Contre la ferme* éolienne de Pouligny-Saint-Pierre

Ferme* : le terme est peu approprié pour un projet éolien terrestre, industriel par nature, visant à l’exploitation de cinq aérogénérateurs, au cœur de la quatrième zone humide de France, et d’un remarquable patrimoine naturel, culturel et humain.

L’Étang de la Mer Rouge et la Brenne © chateau-bouchet.com

Préambule

  • Une précédente étude relève fort justement que : « Le secteur de Pouligny est [donc] un secteur qui présente des contraintes écologiques et des sensibilités paysagères avérées. Celles-ci nous ont conduits à émettre une réserve quant à la possibilité d’accueillir un projet éolien sur ce secteur » ! (UDAP de la préfecture de l’Indre le 4 juillet 2018)
  • Lors de l’enquête publique : 30 % d’avis favorables, peu ou pas argumentés, 70 % d’avis défavorables, pour la plupart très argumentés (dont l’avis de spécialistes, d’associations, et une contre-étude de 115 pages), 1 400 signatures de personnes défavorables au projet.
  • Par deux fois, l’ABF a émis un avis très défavorable. (Voir ici)
  • Le 23 avril 2019, le préfet de l’Indre refuse par arrêté « l’autorisation unique à une installation de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent située sur la commune de Pouligny-Saint-Pierre », considérant, notamment, que « le pétitionnaire ne propose pas de mesure de compensation dans l’étude d’impact de son dossier » et « que le projet n’est pas acceptable en termes d’impact sur la protection des paysages et la conservation des sites et des monuments ».
  • Le promoteur dépose un recours contre cet arrêté. La cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux demande au préfet de réexaminer la demande de la ferme éolienne et de prendre une nouvelle décision.
  • Le 14 avril 2023, un arrêté autorise finalement la construction et l’exploitation de cinq aérogénérateurs et de deux postes de livraison sur la commune de Pouligny-Saint-Pierre. Laissant quelques semaines pour présenter un recours et s’opposer à la mise en œuvre du projet.

Situation générale
L’ensemble du projet est implanté dans la vallée de la Creuse (site Natura 2000), avec ses châteaux en promontoire et ses compositions urbaines en lien avec l’eau. Il se situe au sein du Parc Naturel Régional de la Brenne (PNR), reconnu au niveau national pour sa forte valeur patrimoniale et paysagère et sa vocation à protéger et valoriser le patrimoine naturel, culturel et humain de son territoire. Le PNR est, par ailleurs, un site d’une richesse environnementale remarquable avec une fréquentation touristique en constante augmentation.
Le parc éolien de Pouligny-Saint-Pierre s’enracinerait ainsi au coeur PNR, à quelques centaines de mètres de la Brenne et de ses étangs, de la Réserve Naturelle du Conservatoire des Espaces Naturels de la région Centre-Val de Loire (site des Roches), de la zone de population la plus importante de la commune. Ses cinq aérogénérateurs de 150 m de hauteur et ses deux postes de livraison nuiraient gravement à l’intégrité, la beauté et la conservation de ce terroir fragile.

Paysage et patrimoine
Dans un rayon d’à peine 10 km, le site retenu pour le projet offre pas moins de 55 monuments historiques classés/inscrits, 13 à moins de 4 km de la zone d’implantation du projet, comme le relève lui-même le promoteur.

Les 13 monuments les plus impactés par la ferme éolienne de Pouligny-Saint-Pierre

À commencer par l’église paroissiale de la seconde moitié du XIIe siècle de Pouligny-Saint-Pierre.
Arnaud de Montigny relève, notamment, en 2004 les huit voûtains « peints à fresque, représentant, sous des accolades, l’Annonciation et le Credo des Apôtres » (classés Monument historique en 1908).

L’église de Pouligny Saint Pierre du XIIe siècle. Fresques classées MH en 1908

Patrimoine naturel à moins de 3 km de Pouligny, le site des Roches (Réserve Naturelle du Conservatoire des Espaces Naturels de la région Centre-Val de Loire) sur la rive droite de la Creuse, présente un long pan de falaise face au Sud, abritant deux sites fondamentaux et complémentaires pour l’étude de la deuxième partie du Paléolithique supérieur.

Le site des "Roches"
La vallée de la Creuse vue depuis le site des Roches

La commune de Pouligny-Saint-Pierre fait partie de l’aire d’attraction du Blanc.

Le Blanc
La sous-préfecture du département de l’Indre est reconnue depuis 1983 comme Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP) et classée Site Patrimonial Remarquable. Elle abrite de nombreux monuments inscrits ou classés.

Le château de Naillac domine la vallée de la Creuse

Le plus connu de ces monuments, le château Naillac, domine la vallée de la Creuse. Son nom est associé à celui de Claude Dupin (arrière-grand-père de George Sand) qui acquiert en 1738 le marquisat du Blanc, dont le château Naillac fait partie. Soixante ans plus tard, Madame Dupin lègue le marquisat du Blanc à son petit-neveu, frère de l’époux de Laure de Ségur, tante de la romancière Sophie Rostopchine, plus connue sous le nom de comtesse de Ségur.
Depuis 1986, le château Naillac est le siège de l’Écomusée de la Brenne et abrite de nombreuses expositions, temporaires ou permanentes. Les façades, les toitures, les caves, les vestiges de la première enceinte du château sont classés Monument historique depuis le 17 septembre 1986.

Si le projet de Pouligny-Saint-Pierre se concrétise, la beauté des bâtiments et du site seront dégradés et l’horizon du château sera barré par les éoliennes.

Photomontage montrant l’incidence des éoliennes sur le site

Il en sera de même pour la belle église Saint-Cyran, édifice du XIIe siècle, proche du château Naillac, inscrite Monument historique en 1932, dont il faut notamment remarquer l’ouverture primitive, l’abside voûtée en cul de four et les impostes décorées de billettes.
La liste est trop longue et nous nous en tiendrons aux trésors architecturaux blancois les plus connus :

  • L’ancien couvent des Augustins, construit sur un terrain donné au début du XIVe siècle à un ermite de l’ordre des Augustins par un seigneur de Naillac. Les façades et la toitures des anciens bâtiments conventuels sont inscrits au titre des monument historique en 1932 et 1986, ainsi que des salles voûtées du XVIIe.
  • L’hôtel Châtillon de Villemorand : belle demeure de la Renaissance, dont la façade s’ouvre par une porte sculptée à colonnettes sur une cour intérieure, avec galeries et sculptures. Le plus bel hôtel particulier du Blanc est, également, un emblème de la montée en puissance de la bourgeoisie de province, et un précieux témoignage architectural et sociologique.
  • La chapelle des Piliers : édifice du XIIIe siècle, inscrit au titre des monuments historiques en 1928.
    Selon la notice de la base Mérimée : « Le fief des Piliers était l’emplacement des Piliers de Justice ou Fourches patibulaires [gibets placés en hauteur et bien en vue du principal chemin public, qui signalaient le siège d’une haute justice]. L’ancienne chapelle des condamnés existe encore (…) À droite, se trouve une étroite cellule avec embrasure permettant au condamné d’entendre la messe (…) Au-dessus se situait la salle de Justice transformée en habitation ».
  • L’église Saint Génitour, du nom du saint patron du Blanc. Le plan de l’église des XIIe et XIIIe siècles est particulier : il semble à la fois incliné vers la gauche, rappelant la tête penchée de Jésus sur la croix, et même séparé de l’église, rappelant alors peut-être le martyr de Saint Génitour, qui eut la tête tranchée pour avoir renié sa foi. L’église est classée Monument historique depuis 1930.
    L’église Saint Génitour et dans sa perspective le mât de mesures du parc éolien

La vallée de la Creuse

Site Natura 2000, la vallée de la Creuse est enjambée par l’autre emblème du Blanc, le viaduc de 528 m de long qui accueille la voie verte :

  • Le viaduc, ouvrage d’art ferroviaire construit en 1885-1886, offre de ses 38 m de hauteur un point de vue majeur à 360° et prisé des Blancois, sur les paysages naturels et préservés de la vallée de la Creuse, du pays Blancois et sur la ville du Blanc.
  • La voie verte, sentier de randonnée qui traverse le PNR de la Brenne d’Est en Ouest en longeant la Creuse, est l’un des circuits les plus appréciés pour découvrir les paysages de Brenne.

Ci-dessous, le photomontage réalisé par le promoteur montre la prégnance des éoliennes. Les vues offertes aux promeneurs sur la vallée de la Creuse seront oblitérées par la co-visibilité du parc éolien d’une extrémité à l’autre du viaduc.

Autre joyau de la vallée de la Creuse touché par le projet éolien de Pouligny-Saint-Pierre : l’abbaye de Notre-Dame de Fontgombault, qui accueille une communauté monastique depuis 1948. Son histoire remonte à 1091, quand Pierre de l’Étoile et ses compagnons fondent l’abbaye, sur la rive droite de la Creuse, près de la fontaine de Gombaud.

L’abbaye de Notre-Dame de Fontgombault

Ce monument historique d’architecture romane est remarquable pour son déambulatoire et ses chapelles rayonnantes aux proportions remarquables. Il se caractérise par son chœur doté de doubles bas-côtés et flanqué de cinq chapelles absidiales rayonnantes. L’abbatiale possède encore sa façade d’origine. L’abbaye dispose de sa propre centrale électrique et est autonome en matière d’énergie. Elle est inscrite Monument historique depuis 1934.

Des hameaux et villages négligés par le promoteur
De nombreux hameaux de la commune de Pouligny-Saint-Pierre (Les Roches – Bénavent – La Boudinière….) présentent un intérêt architectural indéniable qui illustre la typicité du bâti local.
Le village de Mont la Chapelle, qui compte près de 200 habitants, est situé à proximité immédiate du projet éolien (660 m).

Le hameau Mont la Chapelle avec au premier plan les rives de la Creuse

L’impact du projet n’est pas documenté par le promoteur, mais nous pouvons facilement imaginer ce
village « coiffé » de cinq éoliennes géantes au troisième plan !!!

À la hauteur de Mont la Chapelle, face au projet éolien de Pouligny-Saint-Pierre, sur l’autre rive de la Creuse se trouve le village de Saint-Aigny qui accueille l’église Saint-Aignan. Datant du XIIIe siècle, elle est inscrite à l’inventaire des Monuments historiques depuis 1932.

L’église Saint Aignan du XIIIe siècle

Un bas-côté a été ajouté au XVe siècle et le clocher-mur est du XVIIe. D’anciennes peintures, découvertes ces dernières années sous la chaux qui recouvre les murs, sont en cours d’étude.

Le Saint-Fleuret, unique dans la région
À proximité de la voie romaine rejoignant Poitiers, près de Rochefort (château et belvédère remarquables), tout près du hameau de Mijault, se trouve un monument rupestre long de 4 m et haut de 2 à 3 m, datant de la fin du IIe siècle-début du IIIe siècle.
Trois niches cintrées sont taillées en bas-relief dans le calcaire, abritant chacune un personnage. La pierre possède un replat au sommet : on a pu trouver au fond d’un trou une urne funéraire avec quelques ossements.
D’après la légende, un artiste avec sa femme et sa fille, chacun avec un chien, empruntaient la route de Poitiers. La famille aurait été noyée en traversant la Creuse à gué. Seul, l’homme avait pu échapper à la mort et il aurait réalisé la fresque en s’y figurant avec sa femme, sa fille et leurs chiens.

Le Saint Fleuret - Monument rupestre datant de la fin du IIe siècle-début du IIIe siècle

Les rayons matinaux illuminent le monument et les habitants de la région venaient autrefois implorer le Saint-Fleuret avant le lever du soleil devant les sculptures qui jouissent alors d’un éclairage particulier.
Ce type de monument est unique dans la région mais l’on peut en trouver d’autres dans l’est de la France, notamment en Moselle. (Sources : Gérard Coulon + Les Phénomènes Solaires Artificiels de Thierry Van de Leur).

La Brenne des étangs
Dans la Brenne, l’éloignement de 8 km du projet éolien de Pouligny n’empêche malheureusement pas la perception d’éoliennes de 150 m de hauteur dans un relief globalement plat.
Le château du Bouchet sera ainsi directement touché. Monument historique emblématique de la Brenne, datant du XVe siècle, situé sur un promontoire au cœur du PNR, il est classé au titre des Monuments historiques depuis 1955. . Sa terrasse offre une vue panoramique unique sur plusieurs dizaines de kilomètres sur toute la Brenne.

Le château du Bouchet, monument historique du XVe siècle
Le château du Bouchet et les étangs de la Brenne

À côté est implantée la Maison du Parc, à la fréquentation touristique intense et en progression constante.
Le château est grandement et gravement menacé par le projet éolien de Pouligny-Saint-Pierre, et par le parc éolien du Pays Blancois (5 aérogénérateurs de 200 m de hauteur), situé dans le même axe et la même perspective, sur les communes de Saint-Aigny, Mérigny, Concrémiers.

La Brenne et son avifaune

La Brenne et ses étangs

Zone humide d’importance internationale inscrite à la convention RAMSAR, la Brenne, située au centre de la France, est un joyau de la nature européenne. Ses cent mille hectares d’eau, de landes et de forêts accueillent une faune et une flore exceptionnelles.
Le pays des mille étangs (en réalité plus de 3 000) est l’une des régions les plus sauvages de France, pleine de charme et de mystères et… vierge de toute éolienne à ce jour.

Outre la défiguration des paysages et d’un cadre de vie unique, outre les conséquenses sur les biens immobiliers nécéssairement dévalorisés, ce projet aurait aussi des répercussions néfastes sur un corridor écologique de première importance, le couloir migratoire de la grue cendrée et sur la présence de très nombreuses espèces d’oiseaux sur ce territoire (étangs, vallée de la Creuse…) ainsi que sur une population très riche de chiroptères (17 espèces recensées : noctules, sérotines, pipistrelles, grand rhinolophe, rhinolophe euryale avec 50 % à 80 % des effectifs régionaux…).
Enfin, le projet éolien de Pouligny-Saint-Pierre se situe en bordure de sites NATURA 2000 de la vallée de la Creuse et de ses affluents, à proximité immédiate de « la Réserve Naturelle du Conservatoire des Espaces Naturels de la région Centre » du Bois des Roches, une zone qui abrite de très nombreux chiroptères et compte plusieurs pelouses calcicoles.

La vallée de l’Anglin
Si le projet de Pouligny se concrétise, bien d’autres suivront. La vallée de l’Anglin et ses monuments historiques, déjà touchés par le projet éolien de Pouligny-Saint-Pierre, subiront alors les effets néfastes du projet du Pays Blancois actuellement en instruction (Saint-Aigny, Concrémiers, Mérigny).
Sont entre autres menacés :

  • Le château de Forges, construit sur une motte surplombant la rive gauche de l’Anglin, sur la commune de Concrémiers, n’a pas subi d’aménagements ultérieurs à sa construction. Il constitue une référence architecturale par sa pureté et sa cohérence historique et a fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques en 1964.
    Le château de Forges est une forteresse datant du XIVe siècle

    Cette forteresse, citée au début du XIVe siècle, a gardé son caractère féodal. Donjon carré flanqué aux angles de quatre tours rondes et entouré de trois côtés de murailles sur lesquelles s’appuient cinq tours percées d’archères dont l’une constitue le colombier. Cette imposante bâtisse, fortifiée par Jean de Poix, par lettre patente de Charles VII de 1447, est un véritable trésor familial puisqu’aujourd’hui encore, Hugues, descendant du même nom, fait perdurer l’étonnante aventure médiévale.

La chapelle Saint-Jean de Plaincourault.

La chapelle Saint-Jean de Plaincourault, construite au début du XIIe siècle

Fondée entre 1110 et 1120 par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, la chapelle de Plaincourault ((Mérigny) est un édifice roman très harmonieux, d’une grande simplicité, qui abrite de remarquables peintures murales. Classée monument historique en 1944, la chapelle est célèbre par son art roman singulier, notamment ses fresques chrétiennes. Ces peintures murales, malgré leurs couleurs assez « fraîches » ont été réalisées entre le XIe et le XIIIe siècle. Elles mettent en scène des animaux fantastiques, nous racontent des légendes médiévales, nous invitent à la contemplation d’un monde imaginaire riche et touchant.

Le château d’Ingrandes

Le château d’Ingrandes dans le PNR de la Brenne. Image CommonsWikimédia

Le château d’Ingrandes se situe dans le Parc Naturel Régional de la Brenne, dans le bourg d’Ingrandes. Il est inscrit au titre des monuments historiques depuis 1987.
Défendu par la vallée escarpée de l’Anglin au Sud et par de profonds fossés (aujourd’hui disparus) au nord, le château féodal a dû être construit vers le XIe siècle, édifié à l’emplacement d’un castrum romain, commandant la voie romaine Bourges-Poitiers.
En 2005, la restauration d’une des tours d’enceinte a permis la construction d’un hourd en bois unique dans la région, à partir des éléments de la charpente datés de 1465.

En guise de conclusion
Pour le promoteur, il suffit de quelques bouquets d’arbres hâtivement plantés pour cacher cinq aérogénérateurs de 150 m de hauteur, et protéger tous ces joyaux qui embellissent la vallée de la Creuse.
Pour nous, il suffit de cinq machines et de deux postes de livraison pour anéantir ce patrimoine naturel, culturel et humain, que la Creuse et ses riverains ont mis tant d’années – de siècles – et de soins à façonner, à construire et à nous laisser en héritage.
La mise en œuvre du projet éolien de Pouligny-Saint-Pierre donnera le coup d’envoi au lancement des projets en cours et à venir. Elle mènera irrémédiablement au saccage des communes de la vallée de la Creuse et de l’Anglin, et à celui du Parc Naturel Régional de la Brenne, dont l’objectif est pourtant, de préserver les paysages et la biodiversité.
À ce titre, lors de son dernier comité syndical, le PNR a voté très majoritairement contre « le développement de l’éolien industriel [qui] est considéré comme incompatible aux objectifs de préservation des paysages identitaires de la Brenne ».
Pour l’ADESA aussi, il s’agit donc plus que jamais, de défendre impérativement ce territoire avec opiniâtreté et persévérance avec l’aide de toutes celles et de tous ceux qui se battent pour une véritable et sincère transition écologique.

Association de Défense de l’Environnement de Sauzelles et Alentours (ADESA)