Contribution de Sites & Monuments au projet de directive européenne sur la promotion des ENR

Sites & Monuments a contribué, le 27 juillet 2022, à une consultation publique du conseil de l’Europe sur le développement des ENR et de la performance énergétique.
Ce projet de directive, préfiguration du projet de loi français sur l’accélération du développement des ENR, prévoit, sans aucune considération pour le patrimoine ou les paysages, de considérer les ENR comme d’« intérêt public supérieur », au péril notamment de la biodiversité.
Des « zones propices » au développement des ENR seraient par ailleurs identifiées et dispensées en conséquence d’évaluation environnementale. Elles bénéficieraient en outre d’autorisation accélérées et tacites. Les zones non propices seraient, selon la recommandation ayant inspiré le projet de directive, « limitées au minimum nécessaire », tandis que les projet d’ENR qui y seraient établis bénéficieraient, comme en zone favorable, d’une présomption d’« intérêt public supérieur ».
Cette contribution a également été adressée par LRAR à la présidente de la Commission Européenne, Madame Ursula Von Der Leyen, accompagnée d’une impression de notre sondage OpinionWay (mars 2022) sur l’impact des éoliennes.
Projet de loi et projet de directive sur les ENR doivent par conséquent être combattus ensemble.
JL

Contribution de l’association Sites & Monuments – SPPEF :

"Sites & Monuments – SPPEF, fondée en 1901, est la plus ancienne association française dédiée à la protection des patrimoines naturels et bâtis. Elle est à l’origine, en 1906, de la première loi française protégeant les sites naturels et les paysages. Reconnue d’utilité publique en 1936 et agréée pour la protection de l’environnement sans discontinuer depuis 1978, elle est concernée au premier chef par la proposition de directive 2022/0160 (COD).

Sortir d’une dépendance créée par les ENR par plus d’ENR ?

La proposition de directive nous semble extrêmement mal fondée. Elle vise en effet à remédier, par un recours accru et facilité aux énergies renouvelables (ci-après ENR), à une pénurie énergétique provoquée - en particulier en Allemagne - par la dépendance des ENR intermittentes à des énergies fossiles de substitution importées notamment de Russie.

Cette proposition de texte s’apparente par conséquent à une fuite en avant

Elle est particulièrement injuste pour les Etats ayant fait le choix d’énergies pilotables et décarbonées. Le secteur des ENR - ayant précipité une partie de l’Europe dans une situation de dépendance - se trouverait en quelque sorte récompensé du fait de cet échec, ce qui pose une question morale autant que d’efficacité. Plus d’ENR intermittentes appelle en effet plus d’énergies pilotables carbonées.

L’absence de toute considération paysagère et patrimoniale

La présente proposition de directive touche indirectement à des questions fondamentales qu’elle n’évoque jamais. Il va en effet de soi que la multiplication des éoliennes, des panneaux photovoltaïques, des dispositifs de stockage et des réseaux afférents serait un bouleversement paysager sans précédent, en particulier en industrialisant les territoires ruraux. Or, la question des paysages et du patrimoine bâti - concerné dans ses abords et, plus directement, par un passage de 9 à 13% des objectifs d’économie d’énergie de l’Union - touche à l’identité même de chaque pays membre de l’Union. Ces conséquences ne sont pas même envisagées par la directive qui ne comprend aucune occurrence des mots « paysage », « patrimoine » ou « site ».

Par ce projet de directive, la commission prend d’ailleurs le contre-pied des constats faits par une majorité de Français. Les dernières études réalisées à l’échelle nationale en France montrent ainsi un rejet clair des éoliennes. Ainsi, selon un sondage OpinionWay réalisé pour Sites & Monuments en mars 2022 auprès d’un échantillon de 2258 personnes représentatif de la population française, 72 % des Français attribuent un impact négatif aux éoliennes sur les paysages mais également sur la biodiversité (même chiffre). En définitive, 61 % des Français sont favorables à un moratoire de plusieurs années des implantations d’éoliennes terrestres en France.

https://www.sitesetmonuments.org/61-des-francais-favorables-a-un-moratoire-eolien-sondage-opinionway-pour-sites-monuments

Considérer les ENR comme d’« intérêt public supérieur » est injustifié et dangereux

Le fait de conférer à « la planification, la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables  », ainsi qu’aux réseaux et stockages afférents, un caractère d’« intérêt public supérieur  » est une erreur fondamentale. L’intérêt des nouveaux projets d’ENR sera ainsi présumé l’emporter, dans la totalité du territoire de l’Union, sur celui tenant à la préservation de l’environnement (espèces protégées), du patrimoine, des paysages, etc… Pourtant, l’abus d’ENR intermittentes a conduit l’Allemagne à dépendre du gaz russe, tandis que la disparition ou la fragilisation de nombreuses espèces animales est l’un des enjeux majeurs de notre temps. Y contribuer au nom d’un « intérêt public supérieur  » nous semble pour le moins contestable. Notons, sur ce point, que la Recommandation de la Commission du 18.5.2022 accompagnant le projet de directive prévoit bien que « Les États membres devraient veiller à ce que la mise à mort ou la perturbation d’espèces données d’oiseaux sauvages et d’espèces protégées au titre de la directive 92/43/CEE du Conseil12 ne fasse pas obstacle au développement de projets dans le domaine des énergies renouvelables […] » (§ 24).

L’effet d’éviction des parcs industriels de production d’énergie contribue également à la déprise rurale comme à l’abandon de certains patrimoines dont l’environnement est dégradé. Ainsi, il est impossible de considérer que l’implantation d’ENR est nécessairement profitable. Elle ne peut pas plus être considérée comme conforme à « l’intérêt de la sécurité publique » comme le montre l’actuelle dépendance allemande au gaz importé. De même, présumer que les ENR sont conformes à « l’intérêt de la santé » est contestable, notamment en raison des sons produits par certaines d’entre elles et des pollutions induites, comme en Allemagne, par les énergies carbonées palliant leur intermittence.

La présomption d’« intérêt public supérieur » ainsi établie ne pourrait être renversée qu’en fournissant « des éléments de preuve non équivoques selon lesquels ces projets ont des incidences négatives majeures sur l’environnement qui ne peuvent être atténuées ou compensées », ce qui est illusoire et confine à la présomption irréfragable.

Ainsi, la notion d’intérêt public ne devrait pas être hiérarchisée mais dépendre de la combinaison de différents critères, sans que leur mise en « balance » ne soit faussée par une présomption. Limiter la reconnaissance d’un « intérêt public supérieur » des ENR à la période « d’atteinte de la neutralité climatique » (dont rien ne dit qu’elle sera un jour effective) n’est pas satisfaisant, les dégradations occasionnées, notamment aux espèces protégées et au patrimoine étant irréversibles.

Fixer une proportion minimale d’ENR dans l’électricité européenne, et rehausser ce seuil à 45 % pour 2030, relève de la même erreur. La mise en place d’ENR est alors conçue comme nécessairement bonne, ce qui est parfaitement contestable, comme nous venons de le montrer.

La présomption établie contreviendrait au demeurant très probablement à l’article 3 de la Charte de l’Environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité français, article selon lequel « Toute personne doit, dans des conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».

Considérer que la mise en place d’ENR relève d’un « intérêt public supérieur » serait perçu en France comme une provocation, l’opinion publique identifiant de nombreux impacts négatifs liés à leur mise en œuvre, comme le montre notre sondage national OpinionWay réalisé en mars 2022. Cela ne ferait qu’accroitre en définitive la défiance des citoyens vis-à-vis de politiques perçues comme technocratiques.

https://www.sitesetmonuments.org/61-des-francais-favorables-a-un-moratoire-eolien-sondage-opinionway-pour-sites-monuments

Des créations de « zones propices » en trompe-l’œil

L’identification de « zones propices » au développement des énergies renouvelables (dispensées en conséquence d’évaluation environnementale et bénéficiant d’autorisation accélérées et tacites) est presque impossible en matière de protection des paysages, du patrimoine et de la biodiversité. La dimension croissante des éoliennes terrestres (dépassant couramment en France les 240 m de haut) les rend en effet pratiquement inintégrables aux territoires.

Nous considérons d’ailleurs, qu’en présence de machines de cette dimension, le triptyque « éviter, réduire, compenser » du droit de l’environnement français, visant à équilibrer les nuisances industrielles, peut difficilement fonctionner.

A titre d’exemple, l’étude d’impact d’un projet d’éoliennes de 241 m en bout de pales, situé dans les communes de Bransat-Laféline (Allier), admet que « des éléments de 250 m de haut seraient perceptibles depuis la majeure partie du territoire de l’étude », soit dans un rayon de 18 km et au-delà. Circonstance aggravante, pas moins de cent monuments historiques sont recensés dans cette même zone d’étude. Ils pâtiront tous, d’une façon ou d’une autre (visibilités directes, covisibilités, dégradation du bassin de vie), comme l’ensemble du territoire concerné, de la proximité de ce projet.

https://www.sitesetmonuments.org/contribution-de-sites-monuments-a-l-enquete-publique-du-projet-eolien-de-bransat-lafeline-plus

La définition des zones propices ne s’accompagne par ailleurs d’aucune contrepartie sérieuse en termes de zone d’exclusion. Ainsi, la Recommandation de la Commission du 18.5.2022 accompagnant le projet de directive précise que « Les États membres devraient limiter au minimum nécessaire les « zones d’exclusion », dans lesquelles les énergies renouvelables ne peuvent pas être développées. […] Les restrictions devraient être fondées sur des données probantes et conçues de manière à atteindre l’objectif visé tout en maximisant la disponibilité de zones propices au développement de projets […] » (§ 22).

Les projet d’ENR établis en zones non propices n’en bénéficieraient d’ailleurs pas moins de la présomption d’« intérêt public supérieur » de la proposition de directive.

Ainsi, l’ensemble du territoire européen serait largement éligible au développement des ENR. L’éolien « planifié » viendrait notamment s’ajouter à l’éolien anarchique existant, après « repowering » (c’est-à-dire maximisation des hauteurs) ou construction de nouveaux parcs hors des « zones propices ».

Une industrialisation sans précèdent des paysages européens en serait la conséquence (dispositifs de production, de stockage et de transport de l’électricité associés), à rebours des objectifs de la Convention du Conseil de l’Europe sur le paysage (STE n°176) de 2000.

L’association Sites & Monuments – SPPEF émet, par conséquent, un avis très défavorable à ce projet de directive.

Julien Lacaze, Président Sites & Monuments - SPPEF"

Lire la proposition de directive du parlement européen et du conseil
Lire la recommandation de la commission européenne du 18 mai 2022
Lire notre contribution au format pdf
Lire notre lettre à la présidente de la Commission Européenne