Sept éoliennes frappées d’une obligation de démolition sous astreinte à Bernagues-Lunas (Hérault)

Les sept éoliennes des hauteurs de Bernagues (Hérault) vont-elles enfin disparaître d’un paysage dans lequel elles n’auraient jamais dû faire irruption ? Un jugement du 19 février 2021 du tribunal judiciaire (civil) de Montpellier autorise un sérieux espoir. Le sud du Massif Central, et la zone de transition vers les Pyrénées (Aveyron, Hérault, Aude) figurent parmi les derniers refuges, en France, des grands rapaces diurnes. Une protection rigoureuse a été décidée pour permettre à ces beaux voiliers de nidifier à nouveau dans ces contrées – avec un certain succès, puisque la population d’aigles royaux en Languedoc-Roussillon est évaluée aujourd’hui à cinquante couples. Mais ces efforts sont contrariés par l’invasion des éoliennes.

Chaque implantation d’un de ces engins, y compris les voies d’accès et la déforestation, se traduit pour les grands oiseaux par la perte de plusieurs hectares d’habitat naturel. Et les éoliennes sont des tueuses : les extrémités de leurs pales peuvent tourner à 300 km/h, si bien que les victimes sont abattues sans avoir rien vu venir. En Languedoc, on a déploré ces derniers temps le meurtre de trois vautours fauves, d’un vautour moine et d’un aigle royal. Ce sont ces morts qui ont décidé les tribunaux à mettre le holà. Elles s’ajoutaient d’ailleurs à celle de trente faucons crécellerettes sur le causse d’Aumelas au nord de Sète, et l’effectif des victimes était sous-estimé, car les charognards (renards notamment) enlèvent la plupart des cadavres avant le passage des témoins éventuels. L’affaire de Bernagues (commune de Lunas) est complexe.

Soixante associations du nord de l’Hérault et du sud de l’Aveyron se sont fédérées par le collectif pour la Protection des Paysages et de la Biodiversité du 34-12. Soutenues en justice par la SPPEF – Sites & Monuments et défendues par Me Nicolas Gallon, avocat au barreau de Montpellier, elles ont combattu un premier permis de construire, délivré par le préfet en 2004. La cour administrative d’appel de Marseille leur ayant donné tort, le Conseil d’État a cassé son arrêt et renvoyé l’affaire devant la même cour, autrement composée. Cette fois, la cour de Marseille a annulé le permis, et le Conseil d’État a rejeté le recours dirigé par le promoteur contre cette décision.

Nullement découragé, le préfet de l’Hérault n’a pas hésité à délivrer un second permis sur le même site, en 2013, sans nouvelle instruction. Ce faisant, il continuait de s’appuyer sur l’étude d’impact de 2003, réalisée à la diligence du promoteur éolien, et selon laquelle la présence d’aigles royaux dans la zone n’était pas confirmée.

Menant la politique du fait accompli, le promoteur s’est empressé d’implanter les sept éoliennes sur cette base, sans attendre l’issue du recours déposé par les opposants. En 2016, l’étude d’impact s’est révélée fallacieuse, un couple d’aigles royaux ayant nidifié non loin du site de Bernagues. En conséquence, la cour d’appel administrative de Marseille a annulé le second permis par arrêt du 26 janvier 2017, et le Conseil d’État, le 8 novembre 2017, a « non-admis » le recours du promoteur.

Ainsi, les opposants de Bernagues ont remporté trois victoires successives devant la haute assemblée ! Entre-temps (août 2017), un aigle royal juvénile avait été tué par une éolienne non loin de Bernagues. Son corps avait été caché par un charognard, et n’aurait sans doute jamais été découvert, sans l’émetteur GPS dont l’oiseau avait été muni dans son enfance. Puis, sous les éoliennes de Bernagues, un vautour moine, d’une espèce qui bénéficie d’un PNA (Plan National d’Action) a été retrouvé par le bureau d’étude du promoteur, et déclaré à la DREAL.

Une particularité du droit français tient au partage des tâches : les tribunaux administratifs, quand ils ont annulé un permis de construire, ou une autorisation qui en tient lieu, n’ont pas le pouvoir d’ordonner la démolition. Les opposants doivent s’adresser alors aux tribunaux civils et recommencer, en quelque sorte, le procès, en suivant les différentes étapes.

Ce système protège puissamment les constructeurs fautifs (éoliens ou autres). C’est ainsi que les opposants de Bernagues ont été conduits à demander au tribunal judiciaire de Montpellier (civil) d’ordonner l’enlèvement des engins implantés de manière illégale. Le promoteur a opposé à cette demande l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme (voir ici), qui limite les zones dans lesquelles une démolition peut être ordonnée. C’est une disposition restrictive adoptée par le Parlement en 2015, dans le cadre d’une « loi Macron » (alors ministre des finances) pour la croissance, à la demande des constructeurs, éoliens ou autres. Parmi les zones où l’on peut démolir figurent (1° a de l’article) les paysages, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. Ce patrimoine montagnard n’étant pas défini par les textes, il appartient aux tribunaux d’apprécier souverainement son étendue, cas par cas. Dans ce cadre, le tribunal judiciaire de Montpellier a jugé que le secteur de Bernagues est caractéristique du patrimoine montagnard.

C’est d’ailleurs l’évidence. Bernagues, espace remarquable, se trouve sur l’Escandorgue, massif volcanique culminant à 851 mètres et offrant des vues étendues sur le bas-pays. Le site contient une ZNIEFF et une ZPS (zone de protection spéciale des oiseaux). Il est traversé par deux chemins de grande randonnée. En conséquence, le jugement du 19 février 2021 ordonne au promoteur de démonter les sept éoliennes dans les 4 mois, sous astreinte de 9 000 € par jour de retard.

Il s’agit, à ma connaissance, du troisième ordre de démolition d’éoliennes émis par un tribunal civil. Mais les deux précédents se présentaient différemment : ils ne faisaient pas suite à une annulation de permis ou d‘autorisation, et se fondaient sur un trouble anormal de voisinage. Dans le premier cas (concernant un domaine viticole de l’Aude), les bénéficiaires du jugement ont transigé, si bien que les éoliennes sont toujours en place. Dans le second cas (concernant un château du Pas-de-Calais), la cour d’appel, puis la Cour de cassation ont jugé que les troubles de voisinage relevaient des tribunaux de l’ordre administratif. Cette fois encore, les engins sont toujours là. Le tout récent jugement de Montpellier présente une particulière importante, car c’est le premier ordre de démolition consécutif à l’annulation d’un permis de construire ou d’une autorisation équivalente. Et la loi prévoit expressément (dans les limites fixées par l’article L. 480-13) que la démolition doit s’ensuivre.

Le long parcours des opposants de Bernagues n’est pas achevé pour autant. Ils devront sans doute assurer leur défense devant la cour d’appel, puis éventuellement devant la Cour de cassation. Peut-être devront-ils, en fin de procédure, requérir le concours de la force publique pour faire enlever les engins irréguliers. Mais ils ont mis fin à une sorte de fatalité. Les promoteurs tentés de mener la politique du fait accompli au détriment des paysages et de la faune savent maintenant qu’ils ne sont plus du tout certains de triompher.

Patrice Cahart, ancien conseiller à la Cour de cassation, adhérent de Sites & Monuments

Consulter le jugement du tribunal judiciaire de Montpellier du 19 février 2021