Tribune du JDD du 6 novembre 2022 : "Monsieur le Président de la République, imposez l’annulation du projet Austerlitz !"

Nous avons participé avec plaisir à l’écriture de cette tribune du Journal du Dimanche relative au projet immobilier de la gare d’Austerlitz à Paris. Signée par de nombreuses personnalités de tous bords politiques, elle montre le rejet unanime, pour des raisons tant environnementales que patrimoniales, d’un projet d’une brutalité inouïe dénaturant un quartier de Paris et trois monuments historiques mitoyens.
L’ajout à cette tribune d’illustrations, toute situées sur le plan masse du projet, permet de réaliser combien son abandon par l’État (Agence française de développement) est nécessaire.
JL

Plan de masse projet Austerlitz avec points de vues des figures 1 à 5.

Monsieur le Président de la République,

Un projet immobilier climaticide et hors d’échelle, d’une rare agressivité, devrait voir le jour à Paris, au cœur d’un site historique comprenant la grande verrière de la gare d’Austerlitz, l’hôpital de la Salpêtrière et le jardin des Plantes.

Fig. 1. Projet vu depuis le boulevard de l’hôpital, dos au jardin des Plantes.
© Kaufmann - Feichtinger.

Ce projet est financé par l’Agence française de développement (AFD), établissement public dont vous nommez le directeur général, et qui joue un rôle central dans votre action diplomatique en faveur du climat. Sa mission statutaire est en effet de « contribuer à la mise en œuvre de la politique d’aide au développement de l’État à l’étranger, notamment en finançant […] la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement »[1].

Fig. 2. Projet vu depuis le cours de l’Arrivée, au sein de la gare d’Austerlitz.
© Kaufmann - Feichtinger.

Nous sollicitons votre intervention pour mettre un terme à ce scandale dans lequel l’AFD doit invertir 924 M€ d’argent public[2] dans un projet immobilier qui consiste à édifier un bâtiment monolithique vitré de 300 mètres de long sur 37 mètres de haut à côté de la gare d’Austerlitz. Cette muraille abriterait notamment 50 000 m2 de bureaux, ainsi qu’un centre commercial grand comme 5 hypermarchés, et écraserait les trois monuments historiques mitoyens : la grande verrière d’Austerlitz [3], la Salpêtrière, édifice du XVIIe siècle prolongé par le square Marie Curie [4] et le jardin des Plantes [5].

Fig. 3. Projet vu depuis le cours de l’Arrivée, au sein de la gare d’Austerlitz.
© Kaufmann - Feichtinger.

Comme le soulignent les hauts-fonctionnaires du Conseil immobilier de l’État à propos de cette opération, « si l’on considère que la construction d’un bâtiment représente 60% des dégagements de gaz à effet de serre, le choix d’un site à construire interroge[6] ». Les émissions de CO2 induites par ce projet représentent en effet l’équivalent de celles de centaines de milliers d’habitantes et habitants des pays les moins avancés, aujourd’hui les plus vulnérables aux effets du changement climatique. L’AFD va ainsi à l’encontre de sa mission.

L’AFD s’engage en outre dans ce choix d’investissement sans étude préalable coût-bénéfice[7] et paye les bureaux à un prix supérieur de 50% aux transactions constatées à proximité, ce alors que l’immobilier de bureaux connaît une crise historique – plus de 4 millions de m2 de bureaux cherchent preneur en Ile-de-France –, qu’une alternative sensiblement moins coûteuse existe à Saint-Ouen, et que les bureaux actuels de l’AFD sont sous-occupés du fait du développement du télétravail.

Fig. 4. Projet vu depuis le square Marie Curie, devant l’hôpital de la Salpêtrière.
© Kaufmann - Feichtinger.

Enfin, l’AFD acquiert des surfaces excédant très largement ses besoins[8], se faisant ainsi promoteur immobilier à Paris, activité qui ne rentre nullement dans son objet statutaire.

Monsieur le Président de la République, vous avez, au cours de votre précédent mandat, annulé des projets manifestement contraires aux impératifs de la lutte contre le dérèglement climatique, tels que les projets Europacity et Notre-Dame des Landes, quoiqu’il en ait coûté. À Austerlitz, les travaux n’ont pas débuté, il est encore temps d’annuler ce projet toxique.

Fig. 5. Projet vu depuis le boulevard de l’Hôpital avec le square Marie Curie.
© Kaufmann - Feichtinger.

Alors que les conséquences du dérèglement climatique se font sentir de manière de plus en plus aiguë, alors que l’Éducation nationale, l’hôpital public, la justice sont confrontés à une pénurie dramatique de moyens, laisserez-vous un établissement public dilapider près d’un milliard d’euros d’argent public dans un projet climaticide, désastreux pour le patrimoine parisien et économiquement absurde ?

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

Les signataires :

Rodrigo Arenas (député), Delphine Batho (députée), Stéphane Bern (journaliste, mission Patrimoine), Dominique Bourg (professeur honoraire, université de Lausanne), Sandrine Rousseau (députée), Cedric Villani (mathématicien, ancien député), Claire Waelbroeck (paleoclimatologue), Thomas Wagner (fondateur du média Bon Pote), David Belliard (adjoint mairie de Paris), Anne Biraben (conseillère de Paris), Patrick Bouchain (architecte), Anne-Claire Boux (adjointe mairie de Paris), Guy Burgel (professeur d’urbanisme à l’Université Paris Nanterre), Benoît Derouet (président des Amis de la Terre Paris), Nour Durand-Raucher (conseiller de Paris), Corine Faugeron (conseillère de Paris), Alexandre Florentin (conseiller de Paris), Alexandre Gady (professeur d’histoire de l’art moderne), Jérôme Gleizes (conseiller de Paris), Antoinette Guhl (vive-présidente de la métropole du Grand Paris), Frédéric Hocquard (adjoint mairie de Paris), Alain Juillet (Institut des Hautes Études pour la Science et la Technologie, Conseil économique de défense), Fatoumata Koné (conseillère de Paris), Julien Lacaze (président de Sites & Monuments), Olivier Le Marois (président des inCOPruptibles), Albert Lévy (architecte urbaniste), Emile Meunier (conseiller de Paris, président de la commission urbanisme), Christine Nedelec (présidente de FNE Paris et Vice-Présidente de FNE IDF), Jean-Baptiste Olivier (conseiller de Paris), Thierry Paquot (philosophe), Jacques Perreux (président des ami.e.s de la Roya), Christophe Prudhomme (médecin hospitalier Conseiller régional d’Ile-de-France), Raphaëlle Rémy-Leleu (conseillère de Paris), René Roudaut (ancien ambassadeur), Chloé Sagaspe (conseillère de Paris et porte parole d’EELV), Raphael Scharfmann (directeur de recherche INSERM), Alice Timsit (conseillère de Paris), Jean-Paul Vanderlinden (professeur d’économie à l’Université Paris-Saclay), Marion-Emi Alix (co-secrétaire EELV 13e), Yolande Bernard (habitante du 13e), Sylvie Brély (habitante du 13e), Pierre-Alain Brossault (président d’écologie pour Paris), Yves Contassot (militant écologiste), Jean-Luc Da Lage (habitant du 13e), Seinde Doucoure (habitant du 13e), Irina Drozd (Attac Paris 13e), Morgane Lacombe (élue du 13e ), Patrice Lanco (habitant du 13e), Roland Larivière (Regard Naïf), Marie-Pierre Marchand (élue du 13e), Alain Marnat (compositeur), Juan-Pablo Ramos-Gutiérrez (habitant du 13e), Danielle Sauterel (habitante du 13e), Emma Scharfmann (Université de Berkeley)

[1] Art. 515-13 du code monétaire et financier
[2] Avis du Conseil immobilier de l’État du 16 juin 2021
[3] Inscrit MH partiellement le 28/02/1997. Notice PA75130001
[4] Classé MH le 14/12/1976 et inscrit MH le 14/12/1976. Notice PA00086592
[5] Classé MH le 24/03/1993. Notice PA00088482
[6] Avis du Conseil immobilier de l’État du 16 juin 2021
[7] Idem
[8] Idem

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