Tribune libre : des architectes de campagne pour nos territoires !

Élus, administration, architectes, promoteurs, entreprises et citoyens, c’est par l’action de tous que l’urbanisme de nos villes et de nos villages se construit ; c’est par eux tous qu’il s’améliore. Nous publions ici la tribune d’un de nos adhérents, Christian Piérard, qui plaide en faveur d’une plus grande qualité esthétique des constructions et d’un meilleur respect de leur environnement bâti et paysager.

Guignes - ZAC de la Pièce du Jeu. Image Wikimedia

Voiries superflues, infrastructures peu économes en terre et en matériaux… les impacts indirects des constructions neuves mal intégrées à l’existant.


La révolte des Gilets Jaunes a pu à juste titre être aussi interprétée comme exprimant la revendication par nos concitoyens de la France dite périphérique d’un droit, sinon à la ville du moins à plus d’aménités urbaines. Un cadre de vie harmonieux fait partie de ces aménités mises en péril par une urbanisation pavillonnaire mal maîtrisée et des lotissements sans âme… ni arbres.
Selon nous, tout autant que la disparition des commerces et des services publics de proximité, l’atteinte aux paysages, à l’identité des lieux, peut certainement affecter sournoisement le moral des « rurbains »

Sur les 10 dernières années, la production annuelle moyenne de maisons individuelles atteint 173 000 unités, soit 45% du total des logements toutes catégories confondues.

L’impact de l’habitat individuel est d’autant plus visible que la part du secteur diffus (127 000 unités) prédomine largement sur celle du secteur groupé (46 000 unités).
Le secteur groupé, précisons-le, correspond à la réalisation d’ensembles de logements individuels - isolés, jumelés ou en bande, peu importe - dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par un seul promoteur avec nécessairement le concours d’un architecte.

Pourtant proclamé d’intérêt public par la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, « le respect des paysages naturels ou urbains » est trop fréquemment bafoué par les constructions individuelles.

Comment pourrait-il en être autrement ? Près de 95% des maisons individuelles en secteur diffus sont construites sans architecte, pour cause de dispense légale en deçà de 150m² de planchers ; de plus, architectes et paysagistes sont absents des services instructeurs des permis de construire, lesquels se bornent à vérifier l’application de règles de pure géométrie administrative (emprise au sol, distances, prospects, hauteurs) et, en outre, ne sanctionnent pour ainsi dire jamais les manquements aux prescriptions paysagères.

Faute de supprimer ce calamiteux seuil de 150 m², une solution minimale s’impose : adjoindre à chaque service instructeur, communal ou intercommunal, un homme de l’art, architecte ou paysagiste, en charge du respect du paysage.

Dans le cadre de l’instruction des autorisations d’urbanisme, seul un homme de l’art, en effet, habilité à négocier avec le maître d’ouvrage ou son mandataire, pourra éventuellement faire évoluer un projet indigent ou manifestement attentatoire au paysage…pour autant que les élus consentent à lui accorder leur pleine confiance.

A défaut de pouvoir influer directement sur l’aspect extérieur des projets de construction, cet homme de l’art aura tout autant vocation à exprimer des conseils voire des prescriptions au niveau des travaux d’aménagement des abords. Ces travaux souvent perçus comme secondaires, et d’ailleurs souvent différés ou laissés inachevés par des particuliers négligents ou impécunieux, ont une incidence directe sur le niveau d’insertion du projet dans le site, particulièrement en milieu rural ou périurbain.

Pourtant des choix souvent simples et peu coûteux peuvent améliorer substantiellement l’intégration d’une construction nouvelle dans son environnement ; clôtures, revêtements des sols des accès et des aires de stationnement, locaux annexes et petites dépendances, végétalisation des espaces libres (choix des essences, répartition et densité des plantations), tous ces « détails » ont une importance beaucoup trop négligée dans notre pays.

Revenir à la lettre et à l’esprit de l’Article R111-27 du code de l’urbanisme [1] s’impose donc plus que jamais, surtout en ces temps d’étalement urbain si peu maîtrisé.

Il s’agit là d’un investissement d’avenir : pour nos paysages immémoriaux aussi bien que pour la qualité du cadre de vie quotidien de nos concitoyens de la ruralité et du péri-urbain.

N’oublions pas ce que nous rappelle, en une très belle formule, l’article premier du code de l’urbanisme : « le territoire français est le patrimoine commun de la nation » !

Christian Piérard
Administrateur du CAUE du Pas-de-Calais

Notes

[1Article R111-27 du code de l’urbanisme : « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales. »