Entre politique patrimoniale et politique de la ville : menaces sur la Cité de l’Abbaye à Grenoble (1927-1931)

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La Cité de l’Abbaye, construite par l’Office public d’habitations à bon marché (OPHBM) à Grenoble entre 1927 et 1931, fait l’objet d’un arrêté de démolition pour trois des quinze bâtiments qui la composent. Un arrêté du 9 février 2016, affiché le 12 juillet 2016, a été pris en ce sens. La Fédération des Associations Patrimoniales de l’Isère, adhérente à Sites & Monuments, appartenant au Collectif pour la Sauvegarde de la Cité de l’Abbaye à Grenoble, s’oppose à ce projet.

Une opération exemplaire

En 1921, l’effacement des contraintes de la défense permet à la ville une expansion urbaine correspondant à son développement économique et démographique.

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La Municipalité socialiste de Paul Mistral répond aux problèmes de logement des ouvriers en créant l’un des premiers Offices Publics des Habitations Bon Marché (OPHBM). Son souhait est de créer un habitat dans lequel soient respectés « le goût de l’hygiène et de l’esthétique, l’art architectural et celui de l’urbaniste ».

Après la cité-jardin du Rondeau (1921-1924) et la cité de La Capuche (1922-1925) et avant celle des Abattoirs (1930-1935), l’Abbaye accueille en 1929-1931 un ensemble de quinze immeubles sur quatre niveaux, répartis en trois îlots enserrant une placette arborée.

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Aujourd’hui, de ces premiers logements sociaux à Grenoble, précurseurs sur le plan national, ne reste que l’Abbaye, préservée dans son état d’origine, les cités du Rondeau et des Abattoirs ayant été démolies et celle de La Capuche ayant perdu son identité. La cité de l’Abbaye est ainsi l’ultime témoin de la création de l’OPHBM de Grenoble et des logements ouvriers de l’entre-deux-guerres. La préserver c’est reconnaître l’histoire d’un quartier de l’expansion, d’une population nouvelle et de son enracinement.

Des logements sociaux appartenant au patrimoine

La cité de l’Abbaye est labellisée Patrimoine du XXe siècle depuis 2003.

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Les trois îlots constituent un ensemble aux proportions harmonieuses, au style architectural rehaussé d’un décor discret des années 30. Ils sont notés comme « ensemble homogène » dans le Plan Local d’Urbanisme.

Les entrées d’immeubles aux portes en chêne sont surmontées du blason de la ville, les fenêtres éclairent largement de spacieuses montées d’escaliers aux rampes élégantes, donnant d’emblée une qualité remarquable dans un type d’habitat peu coutumier de cette recherche esthétique.

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La cité de l’Abbaye témoigne d’une architecture domestique, sociale et publique, trop souvent victime d’une action patrimoniale plus sensible aux marques affichées des pouvoirs laïcs, militaires et religieux. L’État a d’ailleurs toujours affirmé son avis défavorable à la démolition.

Les études patrimoniales et techniques montrent que la réhabilitation est possible. La structure du bâti le permet et sa qualité architecturale amène à la souhaiter. Elle serait un lieu d’exercice pour les entreprises locales capables de le restaurer.

La valeur patrimoniale de cet ensemble appartient à la même génération de construction que la Tour Perret, dernier témoin de l’Exposition Internationale de la Houille Blanche et du Tourisme de 1925 et dont la restauration vient enfin d’être lancée.

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Pourquoi une démolition ?

La ville de Grenoble a en réalité acté la démolition de la cité de l’Abbaye dès 2008. En décembre 2012, ACTIS, le bailleur social propriétaire des immeubles, fait faire une étude par le cabinet de Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments Historiques. Cette étude, qui propose trois scenarios, sera très peu diffusée et ACTIS ne retiendra que le scénario de « démolition-reconstruction ».

 Scénario 1 : conservation de la structure (façades et planchers), conservation de la distribution intérieure d’origine et mise en place d’une isolation par l’extérieur. Coût : 20 543 000 € H.T.

 Scénario 2 : conservation de la structure (façades et planchers), modification de la distribution et mise en place d’une isolation à l’intérieur. Coût : 22 329 000€ H.T.

  Scénario 3 : démolition - reconstruction. Coût : 25 104 000€ H.T.

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La conclusion de ce rapport est très claire : «  L’étude patrimoniale et structurelle a permis d’envisager la réhabilitation des bâtiments de la cité de l’Abbaye, témoignage important du logement social à Grenoble de l’entre deux guerres… Dans les scénarios de réhabilitation, une attention particulière a été portée sur la conservation des façades et les ornementations de cette architecture aux accents régionalistes. Est donc privilégiée la mise en place d’une isolation par l’intérieur (scénario 2). Au travers de la réhabilitation de la cité de l’Abbaye, labellisée patrimoine XX° siècle, il s’agit de proposer la préservation d’une architecture singulière organisée dans un espace urbain en perpétuelle transformation. La réhabilitation permet de concilier l’évolution de l’usage et la pérennité du lieu par le respect du contexte historique et culturel, de la conception de la forme, des matériaux et de leurs mises en œuvre.  »

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En 2015, la ville de Grenoble a fait faire à son tour une étude qui débouche sur trois scénarios :

  Scénario 1 : 255 logements réhabilités contre 264 existants, avec isolation par l’extérieur et par l’intérieur, isolation des cages d’escaliers, des caves etc… et donc des coûts très importants pour faire oublier ce projet : 33 807 280€. Ces chiffres sont encore utilisés dans l’argumentaire pour démontrer que la réhabilitation est trop coûteuse.

  Scénario 2 : avec une isolation moins importante mais toujours par l’extérieur : 29 570 080€

  Scénario 3 : démolition – reconstruction pour un total de 37 255 313€.

Pourquoi, devant la reconnaissance de toutes ces qualités patrimoniales, de celles du bâti et de son intégration dans le tissu urbain et dans le quartier, en arrive-t-on au choix d’une démolition-reconstruction ?

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La Ville de Grenoble et ACTIS n’ont jamais retenu les scénarios proposant la réhabilitation, puisque la démolition-construction permet d’obtenir des subventions dans le cadre de la construction de logements sociaux. Nous dénonçons ce système pernicieux : d’un côté, le ministère de la Culture attribue le Label patrimoine du XXe siècle et, de l’autre côté, le ministère du Logement favorise la destruction de ce même patrimoine pour reconstruire des logements sociaux neufs avec des aides financières.

La cité de l’Abbaye est d’ailleurs mentionnée comme « ensemble homogène » dans le PLU de la ville de Grenoble. Or, la solution envisagée ces derniers mois serait de ne démolir que trois immeubles sur un îlot qui en compte cinq. Il est évident que d’autres démolitions viendront ensuite. Au lieu d’une coûteuse et traumatisante démolition, le collectif de l’Abbaye demande la réhabilitation de l’intégralité de la cité.

Sites & Monuments a bien voulu soutenir notre combat en s’adressant aux ministres du Logement et de la Culture, comme au maire de Grenoble.

Fédération des Associations Patrimoniales de l’Isère, adhérente de Sites & Monuments

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