient aussi à celui qui la regarde », il leur faudrait simplement porter le regard un peu plus loin. Il fut un temps en Lorraine, au début du XVIIIe siècle, quand le duc Léopold s’attachait à redresser son duché, où celui qui n’usait pas de son bien devait le vendre au premier qui le désirait. Le but était de relever les masures, ces maisons en ruine, pas d’en faire de simples objets de curiosité.

Jean-Yves Chauvet, Président de l’association Maisons paysannes de Moselle, association adhérente de Sites & Monuments.

Plusieurs associations, dont Sites & Monuments, se sont mobilisées dans une lettre ouverte adressée à Messieurs Laurent et Pierre Singer du Parc animalier de Sainte Croix de Rhodes, pour leur demander solennellement de renoncer au transfert de la maison de Mittersheim. Lire l’intégralité de ce courrier.

Vous pouvez naturellement diffuser et cosigner ce document en faisant part de vos sentiments auprès du Parc de Sainte-Croix, par courrier au Parc animalier de Sainte Croix 57810 Rhodes ou par courriel à groupe@parcsaintecroix.com.