À Lesconil, une zone littorale remarquable en danger et un hôtel Art déco menacé

Le projet de rénovation et d’extension du Grand hôtel des Dunes défigure le bâtiment d’origine et son environnement.

L’hôtel et son environnement dans les années, carte postale du milieu du XXème siècle, collection Jean-Marie Le Bec

Situé à Lesconil dans le sud Finistère, au cœur d’une zone naturelle protégée en bord de mer, un hôtel historique est menacé par un projet immobilier hors de proportions. Il risque d’être bordé de barres de hangars, défigurant au passage le paysage.

Un lieu d’exception

Devant le terrain actuel du Grand hôtel des Dunes et juste devant les bâtiments du projet, un rocher emblématique « la Chaise du Curé », photo Henri Moreau, Wikipédia
Croix des amoureux de Lesconil, avec en arrière-plan la partie supérieure du pignon blanc de l’hôtel des dunes, parfaitement intégré dans le paysage, et la zone destinée à être couverte de barres d’immeubles, photo Henri Moreau

Le Grand hôtel des Dunes est situé tout en bordure du littoral, dans une ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) de type 1, à 500 m de la zone Natura 2000 de Penmarc’h. C’est un espace dunaire en plein milieu naturel, non loin des rochers de Karreg Kreiz et du Goudoul. Ces rochers, façonnés par la houle, laissent place à l’imagination : le paysage, comme beaucoup d’endroits en Bretagne, prend des allures bien différentes selon l’heure où l’on s’y promène. Le « sentier des douaniers », le célèbre GR 34 qui borde l’ensemble des côtes de Bretagne sur près de 2 000 kilomètres, le traverse. Des fleurs et des plantes sauvages caractéristiques de certains littoraux, y poussent en toute sécurité. C’est en ces lieux qu’au printemps s’épanouit l’euphragie à larges feuilles et la cocrète maritime. Rien qu’aujourd’hui, en cette fin de mois d’août, nous avons pu observer sur la dune juste devant l’hôtel, des fleurs de panicaut des dunes, de la lagure ovale, des ajoncs, du lotier corniculé, de la silène maritime, de l’aneth, de l’armérie, de la criste, des linaires des sables et des bettes.

Eufragie à larges feuilles ou parentucellia latifolia, photo Bart et Susan Eisenberg Wikipédia
Panicaut des dunes, photo Louis Firmin

À elle seule la cocrète maritime ou bartsia trixago justifierait l’existence de la ZNIEFF. Mais on y trouve aussi trois plantes particulièrement menacées : le panicaut, ou chardon bleu des dunes (eryngium maritimum), la linéaire des sables (lienaria aenaria) et l’eufragie (parentucellia latifolia), qui pâtissent déjà de la surfréquentation du haut de cet espace.

Linaire des sables ou Linaria Arenaria, photo valnature

Des animaux sauvages, dont certains sont protégés, habitent ce cordon dunaire : salamandres tachetées, orvets, couleuvres, lézards, libellules, sans compter les oiseaux marins [1]. De fait, en reliant les milieux littoraux, la dune permet une continuité écologique locale et constitue un réservoir régional de biodiversité. On y entend striduler des criquets et des sauterelles dont l’éphippigère des vignes et le gomphocère tacheté, qui sont classées parmi les espèces patrimoniales protégées. Le jour, des lézards des murailles ou à deux raies prennent le soleil sur les pierres, surtout l’été. Notons que ces reptiles, protégés par l’arrêté du 19 novembre 2007, sont particulièrement menacés : la segmentation de leur territoire par des bâtiments même de faible hauteur empêche le brassage génétique indispensable à la survie de l’espèce et l’on recommande la construction de murets de pierres sèches pour ne pas isoler les individus.

Le lézard des murailles, photo Aurélien Coudurier, Wikipédia

On peut y croiser, tard dans la nuit, un hérisson ou observer le vol saccadé des chauves-souris. Le promontoire entre l’hôtel et la mer est une zone de transit et un territoire de chasse pour un grand nombre d’espèces de chiroptères. Cet espace, encore sauvage, est également un lieu où les oiseaux peuvent vivre, nicher, se nourrir, chasser et se reposer entre deux étapes de migration. On y trouve des oiseaux de bosquets ou de jardins, mais également des oiseaux des dunes. Au milieu de la zone envisagée pour les travaux se trouvent très probablement des nids de linottes mélodieuses et très certainement d’alouettes des champs. Ce sont les lieux de vie et de subsistance d’un grand nombre d’espèces, dont certaines sont protégées, à l’année ou lors de leurs migrations : pipit maritime ou farlouse dans les dunes, chardonneret élégant, serin cini ou verdier d’Europe plus près de l’hôtel actuel.

Linotte en train de construire son nid, photo Dominique Armange, Wikipédia

C’est un endroit où la nuit est profonde et silencieuse. Les constructions à venir doivent donc le prendre en compte pour ne pas trop perturber le quotidien de ces espèces fragiles. Des bâtiments trop élevés et trop massifs perturberaient les repères des oiseaux migrateurs et prolongeraient dangereusement leur voyage. Cela déréglerait de manière générale l’horloge biologique de toute la faune sauvage et entraînerait, entre autres, des problèmes de reproduction [2]. Les chauves-souris, par exemple, qui ont l’habitude de chasser sur les dunes et en particulier entre l’hôtel et le rocher « La Chaise du Curé » situé juste en face à proximité de la mer, sont particulièrement vulnérables aux sons [3]. Il ne faudrait pas qu’un bâtiment s’approche trop près du GR34 et des zones protégées ; actuellement, les maisons et l’ancien hôtel sont placés sur le commencement de la dune, assez loin du trait de côte pour ne pas produire de nuisance sonore. De manière générale, pour préserver la faune et la flore sauvage qui s’épanouissent actuellement dans cet endroit préservé, il conviendrait que les bâtiments qui provoquent une lumière artificielle ne soient pas trop près de la zone naturelle. Et si celle-ci correspond au jardin de l’hôtel ou à son substitut, il faudrait interdire tout éclairage de celui-ci pendant la nuit.

Enfin, cet espace est physiquement vulnérable : l’eau y pénètre, donnant naissance à des sources d’eau douce au pied de la falaise. Il semble que tout se passe comme à la pointe du Millier en Beuzec-Cap-Sizun ou à Plouhinec : l’eau s’infiltre depuis la surface par le réseau de failles de la roche, nommées diaclases, puis en sourd par exsurgence à la base du promontoire rocheux [4]. En creusant en profondeur dans les roches existantes pour y aménager un parking souterrain, on mettrait en péril ce réseau hydrographique. À Conques, dans l’Aveyron, sur les contreforts d’un autre massif ancien, c’est en construisant un complexe souterrain sur les hauteurs de la commune, le Centre Européen, que les sources ont été taries [5]. De plus, le creusement de la roche en profondeur sous la dune et l’artificialisation de la surface entraîneraient à coup sûr un ruissellement d’eau de pluie vers les habitations situées en arrière dans cette partie de la dune que l’on appelle traditionnellement « la palue ». Et qu’adviendrait-il des animaux sauvages qui ne trouveraient plus de sources pour s’abreuver si ces points d’eau naturels s’en trouvaient asséchés ?
Sur la grève, en contrebas des rochers de l’hôtel actuel, se trouve un vieux lavoir de pierres [6], alimenté par l’eau de ces sources et donc pareillement menacé. Exploité depuis au moins le XIXème siècle, il était seulement creusé dans les galets de la plage et a été doté d’un mur de protection en 1928. C’est depuis longtemps l’un des symboles de Lesconil : il apparaît sur ses premières photos.

Le lavoir de Porz-ar-Feunteun, sur la grève à proximité de l’hôtel, photo Henri Moreau, Wikipédia

Lesconil a été labellisé en 2018 port d’intérêt patrimonial [7], « Plobannalec-Lesconil. Lettre ouverte pour un débat sur l’hôtel de La Plage », à l’occasion de la destruction de l’Hôtel de la plage. Comme le Grand hôtel des Dunes, c’était un emblème du patrimoine et de l’histoire touristique de la commune ; comme le Grand hôtel des Dunes, il était visible de la mer.

Un hôtel caractéristique des constructions des années 1930

Construit au début des années 1930 par Simone et François Le Bec, le Grand hôtel des Dunes est un superbe témoignage de la période des premiers congés payés ; celle de l’essor véritable du tourisme sur la côte bretonne. L’architecture du bâtiment principal reflète clairement le style architectural Art déco de l’époque : les fenêtres des deux façades sont allongées à la verticale et les portes de la grande salle du rez-de-chaussé qui s’ouvrent de part et d’autre de l’édifice, sont à pans coupés. Les proportions sont harmonieuses, la composition est équilibrée et ordonnée ; l’on a su intégrer les nouveautés de l’époque au style traditionnel caractéristique du littoral bigouden et l’hôtel s’intègre parfaitement dans le paysage.

Un endroit chargé d’histoires

Cet hôtel a été le témoin de la vie à Lesconil et en Pays bigouden depuis sa fondation. C’était le décor des réunions familiales, des repas de baptêmes, de communions ou de noces, des cafés d’enterrements, des repas de d’anniversaire [8]
Des personnalités y ont séjourné comme l’acteur Louis Jouvet ou le peintre Jean Le Merdy. La famille Spencer, parents de Churchill et de Lady Diana, y revenaient régulièrement. Plus récemment, peu de temps avant la fermeture, Daniel Mesguich, de la Comédie Française, acteur et metteur en scène y a logé. Il avait une chambre avec vue sur mer. On dit que quand Simone Veil y descendit, elle reçut un magnifique bouquet de fleurs, qu’elle renvoya pour décorer la grande salle quand elle apprit qu’il venait de François Mitterrand ! Les dunes et les rochers spectaculaires devant l’hôtel ont été photographiés et peints par un grand nombre d’artistes comme Michel King, Thierry Méheut, Jacques Godin, Paul Grégoire et Jean-Claude Quideau. Une photo du lavoir de Porz-ar-Feunteun vers 1920, qui met en scène les femmes de Lesconil, est une illustration parmi les plus connues de Lesconil. Les rochers du Goudoul ont été le décor de certaines scènes du film Les Naufrageurs (1959), réalisé en 1958 par Charles Brabant. Une partie de la population s’en souvient encore...

Lavoir de Porz-ar-Feunteun et les rochers de Karreg Kreiz vers 1920, carte postale Villard

Un projet destructeur

Depuis les années 30, l’établissement a été transmis dans la famille Le Bec : il est passé des mains de François Le Bec dit "Fanchic" à celles de sa fille Jeanne. L’activité a perduré jusqu’à la pandémie de Covid 19. L’édifice a été vendu en 2023, peu de temps après la crise. Des travaux intérieurs de recomposition, puis de désamiantage ont été effectués entre l’été 2024 et le printemps 2025. Tous souhaitaient voir refleurir un établissement ayant marqué la vie locale de Lesconil sur plusieurs générations, mais pas au prix de la destruction de l’environnement et du paysage du littoral.

Le Grand hôtel des Dunes, vu du GR34, photo Alain Lalau Keraly

L’acheteur, le groupe Legendre, est un acteur majeur de l’industrie du bâtiment en France. Il est ici représenté par sa société sœur : Suitcase Hospitality. Il a pour projet de réaliser un hôtel de luxe, quatre étoiles. D’après les documents à l’appui du permis de construire, nous avons pu voir que les annexes de l’hôtel devraient écraser le bâtiment principal. Certes la hauteur des ailes est limitée à 12 mètres (ce qui en ferait l’un des plus hauts bâtiments de Lesconil avec l’hôtel), mais elles atteignent 56 mètres de longueur ! Quant au garage, il est censé être creusé dans la roche, sous la dune (8 mètres de profondeur) ! Et le bardage sombre en fait un paysage de chalets suisses ou pire, de hangars de zone d’activités.

Vues, coupes et projections du permis de construire déposé auprès de la Communauté de communes du Pays bigouden sud

Pour réaliser un tel projet surdimensionné, les représentants du groupe Legendre ont persuadé les élus locaux responsables de l’urbanisme qu’un hôtel ne peut être rentable qu’à condition de disposer de 77 chambres. Si cela était le cas, bon nombre d’établissements en France et en Europe seraient déjà fermés ! Le but du Groupe Legendre et de sa société sœur Suitcase Hospitality semble bien ici d’optimiser la recherche du profit au mépris des règles environnementales, architecturales et d’intégration au cadre urbain.

Pour ce faire, le PLU de la commune a été modifié ; tout s’est passé comme s’il s’était agi de tailler la modification sur mesure (Délibération n° 415 du conseil municipal, le 26 juin 2025). Déjà, après l’enquête publique de février dernier, le commissaire enquêteur avait clairement notifié une réserve et deux recommandations subséquentes. Malgré tout, le PLU a été modifié. Le permis de construire a été affiché devant le Grand hôtel des Dunes le 21 juillet 2025. Des Lesconilois ont demandé des précisions à la mairie, obtenu des documents et découvert un projet déposé auprès des collectivités territoriales au mois d’avril !

Extraits du Rapport du commissaire Enquêteur

"Ces paramètres liés aux hauteurs permises, 12 ou 13,5 m laissent d’importantes possibilités qui ne seraient pas en cohérence avec le site, situé dans les EPR et partiellement compris dans une ZNIEFF. Conformément à l’article L121-13 du code de l’urbanisme, l’augmentation de l’emprise doit être compatible avec le principe de caractère limité des extensions de l’urbanisation. L’OAP ne fait apparaître aucun cône de vue, ni côté « terre », au nord de la rue Laennec, ni côté sud à partir de la mer et du GR 34, alors que la notice explicative rappelle bien la valeur patrimoniale de l’hôtel. Ces cônes de vue devraient figurer sur le schéma afin d’orienter les constructions, nouvelles ou extensions. "

"Le bâtiment existant devant servir de support aux extensions et/ou aux constructions nouvelles ayant une hauteur d’environ 18 m, quelle sera la hauteur réelle des futures constructions : au dossier d’enquête la description de l’OAP mentionne « .…afin que la hauteur au faîtage du projet ne dépasse pas celle du bâtiment de l’hôtel existant ». La hauteur a son importance pour l’ensemble vu de la mer et du GR 34 mais surtout pour les maisons individuelles au nord, à l’est ou à l’ouest. J’estime que sur ces points le règlement écrit du PLU n’est pas suffisamment précis pour encadrer les constructions possibles dans ce sous-secteur Uhb1 créé, pour limiter raisonnablement les incidences potentielles aux riverains (ensoleillement, vues, valeur des biens…). Je formulerai donc une réserve sur le point A de la présente modification n°3 du PLU de la commune de Plobannalec-Lesconil."

De fait, les élus en charge de l’urbanisme semblent n’avoir tenu aucun compte de la réserve du commissaire enquêteur et ont accordé plusieurs dispositions, qui peuvent apparaître établies à dessein, au Groupe Legendre / Suitcase Hospitality :

  • Modification du niveau d’égout, permettant d’augmenter la hauteur des constructions.
  • Autorisation de hauteurs supérieures à celles du PLU initial.
  • Extension de l’emprise au sol.
  • Diminution de 4 à 3 mètres de la distance minimale avec les propriétés avoisinantes.
  • Usage de matériaux inadaptés au contexte urbain.
  • Ajout d’ailes compromettant l’architecture historique.
  • Non-respect des cônes de vue.
  • Décalage de l’ensemble du projet déposé avec les orientations générales du PLU (Harmonie des constructions et des aménagements avec le bâti et le paysage existants).

Une réaction instantanée

Les Lesconilois ont été très surpris par ce qu’ils ont découvert ; et pour cause, un projet tout à fait acceptable existait encore sur le Net ; le nouveau n’était connu que de bien peu de gens. Comment concevoir que les constructions et modifications nécessaires à une hôtellerie moderne devraient défigurer l’existant ? Tout le monde était favorable à la résurrection de l’hôtel et non à la défiguration du bâtiment ainsi qu’à celle de la côte qui le longe. Personne ne voulait mettre en péril la palue et ses habitants sauvages.

En quelques jours, un collectif nommé « Pas de barres près des Dunes » a été constitué pour s’opposer au projet, collectif auquel ont pris part les délégués de Sites et Monuments pour le Finistère. Une pétition a été mise en ligne. En quatre jours, elle avait déjà recueilli plus de 1 000 signatures ! L’affaire est donc à suivre...

Jean-Marie Le Bec, membre du collectif « Pas de barres près des Dunes »
Sophie Grosjean-Agnes, délégué adjoint Sites & Monuments pour le Finistère
Frédéric Hérembert-Larnicol, délégué Sites & Monuments pour le Finistère

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