Abandon programmé des sites classés : les autorisations ministérielles seraient confiées au préfet de département !

Sites & Monuments, qui est à l’origine en 1906 de la première loi sur le classement des sites, est particulièrement préoccupée par le projet de "simplification" de leur régime d’autorisation voulu par l’actuel Gouvernement dans un climat général de régression des normes de protection du patrimoine (voir ici). Nous donnons ici la parole à l’Association des inspecteurs des Sites et des chargés de Mission Paysage qui en expose le régime et les conséquences prévisibles.
JL

Exemple de site classé subissant de fortes pressions urbaines : vallée de L’Erdre (Loire-Atlantique), classée par décret du 7 avril 1998.
Exemple de site classé subissant d’importantes pressions touristiques : marais mouillé poitevin (Deux-Sèvres, Vendée), classé par décret du 9 mai 2003.

Par décision du premier ministre et projet de décret, le régime d’autorisation spéciale assurant la protection des sites classés ne relèverait plus du niveau ministériel mais du préfet de département.

Un patrimoine paysager national exceptionnel internationalement reconnu

Le point commun entre le Mont-Saint-Michel, la Dune du Pilat, les Gorges de l’Ardèche, le massif du Mont- Blanc, le canal du Midi, les calanques de Marseille ? Ce sont quelques-uns des 2700 sites classés de France !

Depuis plus d’un siècle, avec la loi du 21 avril 1906, renforcée par celle du 2 mai 1930, la politique des sites classés et des monuments naturels a permis la protection et la transmission de paysages remarquables, patrimoine national contribuant à l’image de la France. Principal vecteur de l’activité touristique, une des premières économies du pays, ce patrimoine exceptionnel, bien commun de toute la Nation, contribue aussi à la renommée internationale de la France.

Malgré les terribles événements qui ont marqué le XXe siècle, le sens de cette politique nationale a été conforté au fil du temps par l’ensemble des gouvernements successifs.

Servie par une poignée d’agents de l’État engagés exerçant au niveau local et central (aujourd’hui les inspecteurs des sites et le bureau des sites), cette politique a prouvé pendant plus d’un siècle sa grande efficacité, à l’instar de la politique de protection des monuments historiques (1913). Désormais codifiée au code de l’environnement, la loi sur la protection des sites est également reconnue par les instances internationales comme l’outil le plus approprié pour répondre aux enjeux de gestion des biens inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.

En outre, parce qu’ils concernent très souvent des paysages à dominante naturelle, les sites classés contribuent de façon notable à la protection et à la reconquête de la biodiversité et notamment à la préservation des habitats et des espèces des sites du réseau Natura 2000.

Une protection assurée par le régime d’autorisation spéciale supervisé par le ministre

Depuis la création de la loi, la protection des sites est assurée par le régime dit d’autorisation spéciale, un dispositif éprouvé qui soumet tous les travaux modifiant l’aspect des lieux à une décision délivrée en fin d’instruction par le ministre en charge des sites. Depuis 1988, les travaux les plus modestes peuvent être autorisés par les préfets de département.

L’esprit de la loi et de ce régime très efficace est le savant couplage entre une instruction technique locale (assurée par les inspecteurs des sites et les Architectes des Bâtiment de France), une concertation avec les acteurs locaux (permise lors des commissions départementales des sites présidées par les préfets) et in fine une décision administrative délivrée par le ministre pour les projets les plus importants ou impactants.

Une politique patrimoniale remise en cause par une décision précipitée de déconcentration

Le 12 décembre 2018, sous couvert de simplification et de plus grande proximité des décisions avec les territoires, une réunion interministérielle a mis fin à ce subtil équilibre en actant la rédaction d’un projet de décret déconcentrant la totalité des autorisations vers le niveau local.

L’ensemble des décisions relevant actuellement du ministre et d’une seule et unique doctrine de protection seraient donc prochainement prises dans autant de départements que compte le territoire.

Les préfets de département deviendraient les seuls à arbitrer entre des enjeux locaux et nationaux, entre l’intérêt général et les intérêts plus « particuliers » des porteurs de projets. Le niveau central garant de l’harmonisation nationale, chargé actuellement de traiter les demandes avec équité entre les sites et territoires, disparaîtra.

L’arbitrage ministériel procède depuis des décennies d’un dispositif vertueux garantissant la protection dessites.

Dans des sites soumis à des pressions considérables (zones littorales et de montagne, espaces urbains et péri-urbains,..) et à des projets d’aménagement de plus en plus nombreux (développement de l’urbanisation, des activités touristiques, des équipements de loisirs,..), la décision d’autorisation à un haut niveau est la clef du dispositif et offre une continuité de traitement dans letemps.

En effet, nous savons tous que les décisions locales sont exposées aux multiples pressions aménagistes, bien souvent soutenues sans prendre en compte l’intérêt de la préservation du patrimoine paysager.

À l’exception de quelques rares exemples - dont la presse s’est fait l’écho -, la décision relevant du ministre a ainsi permis d’éviter de nombreux projets non respectueux du patrimoine paysager, des aménagements dont les effets dommageables auraient été irréversibles pour de nombreux sites classés.

Dans le cadre d’une jurisprudence technique nationale, le dispositif actuel permet en outre de favoriser des projets intégrés et exemplaires émergeant des territoires, en s’appuyant sur l’expertise technique des inspecteurs des sites, reconnue par l’administration centrale.

Un patrimoine à léguer aux générations futures

Il n’est pas question ici d’autre chose que de préservation environnementale et du cadre de vie pour les générations à venir, de résistance à l’anthropisation de la nature et à la banalisation des paysages, de préservation du capital « touristique » de nos territoires et de conservation, pour le plus grand nombre, de la qualité de sites exceptionnels qui font la renommée du pays à l’international.

Dans une société qui doit se soucier du bien-être de ses concitoyens, ces rares espaces remarquables portés par l’État au rang de « Patrimoine national », préservés dans leur singularité, nous sont indispensables. Comme sujets de connaissance et de découverte, mais aussi comme objets de contemplation.

Témoins de savoir-faire parfois disparus, lieux de mémoire et de beauté, ce patrimoine culturel et paysager nous a été légué grâce à l’engagement de plusieurs générations successives de citoyens, d’intellectuels, de politiques, d’associations et de fonctionnaires soucieux de l’intérêt général et du bien commun.

Ces paysages uniques et non renouvelables qui couvrent moins de 2 % du territoire national, doivent pouvoir être transmis aux générations futures et ce, dans l’état dans lequel ils nous ont été légués.

Aucun abus de langage ou discours simplificateur ne doit justifier le désengagement de l’Etat au plus haut niveau vis-à-vis de ses responsabilités majeures. Il doit être le garant de la préservation de ce patrimoine unique en fixant un niveau de protection commun à l’ensemble de ces paysages exceptionnels.

En ces temps de commémoration, faisons un vœu, celui de transmettre à nos enfants et à leurs descendants, pour un siècle encore, ce patrimoine vivant et si précieux !

   Nous, Association des inspecteurs des sites, sommes convaincus que le décret déconcentrant toutes les autorisations de travaux en site classé, s’il était validé, conduirait à une dégradation indéniable de la qualité des projets, porterait inéluctablement atteinte à l’intégrité des sites classés, et à court terme à la dégradation, voire la disparition de leur caractère exceptionnel.
    Ce nivellement par le bas de paysages emblématiques remettra en cause l’avenir de notre cadre de vie et paradoxalement l’avenir d’un tourisme de qualité accessible à tous.
   Nous sommes en revanche favorables à un ajustement des règles de droit, en déconcentrant une partie des autorisations pour lesquelles la plus-value de l’instruction nationale n’est pas démontrée (aménagements forestiers, modifications de permis, extensions modérées…).

L’Association des inspecteurs des Sites et des chargés de Mission Paysage

Logo AIS (Sites et Monuments)

Manifeste de l’Association des inspecteurs de sites en format pdf

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