Apolitique, la Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France se bat, depuis 1901, pour la défense du patrimoine et des paysages, sur tout le territoire national, et dans chaque commune. Elle sait qu’il y a des vandales à droite et à gauche. Sa prise de position n’est donc pas partisane, mais seulement motivée par la défense de ce qu’elle considère comme un bien commun, à la fois reçu et à transmettre.
A l’occasion des élections municipales, la SPPEF constate avec regret, qu’à Paris, comme il était prévisible, la campagne a tourné à un affrontement médiatique entre deux candidates, dont l’une (Anne Hidalgo, PS) assume le bilan du maire sortant, Bertrand Delanoë (PS) et l’autre le combat (Nathalie Kosiusko-Morizet, UMP). Cette campagne a été relativement atone, souvent polluée par des informations approximatives, et par-dessus tout rendue presque risible par une surenchère de « projets » censés multiplier les espaces de « convivialité » et de « partage ».
Dans ce bruissement médiatique un peu vain, le patrimoine a paru trop souvent relégué au second rang. C’est pourtant un bien commun, un marqueur d’identité, une mémoire collective, une trace de notre héritage et un facteur de cohésion sociale, pour ne rien dire de sa forte valeur économique (le tourisme). C’est de ce patrimoine que la SPPEF voudrait parler, pour le remettre au centre des préoccupations politiques, au sens noble du terme.
Plusieurs dossiers retiennent ainsi l’attention de notre association.
1. Les églises
{{}}Les associations et les citoyens ont pu, après des années de mobilisation, faire émerger ce dossier à l’origine peu médiatique. L’état sanitaire du parc des églises de Paris (au nombre de 85), propriétés de la Ville, a été reconnu défaillant et un certain nombre d’édifices désignés comme en grand péril : Saint-Merry (façade sous filet), Notre-Dame de Lorette (peinture murales intérieures en danger), la Trinité (façade échafaudée en partie), Saint-Philippe du Roule (toiture sous parapluie) ou Saint-Augustin (chutes de pierre)... Nul part en Europe, une grande capitale n’offre le spectacle d’églises aussi mal entretenues.
Force est de constater que les moyens mis en œuvre depuis les années 1990 sont insuffisants, malgré de belles restaurations (Saint-Gervais, tour nord de Saint-Sulpice, Saint-Etienne du Mont, façade de Saint-Paul Saint-Louis, tour Saint-Jacques…) ; clairement, les enjeux sont devenus trop importants pour une réponse d’envergure moyenne.
Les deux candidates principales se sont prononcées en faveur d’un plus grand investissement financier de la ville, ce dont la SPPEF se réjouit. En revanche, il faut d’abord obtenir une vue d’ensemble des besoins, rendue possible par un bilan sanitaire et chiffré, afin de monter un plan d’action cohérent, au lieu de courir après les chutes de pierre – pour l’instant miraculeusement sans conséquence sur les passants.
2. Les hôtels particuliers municipaux
Comme l’Etat, la Ville est propriétaire de nombreux hôtels particuliers. C’est le résultat de la mise en place, il y a un siècle, une politique d’acquisition motivée par une volonté de sauvegarde et de réutilisation (mairie, école, musée, bibliothèque…).
Lors de la dernière mandature, des réussites notables ont eu lieu, comme la transformation de l’hôtel de Lauzun en Institut des études avancées, ou l’école de la rue de Clichy installée dans l’ancien hôtel de Wendel. En revanche, la vente d’édifices prestigieux, transformés en bureau (hôtel Le Brun, rue du Cardinal Lemoine) ou en club de sport (projet de l’hôtel de Choudens, la fameuse école de la rue Blanche) laisse plus sceptique. Le sort de l’hôtel de Chalons-Luxembourg, dans le Marais, longtemps en vente et vide depuis plusieurs années, inquiète également, comme celui de Cromot-du-Bourg, rue Cadet, actuel siège de la Commission du Vieux Paris : il doit être transformé en édifice mixte (logements, activités culturelles non précisées, jardin public) et la Commission délogée (mais pas encore relogée).
3. L’Assistance publique
Émanation de la Ville dans sa dimension hospitalière et charitable, l’Assistance publique est un immense propriétaire foncier dans la capitale. Or, depuis plusieurs années, à la suite de la création de l’hôpital Georges Pompidou, une politique de ventes, de regroupement et de modernisation, a modifié considérablement l’espace parisien, dans des secteurs souvent historiques (maternité de Port-Royal, Necker…). La vente de l’hôpital Laennec à une société de promotion immobilière en constitue le syndrome le plus visible : elle a conduit à une opération de densification très contestable sur le plan architectural ; la dénaturation de l’hôpital Necker par un bâtiment agressif au carrefour Duroc, a amené le « démontage » d’un bel hôtel particulier (on attend toujours son remontage…) ; le cas de l’hôpital de Saint-Vincent de Paul près de l’Observatoire, grand bâtiment de couvent du milieu du XVIIe siècle demeure également très inquiétant… Là encore, l’impression qu’il manque une vue d’ensemble est frappante. Le dossier de l’Hôtel-Dieu, dont l’emplacement est très attractif, illustre ce malaise immobilier, qui masque aussi la fin d’une histoire des Parisiens.
Enfin, il faut regretter la vente à un particulier de l’ancien hôtel de Miramion, quai de la Tournelle, siège du musée de l’Assistance publique depuis 1934, dont les collections ont été mises en caisse (pour combien de temps ?). Un musée en moins pour Paris donc.
4. L’espace public
Au côté de son patrimoine au sens premier du terme, la Ville est également garante de l’espace public, qui est le bien de tous, Parisiens comme touristes. Or, durant les dernières années, plusieurs attaques contre ce patrimoine commun sont intervenues. Sans remonter au « mur de la paix », dont le statut juridique en plein site classé du Champ-de-Mars est sujet à réflexion, on songe à la nouvelle place de la République, mer grise, et à la destruction des deux bassins et de leurs décors de la fin du XIXe siècle, qui accompagnaient pourtant la statue centrale de la République. Cet aménagement banalise la voirie parisienne, alors que, dans le même temps, la restauration de la place Saint-Georges, dans le 9e arrondissement, repavée sans adjonction de mobilier urbain, est une belle réussite, preuve qu’il n’y a pas de fatalité.
Plus grave apparaît l’affaire de l’extension du stade de Roland-Garros sur un espace classé et protégé par les Monuments historiques, au cœur du Bois de Boulogne : le jardin des serres d’Auteuil. Dénoncé par toutes les associations locales et nationales, par les riverains, par un des partis de la majorité sortante (les Verts), ce projet néfaste avance avec le soutien sans faille de la mairie. Il participe d’une erreur tragique de perspective historique : Paris est la Ville la plus dense d’Europe et l’une des plus denses du monde. Continuer de construire en grignotant ses espaces libres ou, pire, ses espaces verts est injustifiable. C’est pourquoi le projet de remplir l’avenue Foch, par-delà la provocation médiatique, est très dangereux, comme est dangereux le lotissement d’une frange du bois de Boulogne (non constructible) le long du périphérique. D’ailleurs, bâtir dans des zones boisées et planter des arbres dans des zones minérales (projet pour la place du Panthéon, qui est un espace achevé) montre les limites intellectuelles de l’exercice.
5. Les tours
Après avoir interrogé les Parisiens (largement hostile) sur la question des tours au début de la première mandature, l’actuelle municipalité semble revenir à un programme de tours dans Paris. La SPPEF, fidèle à sa position, dénonce avec d’autres associations ce raisonnement qui vient contrarier l’histoire de la ville, cité horizontale, comme l’a rappelé le directeur général de l’Unesco. Objet égoïste qui s’impose à tous, énergétivore et de peu de résultat en termes de densité, la tour est une erreur, en même temps qu’une réponse du passé. Or, l’une des candidates, Anne Hidalgo, a pris parti pour la réalisation de nouvelles tours dans l’espace parisien, et déjà lancé le programme de plusieurs chantiers, dont la tour Triangle dans le 15e arrondissement, la plus connue du public.
La SPPEF dénonce également l’hypocrisie qui consiste à mettre systématiquement ces tours loin du centre, aux portes de la capitale, dans des lieux qui souffrent déjà d’une forme de « non composition » architecturale. Ainsi, ces futures tours semblent dessiner une enceinte qui vient souligner la vieille limite entre Paris et sa banlieue, au lieu de travailler à annuler cette limite qui n’a plus de raison d’être à l’heure du Grand Paris.
L’expérience malheureuse de Montparnasse, dont le désamiantage est un fiasco coûteux, comme les chantiers pharaoniques de mises aux normes des anciennes tours de la Défense, démontrent pourtant combien ces « objets » sont déraisonnables en termes économiques.
6. Le vieux Paris
Si l’attention a été attirée, ces dernières années, par des coups architecturaux (la « Canopée » des Halles, la fondation LVMH du Bois de Boulogne…), force est de constater que Paris ne saurait se réduire à ces gestes, si beaux et coûteux fussent-ils. Or, on constate que l’intérêt pour un patrimoine plus modeste, plus courant aussi, et qui pourtant fait Paris, est faible. L’incapacité de résoudre le dossier de la précieuse maison Louis XIII de la rue Basfroi (11e arrondissement), peut-être la plus ancienne du faubourg Saint-Antoine, est inquiétante. Et si on doit se réjouir du projet de transformation de la halle Freyssinet (13e arrondissement), comment oublier que la ville de Paris a essayé, jusqu’au bout, de la détruire en partie et s’est battue contre sa protection au titre des Monuments historiques, réclamée par toutes les associations depuis dix ans ?
L’affaire de la rénovation de la Samaritaine, dans le 1er arrondissement, a provoqué, fin 2013, la destruction d’une grande partie d’un îlot ancien du cœur de Paris, à 100 mètres du Louvre, avec la perte importante du linéaire haussmannien. Cette opération constitue un grave précédent, en tournant le dos à la règle qui a prévalu durant trois décennies, celle de la préservation des grandes voies du XIXe siècle, images caractéristiques de la personnalité de la Ville. Jamais, depuis les années Pompidou, on avait rasé un tel pan du vieux Paris dans le centre ville. A la place, un nouveau « geste » architectural doit dresser une architecture internationale à but commercial.
Ces chantiers posent une autre question : celle des règles, qui s’appliquent à tous, et des dérogations (modifications du PLU à la parcelle), accordées aux autres, souvent à des grands groupes ou de puissants personnages. Il y a là, nous semble-t-il, une rupture du contrat social.
Dans ce contexte, la réduction progressive de l’indépendance et du rayonnement de la Commission du Vieux Paris, organe consultatif chargé d’éclairer le maire en matière patrimoniale, est à notre avis regrettable. La Ville a besoin, à l’évidence, d’un organe qui puisse faire entendre une voie libre et forte, tout en offrant une expertise scientifique indépendante.
L’architecture parisienne n’est en rien ennuyeuse pour qui sait la comprendre et si l’on veut bien en transmettre l’amour. Elle ne réclame nullement d’être égayée par des constructions festives et autres objets extraordinaires. Cette logique urbaine conduit à une escalade sans fin : c’est à qui tranchera le plus sur l’unité parisienne. Elle promet une ville à l’urbanisme égoïste et chaotique. Perdant son harmonie unique – sa spécificité parmi les capitales mondiales – Paris ne rivalisera pourtant jamais avec les villes appartenant à d’autres traditions. La SPPEF appelle ainsi les candidats à soutenir une architecture contemporaine régulée, s’insérant dans le canevas parisien existant (hauteur et gabarit notamment), et non conçue systématiquement « en rupture ».