La villa Barboussat est l’un des rares témoins de l’œuvre de l’architecte Henry Jacques Le Même à Chambéry (Savoie). Cette maison bourgeoise, commandée par Mme et Mr René Barboussat, gérant d’une société de peinture, a été construite en 1953. Elle se développe sur trois niveaux – rez-de-chaussée - bel étage - et combles – d’une surface au sol d’environ 150 m² chacun. L’architecte l’a conçue dans un style régionaliste, mouvement architectural très répandu dans l’entre-deux guerres considérant que la modernité est aussi une interprétation de la tradition. Dans le cas présent, la tradition réside dans un soubassement en pierres et une toiture en ardoise avec coyaux. Mais la maison est résolument moderne dans sa forme, ses ouvertures et dans sa distribution. Elle fait aussi écho à l’architecture Art Déco avec le salon en demi-rotonde.
Depuis les premières esquisses qui débutent en 1948, jusqu’au certificat de conformité délivré en mars 1954, la maison a fait l’objet de plusieurs variantes extérieures et intérieures, proposées par l’architecte, à la fois dans le projet (au moins 5, sans compter de petites variantes) et dans les détails (par exemple 8 propositions pour les grilles de clôture côté rue). De par sa formation classique et raffinée et par sa grande expérience professionnelle, Henri Jacques Le Même a su proposer des motifs originaux, notamment pour la menuiserie et la ferronnerie.
L’architecte utilise régulièrement le traitement du soubassement en pierre et la partie haute en enduit blanc. Ici, le rez-de-chaussée entièrement recouvert de pierre constitue le soubassement et le bel étage est recouvert d’un enduit légèrement texturé blanc. Au-dessus, les combles habités forment un volume charpenté couvert d’ardoises et éclairé par des lucarnes jacobines à frontons. Après une première impression de sobriété, l’œil est attiré par l’ingéniosité et l’élégance des détails : les marches de l’escalier extérieur avec un travail en retrait de la contremarche, la sous-face de toiture avec des bordures soulignées par un ou deux réglets, puis le dessin des portes, à chaque fois différent, mais toujours en résonance, et la ferronnerie de la clôture, des grilles de défense, des poignées de porte ! A l’intérieur l’imagination créatrice continue avec les sols en grès cérame qui composent des motifs originaux à la manière d’un tapis, les cheminées en briques, les placards à panneaux avec plusieurs sortes de bois, les niches à radiateur, la rampe d’escalier en ferronnerie, le calepinage savant des mosaïques de la salle de bain, tout témoigne de la modernité de l’architecte, de son raffinement appris chez les plus grands décorateurs et de sa belle maîtrise des différents corps de métier.
Mais cette villa est aujourd’hui menacée.
Bien que située à l’intérieur d’un Site Patrimonial Remarquable (la ZPPAUP, créée en 2013, transformée en AVAP en 2018, a pris ce nom conformément à la loi LCAP de juillet 2016), elle ne bénéficie pas de la protection ponctuelle « bâtiment à conserver ». La méconnaissance du nom de son auteur, son architecture élégante mais dénuée d’ostentation, le peu de prise en compte des maisons individuelles des trente glorieuses jusqu’à une date récente ont sans doute joué dans ce sens lors de la phase d’élaboration de la protection.
En 2018 un projet de démolition pour la construction d’un immeuble conséquent n’a pas posé de problème dans un premier temps. Le centre-ville est à deux pas, la tendance est à la densification, il faut construire la ville sur la ville, aussi le permis de construire est accordé.
Mais une association de riverains se mobilise, trouve le nom de son auteur – Henry Jacques Le Même - dont l’œuvre est bien connue localement grâce au travail mené par le CAUE de la Haute-Savoie et dépose un recours pour la conservation de ce patrimoine du XXe siècle.
La Ville retire son autorisation et commande rapidement une étude patrimoniale qui va révéler un objet architectural dessiné dans les moindres détails, de la clôture à la poignée de porte, et qui n’a connu que peu d’évolution depuis sa construction. Cependant l’étude patrimoniale n’a pas convaincu le juge qui vient de donner raison au promoteur lésé. La Ville entend faire appel de cette décision.
De quels moyens dispose-t’on pour sauver ce qui reste de l’architecture de cette époque, « invisibilisée », mal aimée car mal connue, et en définitive peu reconnue ? Quelle réponse pour un cas comme celui-ci, dans un contexte d’urgence et quand tout semble ligué contre sa conservation ?
Michèle Prax et Maxime Boyer, adhérents de Sites & Monuments