Rue du Rival à Foix : la loi ÉLAN à nouveau utilisée pour détruire notre patrimoine ?

Immeubles en péril du 12 au 20 rue du Rival

Les immeubles anciens des numéros 12 au 20 de la rue du Rival sont promis à une démolition prochaine après que la mairie de Foix ait approuvé le permis de démolir déposé par l’établissement public foncier (EPF). Cette démolition a pour but de céder un terrain vierge à l’office public de l’habitat (OPH) de l’Ariège pour construire des logements sociaux neufs.

Vue aérienne de la rue du Rival et de l’Abbaye. Les immeubles concernés sont cerclés de rouge

Malgré l’avis défavorable donné par l’architecte des bâtiments de France concernant le permis de démolir, le projet suit son cours avec une démolition prévue en 2022.

Force est de constater l’absence d’efforts et d’imagination des services concernés : cette démolition ne servira qu’à pallier l’incompétence de l’OPH à réaliser une opération de restauration lourde, comme on en voit pourtant partout ailleurs.

Immeubles des 12-14-16-18-20 rue du Rival

Le triptyque Mairie-EPF-OPH a lancé son projet de démolition depuis quelques temps déjà en plusieurs phases.

Première phase, en novembre 2019 la mairie a déclaré un péril imminent sur l’ensemble des bâtiments, sans lancer comme la loi l’y oblige des travaux de sécurisation et en ne prenant aucune mesure de protection des tiers, laissant la rue ouverte à la circulation. Cet arrêté de péril a offert trois avantages évidents pour un projet neuf : il a permis « d’évacuer » les habitants du numéro 20, de passer outre l’avis conforme de l’ABF dans cette zone à proximité immédiate de l’abbatiale classée, et à l’EPF de récupérer à moindre coût le foncier.

Ce mécanisme délétère avait été combattu par Sites & Monuments dans le cadre de l’examen du projet de loi ELAN et, dans l’une de ses premières expressions, rue de La Butte, à Marseille.

La rue du Rival et tous ses éléments de second œuvre : portes et baies à encadrement de pierre (ou brique) cintrés, persiennes cintrées également, croisées anciennes, etc. Leur répondant côté droit, la rénovation réussie des immeubles en vis-à-vis. © GoogleMaps

Deuxième phase, lancement d’une étude de faisabilité, commandée à un architecte et un bureau d’étude dont l’objet de la mission est d’étudier une réhabilitation. Pourtant, à aucun moment l’étude n’examine une réhabilitation. Le bureau d’étude se contente d’une description d’un état sanitaire qui montre des bâtiments n’ayant pas de problèmes structurels importants et pour lesquels on conclut à une démolition.

Il y a une évidente nécessité de rénovation de l’habitat dans le centre-ville de Foix et notamment dans la rue du Rival. Mais nous pensons que la démolition de ces quatre bâtiments, datant du XVIIe au XIXe siècle, conservant leur second œuvre ancien, dans une perspective majeure de Foix, s’inscrit dans les erreurs d’un urbanisme d’un autre temps. Un tel projet ignore que l’une des dernières attractivités de ce territoire repose sur le patrimoine et la qualité de son environnement.

L’ensemble cohérent des façades sur l’Ariège. A gauche, les immeubles (encadrés) sous démolition imminente, au centre le chevet de Saint-Volusien, à droite la préfecture installée dans les anciens bâtiments conventuels.

Ce projet donnera à Foix un centre ancien aussi piteux que celui de Pamiers, déjà anéanti par les bulldozers, qui servait jusqu’à maintenant de contre-exemple départemental en urbanisme.

Cette démolition nous paraît donc une très mauvaise opération tant du point de vue patrimonial, économique, qu’écologique, ou même de la sécurité.

Patrimonialement :

Front de l’Ariège dans sa configuration actuelle ; Dessin de M. Melling 1826

Il est bon de rappeler que Foix possède le label « Grand Site Occitanie » avec des prétentions récentes au label UNESCO. Les immeubles concernés sont mitoyens de l’abbaye Saint-Volusien, classée Monument historique depuis le 30 juillet 1964 et constituent l’un des panoramas majeurs de la ville.

Moulin de l’Abbaye, plan de 1663.

Le numéro 20 de la rue du Rival, mitoyen de l’abbatiale, est l’ancien moulin de l’abbaye, donnant sur l’Ariège, avec son pan de bois à encorbellement. Le moulin apparaît sur les représentations de la ville dès 1663.

Le reste des bâtiments datant du XVIIIe siècle, bien que modeste, montre une architecture ordonnancée qui s’intègre parfaitement avec la façade de la préfecture installée dans l’ancien cloître de l’abbaye.

L’étude de faisabilité et le permis de démolir n’abordent jamais la valeur patrimoniale de ces bâtiments. L’étude se contente de dire que le nouveau projet cherchera à « remployer » des éléments de valeurs sans jamais les définir, ou parle de reconstruire à "l’identique" ce qui n’a aucun sens d’un point de vue patrimonial.

Techniquement :

La lecture attentive du rapport du bureau d’études SETERSO, mandaté par la Mairie, nous permet en effet de nous rendre compte :

  • Que les toitures sont neuves ou en bon état (sauf celle du 14 dont le faîtage doit être remanié.)
  • Que les murs très épais et solides ne présentent aucun faux aplomb ni aucune fissuration.
  • Que le dénivelé de la rue du Rival par rapport à la rive de l’Ariège est un problème important qui risque d’être même dangereux (tenue de la rue du Rival, des immeubles de l’autre côté de la rue, en cours de terrassement). Nous renvoyons les responsables à l’exemple actuel de la cathédrale de Montauban qui s’effondre à cause de travaux proches malgré les précautions qui avaient été prises pour éviter les glissements de terrain.
  • Qu’il n’est pas nécessaire de démolir le N° 20, ancien moulin de l’abbaye du XVIIe siècle qui ne souffre d’aucun problème structurel majeur et qui demeure l’un des joyaux du patrimoine fuxéen.

Économiquement :

Nous pouvons tout d’abord nous étonner qu’aucune comparaison entre un projet en restauration et un projet de démolition et de construction neuve ne soit faite.
Avec l’expertise des membre du collectif, nous pouvons estimer qu’une rénovation même lourde (pour peu qu’elle s’avère nécessaire) aurait un coût équivalent à une démolition et reconstruction totale.
Cependant l’option de la reconstruction nécessiterait un important surcout pour les opérations d’étaiement et de mise en sécurité de la rue du Rival, opérations rendues nécessaire en cas de démolition.

Écologiquement :

  • Envoi à la décharge de plus de 3000 tonnes de matériaux dont la majeure partie ne peut être éliminée.
  • Mise en place d’une quantité analogue de matériaux neufs pour remplacer les matériaux existants détruits, venant de tous les coins du département. On imagine aisément l’impact d’un chantier de cette ampleur et notamment le ballet de camions lourds dans la rue du Rival et l’impact sur le commerce de centre-ville.
    Maquette état des lieux actuels

Nous proposons donc :

  • Une rénovation responsable en conservant les façades et les éléments de second œuvre en bon état et de changer les planchers, en utilisant des planchers modernes, très légers dont le poids s’approche de celui en place et dont les caractéristiques de résistance, d’isolation acoustique et thermique satisfont aux normes actuelles.
  • Traitement des murs (pans de bois) par un doublage intérieur avec un mur en chanvre chaux, largement utilisée dans les nombreux centres-villes français qui possèdent un patrimoine à pans de bois.
    Maquette de proposition de valorisation respectant le patrimoine

Pascal Roberts-Cols, Délégué de Sites & Monuments pour l’Ariège

Voir l’article de ladepeche.fr du 3 octobre 2021