Nous dressons, à l’occasion de ce premier article consacré au tag, un état du droit pénal applicable, distinguant notamment le cas des bâtiments privés, publics et des monuments historiques.
Henry-Jacques Espérandieu (1829-1874) est un architecte né à Nîmes en 1829 dont la carrière s’est déroulée essentiellement à Marseille. Après des études d’architecture à Paris auprès de Léon Vaudoyer (1803-1872), il accompagne ce dernier dans les travaux qui lui sont confiés à Marseille, puis s’installe définitivement à Marseille où il mène une brillante carrière. Il trace notamment les plans de Notre-Dame de la Garde, la « Bonne Mère » chère au cœur des Marseillais, édifiée entre 1853 et 1864.
C’est en 1864, à la suite de ce premier chantier, que la ville le charge de dessiner un bâtiment destiné à abriter la bibliothèque municipale et l’école des Beaux-Arts. L’édifice sera achevé l’année de sa mort, en 1874. Le palais des Arts est aujourd’hui encore propriété de la ville. Son jardin est malheureusement divisé entre la mairie centrale et la mairie d’arrondissement, ce qui en complique la gestion et la restauration.
Sur le côté du bâtiment principal, longeant la rue de la Bibliothèque, se trouve une « annexe », dont la façade qui fait face à un petit jardin public est aveugle. Pour l’orner, Espérandieu la dote d’une fontaine monumentale, dénommée également Carli, du nom de la place adjacente.
La construction est en pierre et briques, l’eau est crachée dans une vasque par un important mascaron féminin dont l’abondante chevelure bouclée est ornée de putti. Il s’agit d’une œuvre du sculpteur Jules Cavelier (1814-1894), élève du sculpteur David d’Angers (1788-1856) et du peintre Paul Delaroche (1797-1856).
Au dessus, en bas-relief, une voûte en berceau à caissons simulée est elle-même placée sous un fronton triangulaire. Au milieu de ce dernier se trouve le blason de la ville de Marseille porté par des putti marins, une allusion à la vocation maritime de la ville.
Un ensemble de bâtiments protégé au titre des monuments historiques
L’ensemble des bâtiments du palais des Arts, y compris la fontaine dite « Espérandieu », est protégé au titre des monuments historiques depuis 1994. L’« ensemble des bâtiments avec leur décor et leur mobilier d’origine, à l’exception des parties classées (cad. C 240) » ont d’abord fait l’objet d’une inscription par arrêté du 1er octobre 1994, puis les « façades et toitures ; escalier d’honneur ; salle des fêtes, salle de lecture, réserves, salle de conférence avec leur mobilier et leur décor d’origine (cad. C Thiers, 1er arrondissement, 240) » ont fait l’objet d’un classement par arrêté du 18 novembre 1997 (voir ici). La façade comportant la fontaine appartient bien à la parcelle cadastrale 240 de la feuille n°1 de la section 0C (voir ici). Elle est donc classée au titre des monuments historiques.
Des tags à répétition induisant un délitement de la pierre
Aujourd’hui, ce bel élément du décor urbain n’est plus que l’ombre de lui-même comme le montre la photo suivante prise en août 2021 :
Des nettoyages sont effectués par la mairie mais ils se révèlent inopérants et surtout nocifs pour la pierre qui devient pulvérulente. Les tagueurs se remettent en effet à l’œuvre rapidement, comme le prouve l’historique des photos de Google Streetview. Par exemple, en juillet 2017, la fontaine semble intacte mais, en juillet 2018, elle est de nouveau entièrement souillée. Depuis cette date, la fontaine a de nouveau été nettoyée et re-taguée plusieurs fois.
Sites & Monuments a adressé plusieurs courriers sur ce sujet à la mairie, demandant en particulier qu’une clôture dissuasive soit installée et, plus généralement, que cet espace soit réhabilité : restauration, mise en eau de la fontaine, éclairage, vidéosurveillance, panneau relatant l’histoire du Palais des Arts, son statut de monument historique, explicitant les effets sur la pierre de nettoyages à répétition et les peines encourues…
Les tags, le patrimoine et le droit pénal
Ce dossier est l’occasion de revenir sur la nécessaire répression des tags, dégradation du paysage attaquant en outre profondément les supports qui en sont revêtus. On observe ainsi nettement la dégradation de la pierre du mascaron de la fontaine, montrant une pénétration profonde de la peinture.
Le code pénal prévoit une gradation dans les sanctions selon que les tags affectent un édifice privé (ce qui nuit évidemment au paysage commun), un édifice public au sens large ou, infraction la plus réprimée, un monument historique (ou un édifice du culte). C’est à cette dernière catégorie qu’appartient la fontaine du Palais des Arts de Marseille.
- Tags sur un édifice privé
L’article 322-1 du code pénal dispose que « Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger. »
Cette peine est en revanche punie de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende lorsque le dommage est autre que léger. Le site servicepublic.fr définit ainsi le « dommage important [comme] celui qui cause des dégâts plus lourds, voire définitifs. Par exemple, si une peinture indélébile est propulsée sur un objet d’art coûteux. »
Ainsi, un tag fait avec une peinture particulièrement agressive, sur un support manifestement fragile, peut justifier cette sanction majorée. Nous considérons que le "dommage léger" correspond à des supports protégés (tags sur une devanture ou une façade peintes), mais pas à un support nu, en particulier s’il est poreux (façade en pierre de taille, brique, etc...)
- Tags sur un édifice public
L’article 322-3 du code pénal prévoit 15 000 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général pour un tag sur un bien « destiné à l’utilité ou à la décoration publique et appartient à une personne publique », cette peine étant portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende en cas de dommage important.
Ces même peines majorées s’appliquent lorsque le tag, bien qu’affectant un édifice privé, a été réalisé en dissimulant son visage afin de ne pas être identifié, ou en compagnie d’un complice ou d’un co-auteur (voir article 322-3 du code pénal 1° et 7°).
- Tags sur un monument historique
L’article 322-3-1 du code pénal prévoit - cette fois sans distinguer selon le caractère léger ou non du dommage - de punir de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende « la destruction, la dégradation ou la détérioration » d’« un immeuble ou objet mobilier classé ou inscrit en application des dispositions du code du patrimoine […] », du « patrimoine archéologique » ou d’« un édifice affecté au culte. »
C’est dans ce cadre que doivent être réprimés les tags à répétition faits sur la fontaine du Palais des Arts, classée au titre des monuments historiques.
Tags : des vandales signant leur forfait
La fontaine du Palais des Arts montre un tag constitué du chiffre « 7 » stylisé, lui-même légendé par l’inscription « 7 click ». Ce tag a été repéré cet été dans d’autres lieux à Marseille et semble particulièrement répandu dans l’Est de la France !
Des sites spécialisés montrent ainsi des tags identiques réalisés, depuis de longues années, en Lorraine, dans la région de Metz ou de Strasbourg (voir ici, ici, ici ou ici)
Ces sites, mettant souvent en avant le mot « vandale », reproduisent les dispositions du code pénal afin de se dédouaner, mais ignorent, semble-t-il, l’existence de peines majorées pour un tag réalisé sur un monument historique. La procureure de la République à Marseille - que nous avons saisie - pourrait, en lien avec ses homologues de l’Est de la France, trouver une occasion de le rappeler.
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
François Béchade, secrétaire général adjoint de Sites & Monuments
Lire notre plainte au Procureur de la République