Après la scandaleuse démolition de la caserne Miribel à Verdun, c’est au tour de Sarrebourg, la ville et le canton tremplins de Pierre Messmer, ministre des armées (1960-1969) et premier ministre (1972-1974), de provoquer inquiétude, voire indignation des défenseurs du patrimoine militaire de qualité.
Sarrebourg, la ville natale du général Mangin ! Construit sous le régime allemand d’avant 1918, l’hôpital militaire (alias « lazaret ») est un gros bâtiment rectangulaire ayant l’allure d’une demeure ancienne à l’italienne.
Deux étages séparés du rez-de-chaussée et de l’attique par des bandeaux et des corniches en encorbellement ; le tout en briques et pierres donnant aux façades un aspect plaisant et coloré. Un bâtiment en retour accolé sur un côté n’en fait pas un rectangle parfait.
Jusqu’à présent, le bâtiment peu menacé et désaffecté ne semblait ni émouvoir ni intéresser. Mais c’était sans compter sur l’apparition de l’opération « Cœur de ville » un dangereux outil qu’accompagne une phraséologie lénifiante et peu compréhensible et qui apporte de l’argent à des projets visant à faire table rase du tissu urbain forgé par des architectes imaginatifs et transmis par des siècles modérément destructeurs.
À Verdun, le maire et le conseil municipal se sont servis avec cynisme de ce missile pour pulvériser un chef d’œuvre militaire : non seulement il s’agit d’une action béotienne mais encore d’un détournement de l’esprit et des objectifs de la loi. (Voir nos articles)
À Sarrebourg la phraséologie a aussi servi d’alibi :
« Dans le cadre de la démarche « Action Cœur de Ville », la Ville de Sarrebourg agit en faveur de l’habitat du centre-ville avec une Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat et de Renouvellement Urbain (OPAH-RU). Cette opération a pour but de requalifier l’habitat dégradé et renouveler les typologies et les formes d’habitat pour créer une offre de nouveaux logements en centre-ville.
L’Agence Nationale de l’Habitat, la Région Grand Est et Action Logement agissent aux côtés de la Ville de Sarrebourg et de la Communauté de communes de Sarrebourg Moselle Sud pour inciter et accompagner les propriétaires à réaliser des travaux de réhabilitation de qualité dans le parc privé ancien existant. Pour cela, un accompagnement technique est prévu et des aides financières pourront être débloquées pour les particuliers.
Le cabinet d’études URBAM CONSEIL a été spécialement mandaté pour aider les propriétaires et les bailleurs dans leurs projets de rénovation situé dans le périmètre d’Opérations de Revitalisation du Territoire (ORT). »
Quand en plus on sait que la communauté de communes de l’agglomération de Sarrebourg est tout à fait prête à mettre la main à la poche pour ne pas réutiliser l’existant et bien sûr pour raser l’hôpital militaire, on peut avoir de vives inquiétudes (comme à Verdun, cette opération a toutes les chances d’être présentée comme une requalification nécessaire).
Le combat de Pascal Lefevre et du collectif Résonnance Inter-associations
Un habitant de Sarrebourg, à la fois attaché à sa ville et combatif, s’est insurgé contre le funeste projet municipal, datant de plusieurs années et arrivé à présent à un point avancé. Après avoir créé un comité scientifique regroupant des universitaires de Strasbourg et de Nancy, des associations mosellanes dont Renaissance du Vieux Metz, il est parti en guerre en brandissant un projet de réutilisation des locaux : « Mon objectif est avant tout de protéger ce bâtiment vieux de 128 ans, emblème de la période d’annexion. C’est le témoin et acteur de la bataille de Sarrebourg qui porte encore les stigmates des combats.
C’est l’unique vestige de ces combats particulièrement atroces qui se sont déroulés jusque dans la ville du 18 au 20 août 1914. » Et de continuer : « Avec la préservation de cet ancien hôpital, il serait possible d’offrir à la ville son centre d’interprétation sur la bataille de Sarrebourg. On pourrait aussi en faire un mémorial dédié à tous les oubliés de la Grande Guerre. Sans oublier la bataille des frontières dont Sarrebourg a été le centre avec d’autres acteurs comme Morhange, Mulhouse et la Belgique. » Et de conclure : « Nous disposons de tous les ingrédients pour atteindre cet objectif. Le bâtiment, qui malgré le récent incendie dont il a été l’objet, nous rappelle des heures tragiques, mais on peut imaginer facilement les rapports humains qu’il a abrités entre Français certes, mais également entre Français et Allemands. Pour le service de santé des Armées de l’époque, l’uniforme porté par les blessés était laissé au vestiaire. Il y avait des vies à sauver, un point c’est tout. Cet endroit est tout désigné pour honorer avec plus de cent ans de retard les blessés qui ont souffert avant soit de retourner au front soit de rentrer chez eux dans l’anonymat total. Les noms des morts figurent sur les monuments et sont honorés chaque année. Les disparus alsaciens et mosellans, pourtant 380 000 de ces Français, ne sont représentés nulle part. »
Ce point de vue et cet enthousiasme ne sont pas partagés par le successeur de Pierre Messmer, Alain Marty, qui avance les mêmes arguments simplifiés et biaisés que le maire de Verdun pour Miribel : le coût d’investissement, le coût de fonctionnement, la conjoncture, et surtout le grand saut vers la modernité que représenterait la démolition.
Là encore, un manque total d’esprit de dialogue et de volonté de conserver une ville dans son authenticité et son équilibre. Si un musée est inenvisageable, n’y a-t-il pas moyen de créer des logements ? Metz a réutilisé ses casernes de façon intelligente en conservant leur ossature. Et il est vrai que ce serait une injure au passé civil et militaire de la ville de faire table rase. Le scandale de Miribel ne doit pas se reproduire !
Jean-François MICHEL, délégué Sites & Monuments pour le Grand-Est.