Carnac : aménagements brutaux aux abords des alignements de Menhirs

Yves Coppens doit se retourner dans sa tombe : plusieurs aménagements brutaux ont été réalisés, cet hiver et au printemps, aux abords des alignements de menhirs de Carnac, dénaturant ce site mondialement connu. La course au classement Patrimoine mondial de l’Unesco enivre les élus locaux, soucieux des retombées économiques indirectes plus que de la préservation des sites. Au risque de commettre de nombreuses bévues !

La dernière en date : un permis de construire délivré par le maire de Carnac pour la construction d’un magasin Mr Bricolage, détruisant trente-neuf menhirs figurant sur la liste indicative Unesco.

Un dossier de candidature au Patrimoine mondial de l’Unesco sera remis fin septembre au ministère de la Culture et éventuellement fin janvier 2024 à l’ICOMOS pour instruction. Il concerne 397 mégalithes des rives de Carnac et du Morbihan, répartis sur 27 communes. Il est porté par l’association Paysages de Mégalithes.

Les élus de ce secteur, le département, le CMN se pressent ainsi de construire ou d’aménager à tout va car « après, avec l’Unesco, ce ne sera pas possible ».

Le nouvel alignement en plastique du Menec !

506 poteaux ont été installés cet hiver le long des Alignements du Menec sur la RD 196, sans consultation de l’Architecte des Bâtiments de France, semble-t-il. Cette installation, dont le coût peut être estimé à 60.000€ a été réalisée de concert par le département du Morbihan et la ville de Carnac. Une cycliste avait en effet été renversée l’été dernier et l’objectif, louable, était de créer un cheminement piéton/cycliste.

On rappellera toutefois que l’aménagement piétonnier le long de la route des alignements, jugée dangereuse, était préconisé par toutes les études depuis près de 20 ans :

  • Dès 2006-2007 par l’étude DMC Consultants sur la "Stratégie pour la mise en valeur des sites mégalithiques de Carnac" (Dominique Macouin Consultants ; étude commanditée par le GIPC/Groupement d’Intérêt Public « Mémoires de Pierres » réunissant tous les acteurs, en premier lieu la commune de Carnac, le département du Morbihan et le Centre des Monuments Nationaux (CMN) ;
  • Dès 2009 dans la feuille de route élaborée par le GIPC présentée aux associations locales. Une expérimentation préalable devait être réalisée aux Alignements de Kerlescan.

L’Association Paysages de Mégalithes (PDM), fondée en 2012, financée essentiellement par le département et présidée par l’actuel maire de Carnac (Olivier Lepick, premier adjoint à la ville de Carnac de 2004 à 2010 et maire de Carnac depuis 2014) était censée mettre en œuvre la feuille de route du GIPC et porter le dossier de candidature pour le classement au Patrimoine mondial des mégalithes du secteur. Mais les moyens de l’association ont principalement été dédiés à la communication et à l’événementiel, notamment à l’organisation de sons et lumières dans les Alignements (Skedanoz).
Il aura fallu un mort pour qu’un aménagement soit réalisé à la va-vite sur la RD 196 en 2022, perturbant la perception du site.

Cet aménagement est déclaré provisoire… Du provisoire qui coûte cher aux contribuables. Et à Carnac, le provisoire dure, à l’image des barrières installées en 1991 autour du site, qui devaient être démontées au bout d’un an, une fois les sols reconstitués, pour imaginer des cheminements balisés type « Pointe du Raz ».

Construction d’un théâtre de verdure de 650 m² par le CMN : un nouveau tumulus à Carnac !

Cet aménagement réalisé en avril 2023, au contact direct des Alignements du Menec, a fait l’objet d’un permis de construire délivré au CMN par le maire de Carnac.

Les archéologues et amoureux du site se désolent. Les gradins, même en terre, créent une perturbation visuelle dans la perception du site :

  • Depuis le chemin piétonnier au nord du Menec, les lignes horizontales des gradins contredisent la verticalité des menhirs. L’effet visuel est prégnant ;
  • Depuis le sud et l’ouest, la levée de terre de milliers de m³ fait l’effet d’un grand tumulus, à l’image du Tumulus Saint-Michel, sur la commune, l’un des fleurons des architectures néolithiques du secteur.

    Les Carnacois sont étonnés car pour le changement d’une huisserie ou d’un velux ils sont tracassés s’ils résident à moins de 500 m d’un mégalithe...

Aménagement cet hiver d’un chemin en sable stabilisé de 6968 m² aux Alignements de Kermario, sur l’emprise même de deux files de menhirs signalées au XIXe siècle entre le moulin de Kermaux et l’Etang de Kerloquet

Le plan H.R. du Cleuziou, daté de 1873, est bien connu des archéologues travaillant sur le secteur. Il signale la présence d’anciennes files et donc de niveaux archéologiques à l’emplacement du chemin dont la délinéation a été conçue de concert par le CMN et un chargé de randonnée des Espaces Naturels Sensibles (département du Morbihan). Le maire de Carnac a délivré le permis d’aménager. Le Comité scientifique Unesco n’a pas été consulté pour avis.

Extrait du Rapport de diagnostic, disponible sur la Bibliothèque numérique du SRA de Bretagne. Chaque point-tiré représente un menhir. La surface en violet correspond à l’emprise du chemin nouvellement aménagé.

La pose d’un stabilisé nécessite un décaissement préalable sur 15/20 cm, l’utilisation d’engins de chantier type tractopelle, minipelle, niveleuse, rouleau compresseur. Autant de moyens invasifs peu respectueux des sols archéologiques, peu épais et fragiles dans ces zones d’affleurement granitique.

Un diagnostic a été réalisé du 20 septembre au 22 octobre 2021 par le service départemental d’Archéologie. Il a porté uniquement sur 200 m² -via sept tranchées mécaniques et seize sondages manuels- soit 2,9 % de la surface totale.

Une occasion manquée d’explorer les Alignements de Carnac par de véritables fouilles, car les dernières opérations d’envergure remontent à 1942, quand les Nazis ont fouillé les files de Kerlescan (à l’est de Kermario) pour les besoins idéologiques du IIIe Reich.
Ces aménagements ont été réalisés par le département du Morbihan en concertation avec le CMN. Le Comité scientifique international n’a pas été saisi ni associé à la délimitation du tracé de randonnée.

Destruction des 39 menhirs du Chemin de Montauban

Le site du "Chemin de Montauban", n°56 034 0240 du dossier de confirmation pour la liste indicative de 2017 à la candidature au Patrimoine mondial.

Le maire de Carnac, président de l’association Paysages de Mégalithes, a délivré un permis de construire pour l’installation d’un magasin Mr Bricolage au sud de la Z.A. de Montauban (Carnac).
Un grand hangar vient de s’implanter sur ce site qui était référencé depuis 2015 dans la base Patriarche/Carte archéologique nationale (n°56 034 0240) et localisable par quiconque sur le site

Structure d’un "Mr Bricolage" en cours d’édification sur un site mégalithique non fouillé. Photo Sites & Monuments.

Le site du chemin de Montauban comprenait deux files sécantes de petites stèles en granite, se déployant chacune sur une cinquantaine de mètres de long. L’une était exactement dans sa place d’origine depuis 7000 ans. Ces petits alignements de menhirs accompagnaient, semble-t-il, deux tombeaux néolithiques encore inexplorés ; l’un à 160 m, le second à 270 m. Ce dernier, le Tumulus du Ruisseau aux Anguilles, de 37 m de long sur 21 m de large et 1,10 m de hauteur, est aussi menacé par un projet d’extension de la déchetterie de Carnac.

Les petits menhirs du Chemin de Montauban constituaient sans doute l’un des ensembles de stèles les plus anciens de la commune de Carnac, à en juger par les datations Carbone 14 obtenues en 2010 sur le site voisin de la Z.A de Montauban : 5480-5320 avant J.-C., soit la datation la plus haute obtenue pour un menhir dans l’ouest de la France !

D’un point de vue des « paysages de mégalithes », notion défendue dans le dossier Unesco, on notera la covisibilité entre le Mr Bricolage (d’une hauteur d’environ 7 m) et des monuments phares comme le tumulus Saint-Michel et le dolmen de Kercado (Carnac). On soulignera également la proximité d’une très belle zone humide, le marais de Kerous (à 400 m à l’est), qui correspond en réalité à une ancienne ria colmatée en 1867 par le baron de Wolbock (propriétaire du manoir de Kercado), pour ses expériences d’élevage de naissains d’huîtres. L’eau salée et les anguilles remontaient loin à l’intérieur des terres, en contrebas des menhirs du Chemin de Montauban, qui bordaient à gauche (à l’ouest) ce courant de marée dynamique. Ces menhirs marquaient peut-être aussi l’emplacement d’un gué dans ce fond de ria. On rappellera en effet qu’ils jouxtaient, au sud, l’ancienne voie romaine menant de Carnac à La Trinité-sur-Mer (aujourd’hui « Chemin de Montauban  »), perpendiculaire à l’axe nord-sud de la ria.

Ce site, même modeste, illustrait ainsi la structuration du territoire dès le Néolithique, une période aujourd’hui considérée par les chercheurs comme l’aube de l’Histoire, 4500 avant les Gaulois et l’Empire Romain. Les files de Montauban, par leur orientation, ont déterminé des limites de parcellaires qui étaient toujours actuelles… jusqu’en 2023 et l’arrivée de Mr Bricolage !

Projet d’implantation d’une antenne-relais de 52,50 m de haut aux abords de 10 sites mégalithiques de la zone Unesco

Le maire de Carnac a donné son accord à Bouygues Télécom (Déclaration préalable des travaux le 19/06/2020) pour installer une antenne au pied des vestiges du Cairn de Kerogile/Kerogel, pourtant inscrits sur la liste indicative Unesco depuis 2016. Un tertre funéraire est également recensé à Kerogel. La co-visibilité sera très gênante avec les sites classés « Monument Historique » de Mane Kerioned (à 500 m environ), de Keriaval (Carnac) et de Runesto (Plouharnel), fleurons des architectures néolithiques du secteur. Dix sites concernés par la zone Unesco se trouvent dans un rayon de 750 m autour de l’antenne-relais.
Un recours a été effectué par cinq riverains du collectif « Antenne non merci ! » auprès du Tribunal Administratif de Rennes. Ce dernier a suspendu les travaux d’implantation (en attendant le jugement sur le fond de la demande d’annulation), sanctionnant le maire de Carnac de ne pas s’être opposé à l’implantation de l’antenne dans une zone naturelle sensible bien dénommée « Er Marr ». Le maire de Carnac a décidé de saisir le Conseil d’État.

Autres aménagements effectués ou à venir

  • Un projet de parc flottant de 62 éoliennes au large de Belle-Ile aura un impact visuel sur le site de la Côte Sauvage de Quiberon (site classé depuis 1936, labellisé Grand Site de France) et sur les sites de l’aire Unesco de ce secteur et autres sites archéologiques (nécropole mésolithique de Téviec, éperon barré de Beg en Aud, dolmen de Port-Blanc...). L’atterrage et le raccordement au poste de Pluvigner traversent un « hot spot » archéologique : immédiatement à l’est des grands Alignements d’Erdeven, bien décrits par Prosper Mérimée, une zone également riche en architectures funéraires de toutes sortes (tertres, dolmens) (lire notre précédent article).
  • Des chemins en platelage de bois ont été aménagés au Menec et passent entre des files à Kermario. Ils ont nécessité de planter tous les 1,50 m une ligne de poteaux sur des sols archéologiques et, nécessairement, de terrasser un minimum ces sols au préalable. Par endroits (au tertre du Manio/Kermario), des rampes horizontales en bois créent une pollution visuelle dans la découverte du site.
    Chemin en platelage de bois aménagé au Menec
    Chemin en platelage entre deux files à Kermario

Un parc de stationnement jouxtant le cromlech du Menec ?

Les deux parcelles situées directement à l’ouest de l’enceinte du Menec viennent d’être acquises par la ville de Carnac auprès d’un particulier. La commune souhaitait acheter « ces terrains situés proches des alignements et dans le cadre du projet Unesco créer du stationnement »

Cromlech du Menec : chemin en platelage ou futur parking ici ?

Interrogé par les élus de l’opposition lors du Conseil Municipal du 17/03/2022 devant valider l’achat, Monsieur Lepick s’en est défendu, évoquant plutôt l’installation d’un chemin en platelage. Pourtant, la note de synthèse annexée à la convocation au Conseil Municipal, envoyée aux vingt-sept élus municipaux, mentionnait bien l’idée d’un parc de stationnement. La vigilance s’impose donc. Car pour l’accueil des nombreux autocars à la Maison des Mégalithes (CMN), que suscitera immanquablement un label Unesco, des stationnements supplémentaires devront être trouvés…

Pour tous ces aménagements, le Comité scientifique international (présidé par Y. Coppens jusqu’en 2022) n’a jamais été consulté. Il réunit pourtant tous les experts nationaux et internationaux sur le mégalithisme, notamment la conservatrice de Stonehenge (GB).

L’agence Détour Atelier de Paysage (Brioude), missionnée pour l’élaboration d’un Plan Paysage, ne semble pas non plus avoir été associée. Le talentueux Claude Chazelle met en garde les élus, depuis le début de sa mission en 2020, contre le « mal sensible », ces bonnes volontés locales d’aménager, louables, mais qui dénaturent le site lorsqu’elles sont réalisées comme des squares publics, de façon trop « proprette », avec du mobilier urbain inesthétique… desservant finalement des paysages mégalithiques millénaires.

Extension du supermarché Lidl, à 550 m du Cromlech et des Alignements du Menec

Ce projet est soutenu par le maire de Carnac. Il a proposé à son Conseil municipal de vendre des terrains communaux à usage sportif à cet effet. La Fédération Française de Football soutient le recours effectué par un élu de l’opposition (Pierre-Léon Luneau, liste citoyenne « La Carnacoise »).

Christian Obeltz, Carnacois, ancien vice-président de l’association Menhirs Libres, prospecteur-correspondant du Laboratoire de Recherche Archéologie et Architecture de Université de Nantes, co-auteur d’un récent ouvrage sur Carnac

Cassen S. (dir.), Carnac, récit pour un imagier, Nantes, Lithogénies 2 - LARA Université de Nantes, 2021, 168 p.

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