« Esprits étroits », « réactionnaires », « association de quartier », « défense d’intérêts personnels »… il ne fait pas bon s’opposer aux grands groupes commerciaux et aux architectes à la mode ! Un projet vous manque et tout est dépeuplé... A grands renforts de sentences du café du commerce, nous voilà menacés de retourner aux oubliettes du vilain passé !
C’est mal connaître la Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France, association reconnue d’utilité publique et doyenne des associations française de défense du patrimoine, que de penser qu’elle décréterait « l’autorité absolue du passé », justement. C’est oublier ses combats récents pour sauver la halle Freyssinet (de concert avec SOS Paris), que la municipalité parisienne entendait détruire, le siège de Sandoz à Rueil-Malmaison de Zehrfuss et Prouvé et l’instance de classement obtenue, hélas vainement, pour la belle halle de Nicolas Esquillan à Fontainebleau (1941), son action pour défendre le théâtre de Poitiers, œuvre des années 1950…, combats dont D’A a rendu compte, en mentionnant d’ailleurs la SPPEF ! Sans sectarisme, cette association défend tout le patrimoine, parce qu’il ne s’agit pas d’une question de chronologie, mais de beauté et d’émotion.
Dans ce dossier, qui a tant ému votre journaliste, deux critères ont déterminé l’action de la SPPEF, qui ne s’engage qu’avec sérieux et responsabilité dans ce genre de recours complexe et coûteux :
– D’une part, il ne s’agissait pas, à la Samaritaine, de détruire « un peu » du vieux Paris (dixit Christian de Portzamparc, peut-être influencé dans son appréciation par ses liens passés avec le groupe LVMH), mais la quasi-totalité d’un îlot urbain, composé de maisons des XVIIIe et XIXe siècles, destructions sans précédent depuis un demi-siècle dans le centre parisien. La SPPEF se place ici dans la continuité de son action ayant permis, en 1968, de sauver l’essentiel du quartier Louis XV des halles, alors condamné au nom d’une modernité mal comprise.
– De l’autre, il s’agissait de construire un bâtiment monolithique, tout habillé de verre, dans un univers minéral, en excédent de hauteur par rapport au PLU (qu’il a donc fallu ici modifier sur mesure). C’était un choix manifeste de rupture. Il existe cependant, comme dans la plupart des pays, des règles d’organisation de la création architecturale en milieu urbain. C’est même un des caractères des villes occidentales. En l’espèce, il s’agissait d’un article clair et équilibré du PLU, voté par la municipalité qui soutient le projet ! Il faut souligner que le Tribunal administratif, dans sa sagesse et son indépendance, a rendu un jugement particulièrement motivé, et certainement pas un jugement esthétique (et qu’on épargne le mépris pour les juges qui ne comprendraient rien à l’architecture, car c’est un argument qui s’applique aussi aux élus qui délivrent les autorisations). Le PLU donne en effet les critères permettant de juger de l’insertion d’un édifice neuf dans son contexte urbain, dont certaines caractéristiques, évidemment laissées au choix des architectes, doivent être prolongées (respect du parcellaire, rythmes verticaux et horizontaux des façades, matériaux employés, forme de la toiture…). Au delà du discours, aucune ne l’était en l’espèce. Il ne s’agit donc pas du procès de l’architecture contemporaine, dont la dénonciation frise ici l’hystérie, mais tout simplement de l’application de la règle commune à un bâtiment de 73 mètres d’envergure qui espérait s’en affranchir par un soutien inconditionnel de la Ville de Paris, comme du ministère de la Culture, ici particulièrement déficient.
Ce n’est pas faire injure à l’architecture contemporaine que de rappeler que, parfois, elle se paye de mots, et que, souvent, elle joue de l’égo contre le collectif. Nous ne croyons pas, comme amateurs et comme citoyens, qu’elle se résume à une seule voie, la rupture - ici au service d’une certaine forme d’arrogance commerciale. Depuis les années 1980 et l’émergence de la starification des grands projets, on a pris l’habitude de penser la ville comme une suite de monuments-images et de coups politico-médiatiques. Ce débat n’est donc qu’en partie architectural : il concerne aussi bien la vie démocratique et la possibilité pour les villes d’être un espace de partage et pas uniquement une collection de « gestes architecturaux », dans un « bougisme » à la mode, partout ailleurs dénoncé. A force de vouloir « réveiller » Paris (dont on ne savait pas qu’elle dormait, sa vie culturelle et touristique montrant le contraire, malgré la crise !), on va surtout l’assommer… et compromettre ses caractéristiques essentielles. Toutes les générations de bâtiments devraient pouvoir cohabiter et la pratique systématique des « ruptures » constitue un signe supplémentaire du délitement du vivre ensemble. Paris, dont les immeubles détruits étaient si représentatifs de l’esprit, n’est nullement, pour qui sait l’observer, « sérieux, triste et lourd ». Il est triste que Christian de Portzamparc, s’appuyant sur son aura de Pritzker prize, se soit employé à discréditer cette architecture modeste, belle par ses variations, qui donne sa saveur à la capitale. Si certains ont pu douter du droit des juges à s’exprimer dans cette affaire, nous pensons que ce grand architecte gagnerait à mieux observer Paris !
Le chantier est désormais arrêté. Les démolitions étant en grande partie consommées, il s’agit aujourd’hui, conformément aux dispositions équilibrées et stimulantes du Plan local d’urbanisme (PLU), de créer, rue de Rivoli, sans pastiche, ni rupture, un édifice ambitieux, ce dont l’agence Sanaa est évidemment capable. Loin d’entraîner notre capitale dans la « décadence », cette décision Samaritaine lui évitera de se perdre. Est-ce trop demander aux architectes que de créer pour Paris ?
Alexandre Gady et Julien Lacaze, Président et Vice-président de la SPPEF
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