Sites & Monuments était intervenue aux côtés du propriétaire du château de La Bourbansais, fleuron du patrimoine breton, dans le cadre de l’enquête publique relative à l’implantation d’un parc éolien à seulement 1,7 km de ce monument classé (voir ici).
Conformément à la procédure actuelle, le commissaire enquêteur a rendu un avis - défavorable - sur ce projet. Son analyse est d’autant plus intéressante qu’un projet de décret, massivement rejeté par le public (voir ici), entend expérimenter en Bretagne (et dans les Hauts-de-France) une participation par voie électronique se substituant à l’enquête publique et consacrant la disparition du commissaire enquêteur (voir ici).
Pourtant, l’intérêt de son intervention concernant les projets éoliens est patent. Désigné par le président du tribunal administratif, il est indépendant, y compris vis-à-vis de l’administration. Cette indépendance, que garantit l’article R. 123-4 du code de l’environnement (voir ci-dessous), lui permet de prendre fermement position sur les dossiers qui lui sont confiés.
L’idée, soutenue par le Gouvernement, selon laquelle le préfet pourrait bénéficier de la même indépendance (voir ci-dessous) - alors qu’il est dans le même temps soumis aux objectifs de la PPE visant à implanter 6500 nouveaux mats d’ici 2028 (voir ici) - nous semble illusoire.
L’avis rendu par le commissaire enquêteur sur le parc éolien projeté à proximité du château de La Bourbansais est un excellent exemple de ce que peut apporter une analyse indépendante.
L’acceptabilité sociale du projet
Le commissaire enquêteur, qui a été physiquement en contact avec la population au cours de l’enquête publique et s’est déplacé sur les principaux sites concernés, débute son rapport particulièrement argumenté (voir à la fin de cet article) par une constatation : les éoliennes ne sont pas les bienvenues localement. Il relate également la forte mobilisation des acteurs associatifs (dont Sites & Monuments).
L’atteinte portée aux paysages
Une analyse paysagère du dossier est par ailleurs conduite. Le commissaire enquêteur constate que le parc projeté n’a pas d’unité et forme en réalité 2 parcs distincts, multipliant ainsi les nuisances visuelles pour seulement 4 éoliennes (voir ci-dessous).
Le rapport souligne en outre l’absence d’alignement des éoliennes et examine les variantes du projet afin de juger de possibles améliorations d’intégration des machines au site.
L’atteinte portée aux monuments
Outre l’aspect paysager, l’atteinte portée aux monuments historiques est évaluée. L’appréciation du commissaire enquêteur est ici nuancée (et même en partie contestable de notre point de vue). Ses conclusions distinguent ainsi le cas du fameux château de Combourg, pour lequel l’impact des éoliennes est jugé « faible » et celui du château de La Bourbansais. Dans ce cas, toujours selon le rapport, « les photos fournies par constat d’huissier [diligenté à la demande du propriétaire, voir ici] attestent qu’il existe des impacts visuels plus importants que ceux décrits dans l’étude ».
Le photomontage du promoteur montrant la vue modifiée depuis le château de Combourg (voir ci-dessous) a ainsi été jugé convaincant par le commissaire enquêteur.
Il retient en revanche la démonstration faite par le propriétaire du château de La Bourbansais (voir ici) au moyen de ballons gonflés à l’hélium positionnés à l’emplacement des futures éoliennes (voir ci-dessous).
Recommandations et conclusion
A l’issue de son rapport, le commissaire enquêteur formule des recommandations. L’une, "ponctuelle", demande à ce que le promoteur prenne l’engagement de retirer totalement le socle de l’une des éoliennes à l’issue de son exploitation afin de restaurer une zone humide. Les autres recommandations sont qualifiées d’"importantes". Le commissaire enquêteur considère ainsi que l’unité d’ensemble du projet doit être améliorée par un regroupement des mats afin d’éviter un effet de mitage paysager ; qu’il est souhaitable d’améliorer l’acceptabilité sociale du projet et nécessaire de « modifier l’implantation des éoliennes afin que l’impact visuel important de celles-ci depuis le bâti et les abords classés au titre des monuments historiques du domaine de la Bourbansais soit supprimé ou puisse au minimum être qualifié d’acceptable ».
L’avis du commissaire enquêteur sera au total « défavorable » (voir ci-dessous). Après s’être posé « la question essentielle de savoir si le site retenu est en mesure d’accueillir un parc éolien », le commissaire juge en effet que « les zones d’implantation possibles sont si réduites que le déplacement des éoliennes est impossible ».
Le préfet est désormais libre de suivre ou non l’avis défavorable du commissaire enquêteur, dont la publication, conformément à l’article R. 123-21 du code de l’environnement, est une garantie importante. L’article L. 123-16 du même code prévoit cependant que « Le juge administratif des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur [...], fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci. » Cette disposition n’aura évidemment plus d’objet avec la nouvelle procédure.
Les préfets, substitués par l’effet de l’expérimentation aux commissaires enquêteurs, seront-ils capables d’autant de liberté d’appréciation, compte tenu des directives gouvernementales d’augmentation du parc éolien (voir ici) ? C’est peu probable.
Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments
Consulter l’avis du commissaire enquêteur du 3 décembre 2018