Communiqué : Supplique pour la forêt de Lanouée

Lettre ouverte
Forges de Lanouée, le 1er mai 2021

Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République,
Monsieur Eric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, ministre de la Justice,

Nous venons à vous car nous ne comprenons plus ce que font l’État et la Justice en France quand il s’agit d’éoliennes.

Le 15 avril 2021, le Conseil d’État décidait d’écarter l’avis de son rapporteur public et de rejeter la requête de notre association et des riverains de la forêt au motif de "l’intérêt public majeur du projet". Le parc de 16 éoliennes de 185 m de haut implanté en forêt de Lanouée allait être relancé. Le soir même, la juridiction suprême annonçait, tant sur son site Internet (voir ici) que sur le réseau social twitter :

« - Le Conseil d’Etat valide la construction du parc éolien de la forêt de Lanouée
 Il permettra d’approvisionner 50 000 personnes en électricité d’origine renouvelable
 Il ne sera pas installé dans des espaces classés ou protégés
 » (voir ici)

Que le Conseil d’Etat, juge du droit, s’empresse, comme un docile lobbyiste, le soir même du jugement, de mettre en avant l’opportunité du projet et qu’il donne foi à l’estimation de production mirobolante du porteur de projet, nous a stupéfiés.

La commune Forges de Lanouée (Morbihan), où se situe la forêt, partage avec 36 autres communes situées sur l’ancienne terre de la famille de Rohan, le label Pays d’art et d’histoire au Pays des Rohan décerné en 2020 par Franck Riester, alors ministre de la Culture.

Lanouée, une forêt balafrée par l’industrie éolienne. Photo Google Earth.

La forêt de Lanouée, qui couvre 3 800 ha, est le deuxième massif forestier breton. Elle a fait partie du vaste ensemble de Brécilien (Brocéliande) dont la forêt de Paimpont en Ille-et-Vilaine (9000 ha) conserve le nom. Elle est protégée en tant que zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique : ZNIEF 560006826 de type II.

L’institut National du Patrimoine Naturel (INPE) y recense notamment 60 espèces d’oiseaux. Elle est aussi considérée comme réservoir de biodiversité dans le Schéma Régional de Cohérence Ecologique (SRCE) de Bretagne.

L’INPE explique par ailleurs que, « Jusque la fin du XVIIe siècle, la forêt était une futaie de chêne, hêtre et châtaignier, puis fut exploitée en taillis et taillis sous futaie pour alimenter les forges de Lanouée, qui fonctionnèrent de 1756 à 1886. Un premier enrésinement à base de pins (sylvestre, maritime et laricio) interviendra à la fin du XIXe siècle ». Ce mélange de feuillus et de résineux apparaît bien dans le reportage vidéo avec vues aériennes réalisé par Le Mensuel du Morbihan repris par Le Télégramme le 6 juillet 2018 (voir ici).

Photo du 5 mai 2017 montrant les feuillus déracinés pour frayer une voie d’accès aux éoliennes

Le projet éolien a été conçu par la multinationale Louis Dreyfus, qui a acquis la forêt en 2007. Les autorisations lui ont été délivrées par le préfet du Morbihan en 2014. Rachetée par Boralex, la forêt est actuellement propriété de la Caisse des dépôts, mais les 16 ha d’emprise du projet éolien appartiennent toujours à Boralex.

Sur la carte ci-dessous, vous observerez en vert les 330 ha de la zone d’implantation dans la partie sud-est de la forêt. Rappelons-le : nous sommes dans une ZNIEFF II et la zone compte 60 espèces protégées pour lesquelles le préfet a dû accorder une dérogation pour destruction.

Nous nous appuierons encore sur Le Mensuel du Morbihan pour vous donner une idée des plaies béantes qui se cachent dans la forêt depuis les travaux entrepris en 2017, date à laquelle le Tribunal administratif de Rennes a annulé toutes les autorisations obtenues par le promoteur.

Voie d’accès et socle d’éolienne
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Voie d’accès et socle d’éolienne

L’artificialisation du sol, la destruction de la faune et de la flore, au nom du développement durable et de l’écologie est une aberration contre laquelle nous ne cesserons pas de nous insurger !

Si encore le jeu en valait la chandelle, mais il n’en est rien. Alimenter en électricité 50 000 personnes avec les 50 MW du projet Boralex ? Quelle sinistre blague !

Évidemment, la centrale éolienne de 50 MW de Boralex ne va pas fonctionner à plein régime, le vent n’étant en aucune manière pilotable. Nous ne supportons d’ailleurs plus de voir afficher des productions d’électricité à partir de la puissance des machines, comme si elles allaient fonctionner à plein temps et à plein régime. La manœuvre est grossièrement mensongère.

Référons-nous au Panorama des énergies renouvelables au 31 décembre 2020 (voir ici) et observons le facteur de charge. Nous lisons, page 19, qu’il a atteint 24,2 % en 2020 en Bretagne. On note, au passage, que cette région, réputée être la plus ventée de France, est parmi les quatre dernières pour l’efficacité de ses vents : elle se situe juste devant l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Provence-Alpes-Côtes d’Azur et la Corse !

Forêt de Lanouée, détail des saignées éoliennes. Photo Google Earth.

À présent, examinons l’annonce par Boralex de la couverture de 50 000 personnes avec les 50 MW du parc de Lanouée, sachant, qu’avec les 1065 MW éolien installés au 31 décembre 2020 (Panorama, p. 17), la Bretagne couvrirait 10,2 % de la consommation d’électricité de ses 3,3 millions d’habitants (Panorama, p. 20), soit 336 000 habitants.

C’est évidemment impossible !

Prolongeons en effet ce calcul par une simple règle de trois : nos calculettes affichent 0,48 % de la consommation d’électricité pour les 50 MW (10,2 / 1065 x 50) tout au plus. Et encore, naturellement, si le vent souffle toujours au bon moment, ce qui est rarement le cas… Ce qui ferait un équivalent de 15 800 habitants (0,48 % x 3,3 millions).

Comment Boralex obtient 50 000 habitants ? En ne comptant - contrairement au Panorama - que la consommation de l’habitat. Les industriels de l’éolien font abstraction de la consommation industrielle qui représente les 2/3 tiers de la consommation totale ! Cette approche n’a aucun sens et est donc contestable.

On s’excuserait presque de devoir expliquer des choses aussi élémentaires. Et pourtant, la presse et presque tous les décideurs y croient ou feignent d’y croire. Jusqu’au Conseil d’État désormais !

On a compris que l’État bafoue toutes les règles pour faciliter le développement éolien.

À Guern (Morbihan), l’autorisation préfectorale accordée en 2005 a été annulée par les tribunaux. Pourtant, les machines tournent toujours ! Les procédures se poursuivent et pourtant le démontage ne viendra jamais...

À Langonnet (Morbihan), un mât de mesure vient d’être implanté pour un projet éolien situé précisément là où la Cour d’appel et le Conseil d’État avaient fait annuler un précédent projet. Que faut-il comprendre ?

Élus et administrations ont tous compris le message tacite : POUR L’ÉOLIEN, TOUT EST PERMIS !

À la Commission départementale de la nature des paysages et des sites (CDNPS), des professionnels de l’éolien sont autorisés à siéger et à délibérer auprès des représentants de nos associations et des administrations.

Le droit de recours a été retiré au citoyen. Nous ne pouvons plus nous adresser au tribunal administratif. Les recours sont directement soumis à la Cour administrative d’appel. Les riverains peu fortunés ne peuvent plus se défendre.

Tout cela compromet gravement la confiance des citoyens en l’État et en la Justice.

« L’acceptabilité sociale » tant évoquée n’est qu’une ironie à nos dépens. Partout, à Lanouée, en baie de Saint Brieuc, et dans de nombreuses communes rurales, les populations se rebellent contre l’éolien.

Nous vous rappelons, Monsieur le Président, votre déclaration publique faite à Pau le 14 janvier 2020 : "De plus en plus de gens ne veulent plus voir d’éolien près de chez eux et considèrent que leur paysage est dégradé [...] On peut pas l’imposer d’en haut » avez-vous dit.

Est-il encore en votre pouvoir de sauver la forêt de Lanouée, ses paysages et sa biodiversité après avoir concédé tant de privilèges aux professionnels de l’éolien ?

Entendez au moins la détresse de la Bretagne qui ne veut pas se laisser sacrifier en silence.

Veuillez agréer, Monsieur le président de la République, Monsieur le Garde des Sceaux, l’expression de notre considération distinguée.

Anne Marie Robic, déléguée de Sites & Monuments (SPPEF) pour le Morbihan

Jean Elain, président de l’association Vent de Forêt (Saint Malo-des-Trois-Fontaines)

Noël le Breton, président de l’association Vent de panique 56 (Moréac)

Joseph Roudaud, président de Bien vivre à la campagne (Pluherlin)

Jean-Michel Sentier, président de l’association de défense du patrimoine de Monterrein (ADPM)

Carlo Rosolen, président de l’association pour le patrimoine du pays du roi Morvan (APPROM, Langonnet)

Eric Ferrec, président de Vent de folie (Langonnet)

Pierrick le Borgne, président de l’association de défense du patrimoine de Séglien et de ses communes limitrophes (ADPSCL)

Jean-Jacques Péchard, président de l’association contre le projet éolien de Guern (ACPEG)