La maison du Parc National des Pyrénées de Gavarnie d’Edmond Lay sauvée de la démolition !

La maison du Parc National des Pyrénées de Gavarnie côté nord. Photo Sophie Descat / Sites & Monuments.

Une brèche est ouverte

Après plus de deux ans de controverse patrimoniale (voir notre précédent article), le préfet des Hautes-Pyrénées a tranché. En signant le 27 janvier 2025 l’arrêté refusant le permis de construire au dossier soumis par l’agence Kengo Kuma and Associates, lauréate du concours lancé en mai 2022 par le Parc National, il permet la préservation de l’édifice existant : une œuvre significative de l’architecte Edmond Lay inaugurée en 1981, silhouette devenue familière, pleinement intégrée à son site montagnard.

Les motifs ? Ils sont nombreux, et instructifs. Certains avaient été mis en exergue par les associations rassemblées en collectif, dans le texte de la pétition en ligne qui a servi d’alerte et récolté près de 12 000 signatures. D’autres ont été soulignés dans différents articles, émanant de la presse régionale ou spécialisée, jusqu’à la brève prémonitoire du numéro annuel d’AMC de décembre 2023-janvier 2024.

Joint à l’arrêté préfectoral, l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France est sans détour : le respect de la règlementation du Site Patrimonial Remarquable de la commune représente une servitude d’utilité publique, et aucun projet, dût-il émaner de l’État, ne peut s’y soustraire. Les éléments de storytelling mis en avant par la maîtrise d’œuvre ne suffisent pas : même en employant lauzes et chaume un toit plat ne devient pas un toit « local » et ne permet pas de satisfaire aux prescriptions du document de gestion.

Le contraste est frappant entre l’édifice d’Edmond Lay, (ci-dessus), inclus dans le périmètre du Site Patrimonial Remarquable en 1995, et le projet prévu pour le remplacer, (ci-dessous), qui s’affranchit de la règlementation. Photo Philippe Poitou.
Projet agence Kengo Kuma and Associates.

La nature au secours de l’architecture

De manière très révélatrice, l’avis défavorable de l’ABF dialogue avec l’avis défavorable du Directeur Départemental des Territoires. En montagne, la nature est une affaire sérieuse. Particulièrement en période de dérèglement climatique, elle amènera de l’imprévu et de l’insécurité. Les constructions vernaculaires y sont rodées — le dernier numéro de la revue Patrimonial nourrit à juste titre cette thématique — celles qui en reprennent les caractéristiques également. On ne peut pas toutefois l’assurer pour un parallélépipède de verre, aussi séduisant soit-il sur les images.

Les murs-rideaux du projet lauréat sont en effet potentiellement dangereux, pour les oiseaux qui s’y heurtent et s’y blessent, nous l’avions signalé, mais aussi pour les hommes, car ce type de façade légère ne permet pas d’endurer toutes les conséquences des aléas environnementaux. La crue de septembre 2024 et les débordements destructeurs du Gave peuvent-ils servir à se prémunir et à mieux estimer les qualités du bâti existant ? C’est un peu comme si la nature venait ici au secours de l’architecture déjà là, celle qui a fait ses preuves.

Si l’on veut réellement atteindre une forme d’écoresponsabilité, il faut compter avec ces paramètres : on ne détruit pas ce qui a résisté au temps et permet de se projeter à long terme. Comme l’exprime avec justesse le philosophe Pierre Caye, pour l’être humain « la durée ne va pas de soi » et demande prise de conscience et effort.

Vue estivale : le dessin très travaillé de la toiture ancre l’édifice d’Edmond Lay dans le paysage qui l’entoure. Photo Jean-Luc Laplagne.

Bâtiment signal ou bâtiment dans un paysage ?

Que devait-on privilégier ? Pour les uns, il s’agissait de rénover la Maison du Parc National, en améliorant et valorisant l’existant. Pour les autres il était préférable d’accentuer l’image de marque Unesco, ressentie comme prestigieuse, par une nouvelle vitrine « à la mode », au risque de s’extraire du Site Patrimonial Remarquable de la commune.

Une réflexion plus fine aurait conduit à mieux prendre la mesure de l’édifice d’Edmond Lay, l’une des « Maisons du Parc National » qui ponctuent ces espaces protégés d’exception. À Gavarnie l’usage pluriel qui en est fait (quelle belle salle dévolue à la mairie !) témoigne de besoins qui ne sont pas uniquement touristiques. Localement, on s’est approprié cette « maison », empreinte de différents souvenirs. Sa dénomination sonne sans doute particulièrement fort dans ce territoire historiquement marqué par la spécificité rare des « sociétés à maison », propice à la stabilité des patrimoines familiaux et communautaires.

Rendre le Site Patrimonial Remarquable plus perceptible et plus utile en reprenant la révision commencée en 2021 ; prévoir l’entretien et la rénovation sensible de l’œuvre d’Edmond Lay - pour laquelle une demande d’inscription au titre des monuments historiques est en cours - seraient désormais des missions profitables pour la commune comme pour le Parc National. Les associations peuvent y contribuer.

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Une victoire nécessaire donc ? Oui, car elle nous permet d’échapper un moment à la dystopie patrimoniale ambiante, à l’heure où l’État ne montre pas toujours le bon exemple et s’affranchit sans complexe des lois. L’amélioration de l’existant, démarche écologique, patrimoniale et respectueuse de nos finances publiques, doit être privilégiée. L’affaire des vitraux de la cathédrale Notre-Dame de Paris, comme celle de la rénovation du Musée lorrain de Nancy démontrent malheureusement la persistance des anciennes pratiques : détruire pour refaire plutôt qu’améliorer en stratifiant.

À Gavarnie, de nombreuses cordées se sont relayées pour aboutir à cette issue positive : signataires de la pétition, admirateurs de l’œuvre d’Edmond Lay, anciens collaborateurs, pyrénéistes et randonneurs, soutiens locaux affichés ou discrets, personnalités du monde de la culture, autorités compétentes. Elles ont contribué à faire de la Maison du Parc National des Pyrénées un réel bien commun, à partager et respecter. La voie est désormais ouverte pour faire du chapitre suivant une aventure moins périlleuse... et souhaitons-le plus fructueuse.

 
Sophie Descat, déléguée Sites & Monuments pour les Hautes-Pyrénées

 

Références

  • Monique Barrué-Pastor (dir.), Cultures du risque en montagne - Le pays Toy, Paris, L’Harmattan, 2014.
  • Pierre Caye, Durer. Eléments pour la transformation du système productif, Paris, Les Belles Lettres, 2020.
  • Benoît Cursente, « Le village pyrénéen comme ‘village à maisons’ », dans Maurice Berthe et Benoît Cursente (dir.), Villages pyrénéens. Morphogénèse d’un habitat de montagne, Toulouse, CNRS/Université de Toulouse-Le Mirail, 2001, p.157-169.
  • Mauricette Fournier (dir.), Labellisation et mise en marque des territoires, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2015.
  • Anne Peltier, « En montagne, des dangers ‘naturels’ omniprésents », Patrimonial. Le patrimoine de moyenne et haute montagne, n°2, 2024, p.94-97.

 
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