
De passage à Chartres, je me suis rendue à la cathédrale pour revoir le bleu des vitraux et les sculptures du tour de chœur et admirer la restauration du transept sud en attendant celle du transept nord en cours de travaux.
Quelle ne fut pas ma consternation en voyant l’aménagement du parvis et des abords de la cathédrale, en cours d’achèvement.

Dans un premier temps, on serait tenté de dire que cet aménagement du parvis occidental et des espaces publics nord et sud, venant remplacer la chaussée en bitume, constitue une amélioration de l’espace public autour de l’édifice.
En regardant l’édifice sous différents angles, le malaise devient grandissant et son analyse nous amène à en exprimer les trois causes : l’uniformité de l’aménagement, la planéité du sol, le module et la couleur des dalles.
L’uniformité du matériau et du calepinage crée une sorte de « mare minérale », un cordon autour de la cathédrale qui, par un effet centrifuge, l’isole et l’éloigne des constructions domestiques qui l’entourent.

Le module très grand des dalles, plus grandes que les dalles granit des trottoirs parisiens, vient accentuer cet effet de cordon et l’absence d’accroche.
On trouve en Italie des places urbaines avec des grandes dalles, mais, ce sont des espaces fermés comme des salons en plein air, recouverts de dalles épaisses dont l’usure permet de lire les cheminements les plus fréquents et donne une vibration.
Traiter le parvis de la cathédrale et les espaces latéraux comme une place italienne est un non-sens historique et urbanistique.
On me dira qu’il fallait bien faciliter le déplacement des personnes âgées et des PMR, mais, les enfants pourront-ils s’y installer pour jouer aux billes ? Hélas, non, les billes tomberont dans le fil d’eau souterrain.
Ainsi le ruissellement de l’eau de pluie ne participe même plus à la poésie des lieux par un fil d’eau apparent et par des flaques. On a transformé le parvis de la cathédrale en salle humide d’équipement collectif, facile à nettoyer à la serpillère, façon douche italienne en plein air.

Enfin, la couleur de la pierre de dallage, plus chaude que les pierres de la cathédrale, qui sont de ton grège (gris beige), contraste avec le monument et éblouit le visiteur lorsque le soleil brille. La cathédrale est comme posée sur un plateau d’argent, sur une mer d’huile, isolée de son contexte bâti.
Pour échapper à la chaleur, une série de grands parasols gris, sur mats métalliques fixes, alignés sévèrement, occupent la partie sud-ouest de la place, remplaçant des arbres coupés nuitamment pour cause de problèmes phytosanitaires. Il fallait bien répondre aux besoins des touristes et des cafetiers par ce traitement aseptisé, par cette « miamisation » de l’espace public.

Mais le pire est à venir, avec le projet d’aménagement dans le prolongement du parvis, entre les rues de Bethleem, Percheronne et de l’Etroit degré. Malgré de nombreux échanges avec les services patrimoniaux, plusieurs passages en commission nationale des secteurs sauvegardés, le projet final tente, avec quelques arbres, de recoudre un tissu urbain écorché par différentes phases de démolitions. Le projet, porté par des élus, plus enclins à l’efficacité qu’à la beauté, aura dès le début manqué d’un concepteur de talent, architecte urbaniste renommé, proposant une couture urbaine pour refermer les ilots éventrés en densifiant légèrement l’espace public trop dilaté.
Comment les enjeux de cet espace majeur ont-ils pu échapper à la vigilance des services du ministère de la culture ? Il y a fort à parier que l’UNESCO remette un carton jaune à la ville pour cet aménagement qui altère la V.U.E. (valeur universelle exceptionnelle) du bien inscrit au patrimoine mondial.
L’expérience mystique en sera-t-elle moins profonde ? Pour reprendre les vers de Charles Péguy dans sa prière de résidence :
« Ce qui partout ailleurs est une accession
N’est ici qu’un total et sourd abrasement.
Ce qui partout ailleurs est un entassement
N’est ici que bassesse et que dépression. »
Aujourd’hui, il ne reste plus qu’à pleurer devant Notre Dame de Chartres pour cette vallée de larmes minérale qui encercle et isole l’édifice.
Marie-Liesse Gerbe, adhérente d’Eure-et-Loir