À Craponne-sur-Arzon, la mairie a lancé un programme de démolitions massives, qui ne respecte ni les normes nationales ou locales, ni les études sur le centre historique qu’elle a elle-même commandées.
Cette photographie de couverture du Schéma de revitalisation, d’aménagement et de sauvegarde du centre bourg (2016) est devenue un triste résumé des menaces imminentes menaçant le bourg. La vue aérienne montre aussi le bon état des toitures, qui ont préservé le gros œuvre des maisons, contrairement à ce qui est parfois avancé.
Un riche patrimoine urbain
L’origine de Craponne est très ancienne, comme l’attestent son nom pré-indo-européen signifiant « la source du rocher » et son implantation au carrefour de plusieurs chemins pré-celtiques. Au Moyen-Age, la ville s’est développée le long de l’itinéraire principal : « la Bolène », réutilisée par les pèlerins et les marchands se rendant au Puy-en-Velay et à Saint-Jacques de Compostelle. Ses foires et marchés aux confins du Velay, de l’Auvergne et du Forez ont favorisé sa prospérité. Entre 1850 et 1930, Craponne est devenue un centre dentellier de renommée mondiale, avec un style bien particulier.
Si Craponne ne possède pas de monument comparable à l’abbaye de la Chaise-Dieu située à 19 km, elle est la commune la plus peuplée du canton et son patrimoine est très complémentaire, pouvant mettre en avant un tissu urbain aussi riche que diversifié, étroitement lié à l’importance du commerce et de l’artisanat, à la présence de familles aristocratiques et à l’ascension de la bourgeoisie. En parcourant les rues et places après avoir découvert les principaux monuments, les belles surprises ne manquent pas… C’est pourquoi un guide de visite a été élaboré en 2004 en coopération entre le parc naturel régional Livradois-Forez, la mairie, l’office de tourisme et la société d’histoire locale : « une ville marché à la croisée des chemins ».
À Craponne-sur-Arzon, six édifices sont inscrits à l’ISMH :
- La tour-porte du château, dite « le donjon » (XIIe - XIIIe siècles)
- L’église Saint-Caprais (XVe - XVIe siècles)
- Deux hôtels particuliers des XVIe , XVIIe et XVIIIe siècles
- Une boucherie Art Nouveau (1900)
- L’hôtel de ville (1913).
À ces monuments protégés s’ajoutent de nombreux autres bâtiments intéressants (chapelle des Pénitents blancs, hôtels particuliers, maisons à pans de bois…) qualifiés de « patrimoine non protégé » ou « d’ouvrages d’intérêt architectural ou urbain » par le Schéma de revitalisation, d’aménagement et de sauvegarde du centre bourg, publié par la mairie en 2016.
Le XXe siècle, entre destructions et réhabilitations
Si les guerres ont épargné ce patrimoine bâti, il a dû subir les assauts d’une modernité mal comprise, particulièrement dans la seconde moitié du XXe siècle qui a laissé, comme dans d’autres communes, des cicatrices.
Dans les années 1960, la quasi-totalité des rues et places a été privée de ses pavés de granit pour laisser la place au bitume. En parallèle, certaines maisons historiques étaient dénaturées ou détruites.
On pouvait croire que grâce à l’évolution des mentalités en faveur d’une prise en compte culturelle et économique du patrimoine, ces atteintes n’étaient que de mauvais souvenirs : certaines places ont été repavées dans les années 1990, la Chapelle des Pénitents et des façades ont été restaurées, un projet de Maison du patrimoine et de la dentelle a été lancé sur la proposition de Jacques Barrot alors président du Conseil général…
La « Maison de la voûte » (XVIe - XVIIe siècles) a été donnée à la société d’histoire qui l’a restaurée à partir de 2009 et en a fait un lieu ressource pour le patrimoine (salle de conférences et d’expositions, bibliothèque…)
Des études intéressantes…
Devant le constat de la dégradation du centre-ville, de plus en plus délaissé par l’activité commerciale, plusieurs études ont été commandées par la mairie.
Dès 2004, le plan-guide du bureau d’études Pierron et Terrière a défini des principes d’actions pour la revitalisation à mettre en œuvre en associant les habitants du bourg :
- Restaurer l’espace public : réparer, reprendre et reconstruire ponctuellement les trottoirs, dallages, pavages et caniveaux en pierre
Planter et fleurir l’espace public : requalifier quelques lieux ou îlots aujourd’hui négligés, par des actions éphémères et ponctuelles de fleurissement et/ou de végétalisation - Entretenir le domaine public : renforcer le nettoyage des rues et proposer aux habitants un code de bonnes pratiques
- Soutenir l’initiative privée : participer financièrement à la reprise des façades, au remplacement des menuiseries, à la réfection des garde-corps en serrurerie
- Conforter le patrimoine : renforcer la vigilance sur le respect de la règlementation architecturale, notamment sur le bâti existant de caractère.
(Parmi toutes ces actions, seule l’aide à la rénovation des façades s’est concrétisée)
Puis une étude opérationnelle a été réalisée par le cabinet Verney Carron, portant entre autres sur le quartier Pannessac.
Enfin, en 2016, une équipe pluridisciplinaire (cabinets EA+LLA, Playground, MGUrba, Derédac) a réalisé le diagnostic et l’analyse du Schéma de revitalisation, d’aménagement et de sauvegarde du centre bourg, qui a procédé à une évaluation fine de l’état et de l’intérêt patrimonial des édifices.
conformes aux normes nationales et locales...
Outre la législation protégeant les monuments historiques et leurs abords, le Programme « Petites Villes de Demain », dont Craponne fait partie, compte parmi ses cinq priorités : « prendre soin, respecter et valoriser le patrimoine, levier de développement pour les petites villes ».
Le Guide de la reconquête des îlots anciens et dégradés, diffusé en 2020 par le Ministère de la Cohésion des Territoires pour accompagner ce programme, est très clair :
- « Adaptation des tissus anciens aux usages d’aujourd’hui tout en respectant le patrimoine » ;
- « Constat d’échec social et patrimonial de la rénovation urbaine menée dans les années 1960 (…) accroître l’attractivité des centres villes en mettant en valeur les atouts, innovations et pépites locales (patrimoniales, économiques, touristiques, culturelles…) » ;
- « Intervenir à l’îlot plutôt qu’à la parcelle afin d’adapter le patrimoine aux usages d’aujourd’hui sans le dénaturer » ;
- « Bien s’entourer pour se poser les bonnes questions avant d’agir » ;
- « La lutte contre l’habitat indigne et dégradé se manifeste à travers (…) la mise en valeur du patrimoine architectural » ;
- « Le patrimoine, s’il est délaissé, est voué à se dégrader à plus ou moins long terme. C’est pourtant un des atouts les plus importants des villes en matière d’attractivité, de reconnaissance, d’identité. »
Plusieurs réhabilitations exemplaires (Cahors, Josselin, Sisteron…) sont présentées dans ce guide.
Le PADD de Craponne (Projet d’Aménagement et de Développement Durables), intégré au PLU de 2020, précise qu’il recherche :
1° L’équilibre entre : « le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la revitalisation (…) la sauvegarde des ensembles urbains et la protection, la conservation et la restauration du patrimoine culturel (…) 2° la qualité urbaine, architecturale et paysagère ».
Le PADD prévoit également :
- De « valoriser la dimension touristique du territoire » : « Poursuivre la préservation des éléments d’intérêt (patrimoine bâti remarquable, centre ancien, hameaux, petit patrimoine… »
- De « préserver et valoriser les ressources naturelles et les paysages du territoire » : « Préserver le patrimoine bâti : Tenir compte et valoriser la dimension patrimoniale du centre ancien, en favorisant la préservation de certaines caractéristiques (trame bâtie, aspect, couleurs, matériaux […]), sans pénaliser la revitalisation du centre-bourg, indispensable pour réhabiliter le patrimoine bâti » (Cette précision est surprenante et paraît superflue : comment pourrait-on opposer la valorisation du patrimoine et la revitalisation, tout en signalant que la seconde est indispensable à la première ? L’inverse est tout aussi vrai, les deux notions étant liées dans les centres anciens comme le montrent les textes nationaux cités) ;
- De « traiter la vacance des logements par la réhabilitation/ modernisation, voire la démolition » (la réhabilitation étant donc prioritaire)
De même, la Direction Départementale des Territoires indiquait dans son avis d’octobre 2019 sur la révision du PLU : " La réhabilitation des logements existants et vacants doit être prioritaire sur la réalisation de nouvelles constructions et nécessitera une révision du PLU dans le temps afin de permettre un traitement cohérent des îlots soumis à des opérations de RHI." (résorption de l’habitat indigne)
… mais bien mal prises en compte
À rebours de toutes ces orientations, les démolitions d’édifices patrimoniaux ont repris dans les années 2010, ramenant le traitement du centre historique aux perspectives des années 1960.
Comme dans d’autres communes, ces dérives se sont accentuées depuis la loi ELAN de 2018, dont les effets pervers menacent le patrimoine des communes touchées. Certaines municipalités utilisent cette nouvelle règlementation en prenant des arrêtés de péril avec interdiction d’habiter pour s’affranchir de la législation protégeant les abords des monuments historiques : l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France n’est alors plus contraignant.
Ainsi à Craponne, les procédures de péril se multiplient et la mairie souhaite « revitaliser le centre ancien » … selon les conceptions antérieures à la loi Malraux de 1964 qui a sauvé le Vieux Lyon, le Marais à Paris ou le Pouzarot au Puy-en-Velay.
Trop souvent, en cas d’inaction des propriétaires, la mairie n’exécute pas d’office les travaux qu’elle demande ; la dégradation se poursuit, débouchant parfois sur des démolitions et des bétonnages. La restauration est pourtant moins onéreuse, plus respectueuse de l’environnement et plus attractive.
De plus, des dizaines de préemptions de maisons en vente ont empêché l’installation de nouveaux habitants et donc autant de rénovations, le plus souvent en résidence principale.
Dans le même temps, la voirie du centre n’était plus entretenue, seule la périphérie bénéficiant d’aménagements, contrairement au plan-guide de 2004.
De même, la végétalisation prévue se fait attendre : les rues et places restent exclusivement minérales (bitume dégradé en majorité), ce qui ne favorise pas non plus l’attractivité. La commune a perdu 160 habitants (- 7,5%) entre 2014 et 2020, passant sous le seuil des communes urbaines avec 1 968 habitants contre plus de 3 000 dans les années 1980.
Extrait du diagnostic de 2016 :
Le projet de Maison du patrimoine et de la dentelle, équipement structurant de rayonnement potentiellement international, attend toujours d’être concrétisé alors que se fait jour une candidature de la dentelle française pour une inscription au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO et que le projet était attendu par d’autres centres dentelliers pour constituer un réseau plus représentatif.
Le remarquable hôtel Calemard de Montjoly, acquis par la mairie dans le cadre de ce projet en 1992, a enfin été restauré en 2018-2021, mais pour y déménager la médiathèque (qui fort heureusement existait déjà) alors que ces deux équipements culturels complémentaires auraient pu développer une synergie. Des logements ont été réinstallés dans la Médiathèque, bien que ce précédent usage ait dénaturé une partie de l’édifice et que les maisons à réhabiliter en logements soient nombreuses dans le quartier. En contradiction avec ce dernier choix, une extension de la médiathèque pourrait s’avérer nécessaire.
Le cas du quartier Pannessac
Le plan-guide de 2004 a identifié ce quartier (fortement bétonné au XXe siècle) comme le plus dégradé de la commune. Il prévoyait :
- la réhabilitation en Maison des services publics d’une maison du XVIIe siècle ;
- la réhabilitation en logements de 4 maisons construites entre le XVIe et le XIXe siècles ;
- la démolition de 2 maisons seulement, pour aménager des jardins.
Rue Pannessac
Maison XVIIe siècle avec cheminée Renaissance qui devait être réhabilitée avec création d’un passage… remplacée en 2011-2012 par un immeuble en béton.
Dans la même rue, deux maisons devaient être démolies pour créer des jardins :
Rue Centrale
Deux maisons XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, dont les façades devaient être restaurées suivant les prescriptions de l’ABF. En 2016-2017, la décision de démolir la maison de droite a entraîné l’effondrement de sa voisine (risque similaire dans d’autres îlots) et une reconstruction totale.
Si le résultat esthétique est meilleur que ci-dessus, ces démolitions restent regrettables.
Dans la même rue, la maison Pouly du XVIe siècle, qui devait également être réhabilitée en logements, a fait l’objet d’un arrêté de péril et de démolition en 2017. Il ne reste qu’un mur du RDC et un amas de pierres.
Conclusions pour ce quartier
- Le patrimoine bâti a à nouveau reculé devant le béton et les gravillons. La végétalisation se limite aux herbes folles qui ont remplacé la maison Pouly.
- Une seule réhabilitation (par un particulier rue Pannessac) a été conforme au plan-guide de revitalisation.
- Il se confirme que la destruction du patrimoine ne contribue pas à la revitalisation d’un quartier, bien au contraire.