Comment, à l’encontre de tous les avis, un jugement « sidérant » du Tribunal Administratif de LILLE « ordonne le massacre » de l’environnement privilégié de deux villages du CAMBRESIS.
Les idées reçues concernant le cadre de vie dans le Nord sont légion. Et pourtant !
Il existe, dans ce Département, des richesses culturelles, patrimoniales et naturelles extrêmement diversifiées et particulièrement intéressantes, notamment dans le Sud-Ouest du Cambrésis où sont situés les villages de Marcoing et de Ribecourt-la-Tour.
Marcoing, bourgade verdoyante de 1 900 habitants, est située dans la vallée de l’Escaut. L’Éauette et le Riot traversent le village pour se jeter dans l’Escaut voisin du Canal de Saint-Quentin construit sous Napoléon III où naviguent de concert péniches commerciales et bateaux de tourisme fluvial.
Ribécourt-la-Tour, village d’environ 400 habitants niché au creux de la vallée du Riot et entouré de collines constituant le début des Collines de l’Artois. Le village est remarquable par la tour de son église sans clocher, ses souterrains datant de l’occupation espagnole et la qualité de sa reconstruction après sa destruction totale lors de la Première Guerre Mondiale.
Ces villages mêlent harmonieusement champs cultivés, paysage semi-bocager avec de petits bosquets, des haies, des talus, des vallonnements et des chemins creux dans un environnement boisé. La Zone d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique ZNIEFF de type 1 dite du Bois Couillet couvre plus de 400 hectares de ces deux communes répertoriées également dans les « Coeurs de Nature » et intégrées au Schéma Régional Trame Verte et Bleue pour permettre la préservation et la restauration des Corridors Ecologiques.
Ils sont, en outre, à l’épicentre du Champ de la Bataille de Cambrai, célèbre combat de la Première Guerre Mondiale avec l’engagement massif par l’Armée Britannique de plus de 500 tanks, ponctué malheureusement par un bilan de plus de 90 000 morts britanniques et allemands durant l’hiver 1917. Pour honorer la mémoire des militaires anglais, canadiens, australiens, néo-zélandais, américains, indiens…qui moururent pour nous libérer, d’innombrables cimetières parsèment ces territoires et un Monument des Nations et le Musée du Tank ont été édifiés dans le village limitrophe de Flesquières. Sa Majesté la Reine d’Angleterre, en souvenir d’un membre de la famille royale tué dans cette bataille, commémore chaque 21 novembre le Cambrai Day, date du début des combats.
Et c’est au milieu de cet environnement privilégié pour ses paysages, ses randonnées pédestres, équestres ou cyclables, son tourisme fluvial et son tourisme mémoriel, que la SAS « Les vents du Cambresis » émanation de la SAS Écotera absorbée depuis par le Consortium Canadien Boralex a déposé à la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement ( DREAL) en mars 2015, un dossier pour un projet éolien dénommé « Le Seuil du Cambrésis » prévoyant la construction de Treize éoliennes :
Huit sur le Territoire de Ribécourt-la-Tour, deux sur celui de Noyelles-sur-Escaut et Trois sur celui de Cantaing-sur-Escaut, les trois communes étant limitrophes de celle de Marcoing, commune ayant refusé les implantations sur son territoire mais très fortement impactée au Nord et à l’Ouest par le projet éolien.
Le Schéma Régional Eolien définissait un certain nombre de critères quant aux capacités d’accueil d’éoliennes dans un paysage, quant aux effets d’écrasement et de surplomb et quant aux principes de retrait des implantations par rapport aux vallées qui sont typiquement des paysages de petite échelle. Le grand éolien n’est pas adapté à ces paysages, il induit un rapport d’échelle déséquilibré.
Ce schéma proscrivait en outre les effets d’encerclement visuel des villages, l’implantation sur les lignes de crête ou sur les ruptures de pente de manière à ne pas contribuer au lissage de relief. Dans ce contexte les éoliennes devaient être évitées pour ne pas apparaître complètement disproportionnées et « écraser » par des surplombs incompatibles, le site et la silhouette des villages et de leurs éléments repères (Eglise, Tour....).
Or tous ces critères, qui apparaissent de bon sens, n’ont absolument pas été respectés dans le projet éolien du « Seuil du Cambrésis » pour les implantations d’éoliennes envisagées à Ribécourt-la-Tour limitrophe de Marcoing, ni pour celles implantées à Noyelles-sur-Escaut et Cantaing-sur-Escaut également limitrophes de Marcoing.
L’altitude de Marcoing dans sa vallée de l’Escaut est de 57 mètres. Les éoliennes dont la hauteur prévue est de 150 mètres sont implantées à Noyelles et à Cantaing à une altitude variant entre 70 et 90 mètres. Le différentiel entre le sommet des cinq éoliennes situées au Nord et le village sera d’environ de 180 mètres.
La situation de Ribécourt-la-Tour est plus dramatique encore. Le village dans la vallée du Riot est à 67 mètres. Les collines environnantes sont entre 110 et 120 mètres d’altitude et c’est sur ces points hauts que les huit éoliennes seront implantées soit un différentiel de près de 200 mètres. Cela crée une rupture d’échelle totalement contraire aux prescriptions du Schéma Régional. L’Ouest de Marcoing sera impacté de façon identique par ce différentiel.
Les paysages de Marcoing et de Ribécourt-la-Tour sont des paysages à échelle « humaine » et intimistes et seront complètement « écrasés » par le surplomb de ces Treize éoliennes.
Le dossier déposé par la SAS « Les Vents du Cambrésis » a fait l’objet d’un Avis de l’Autorité Environnementale rédigé par les experts de la DREAL concluant, il faut le rappeler, uniquement sur la lecture des éléments fournis par le promoteur et malgré les implantations contraires aux prescriptions du Schéma Eolien, favorablement au projet. Cet avis a été signé par Mr le Préfet du Nord le 28 avril 2015.
L’étude de ce dossier, qui a suivi le cheminement habituel des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE), est décrite de façon chronologique ci-après.
Du 24 août au 25 septembre 2015 s’est déroulée l’enquête publique. 103 observations ont été remises au commissaire enquêteur : 14 avis étaient favorables, 89 avis étaient défavorables et deux pétitions réunissant plus de 1 000 signatures étaient opposées au projet.
Le 17 septembre 2015 : La Direction Départementale Terre Mer (DDTM) a rendu un avis défavorable pour les Huit éoliennes implantées à Ribécourt-la-Tour en raison du surplomb écrasant la petite vallée dans lequel est niché le village. Elle a accordé son autorisation pour les Cinq autres éoliennes.
Le 4 novembre 2015 : Mr le Commissaire enquêteur a rendu son rapport et ses conclusions :
Avis défavorable pour Cinq éoliennes sur Ribécourt-la-Tour et pour Une éolienne à Noyelles-sur-Escaut, soit au total six éoliennes refusées, les sept autres éoliennes recevant un avis favorable.
Le Commissaire enquêteur, qui est le seul à s’être rendu effectivement sur place à chaque emplacement d’implantation prévue, a dans son rapport émis à la fois des interrogations et des doutes extrêmement révélateurs. Dans des extraits ci-après littéralement rapportés il écrit :
« .. De plus par mon enquête et des observations faites par le public, en définitive les photomontages ne sont que très peu souvent optimisés. En conséquence j’ai acquis la conviction que l’on ne pouvait se fier à ceux-ci…En me rendant sur place et notamment par rapport à une meule de paille de moins de 10 mètres de hauteur….alors que les éoliennes en font 15 fois plus, l’effet visuel réel sera donc nettement plus important que celui donné dans le dossier du M.O., j’en suis convaincu…. Je me dois de suggérer aux spécialistes de la DREAL qui ont qualifié le dossier de satisfaisant à sans doute revoir cet aspect en particulier côté sud du village de Ribécourt….. ainsi que le côté ouest de Marcoing en deçà du château d’eau. Leur déplacement s’imposerait à mon avis… Ce n’est pas une fois construites qu’il faudra s’apercevoir que les éoliennes ont un impact paysager plus important que présenté dans le dossier paysager….. Je suis d’avis à ce qu’elles dénatureraient véritablement le village de Ribécourt par un effet de semi-encerclement et surtout par un effet de « barreaux »…. Il n’est pas acceptable de sacrifier un si bel endroit et en tout cas je ne peux cautionner cela en tant que Commissaire Enquêteur… ».
Le 10 novembre 2015 : Mr le Sous-Préfet de Cambrai a délivré un avis défavorable au projet éolien.
Le 23 décembre 2015 : La DREAL a rédigé le rapport de l’Inspection des Installations Classées pour la présentation du dossier à la Commission Départementales de la Nature, des Paysages et des Sites (CDNPS). Reprenant les différents avis ci-dessus relatés, en grande partie négatifs, l’ICPE a proposé le refus des Six éoliennes concernées en raison de leur impact visuel depuis les franges bâties des villages de Villers-Plouich (autre village limitrophe), Ribécourt-la-Tour et Marcoing. Il est important voire essentiel de noter que les mêmes services de la DREAL qui avaient délivré l’Avis de l’Autorité Environnementale favorable au projet et signé par le Préfet le 28 avril 2015 ont pris en compte dans leur rapport les effets nocifs des surplombs soulignés et relatés par les observations faîtes lors de l’enquête publique, faîtes par la DDTM et faites surtout par le commissaire enquêteur et n’ont pas ainsi hésité à modifier leurs premières conclusions.
21 janvier 2016 : La CDNPS, au vu du rapport de la DREAL Service de l’Inspection de l’ICPE, a donné un avis défavorable à l’ensemble du projet des treize éoliennes.
8 juillet 2016 : Mr Le Préfet du Nord a, par arrêté, autorisé la construction de trois éoliennes à Ribécourt-la-Tour, une à Noyelles-sur-Escaut et deux à Cantaing-sur-Escaut. Il a refusé, se conformant aux Conclusions du commissaire enquêteur et au rapport de la DREAL pour l’ICPE, dans des « Considérants » extrêmement motivés au vu des surplombs et des impacts négatifs sur la vie journalière des habitants cinq éoliennes à Ribécourt-la-Tour et une éolienne à Noyelles-sur-Escaut en raison de la proximité et de la gêne occasionnée aux habitants de Marcoing.
Cet arrêté n’était pas naturellement des plus satisfaisants mais les éoliennes accordées étaient les moins prégnantes par rapport à celles refusées qui auraient détruit l’environnement des deux villages.
Mais c’était sans compter sur l’avidité de la SAS « Les Vents du Cambrésis », promoteur éolien insatisfait du nombre d’éoliennes autorisées, qui a déposé une requête et des mémoires enregistrés les 12 septembre 2016 et 5 janvier 2018 au Tribunal Administratif de Lille et a introduit un recours contre l’arrêté du Préfet du 8 juillet 2016.
Suite à ce recours le Tribunal Administratif de Lille a par jugement rendu le 23 mai 2019 annulé l’arrêté rendu par Mr le Préfet du Nord le 8 juillet 2016 et a délivré à la SAS « Les Vents du Cambrésis » l’autorisation environnementale pour la construction et l’exploitation des six éoliennes qui avaient été refusées et condamné l’État à verser à la Société requérante une somme de 1 500 euros.
La teneur de ce jugement est sidérante.
Il est rappelé par le Tribunal Administratif dans un « Considérant » l’importance du respect de l’article L 511-1 du Code de l’Environnement et le juge d’ajouter en commentaire de cet article :
« .. que pour statuer sur une demande d’autorisation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, il appartient au Préfet de s’assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment l’exigence de protection des paysages. Pour rechercher l’existence d’une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d’autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d’apprécier dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel l’installation est projetée et d’évaluer dans un second temps, l’impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site ».
Aucune remarque ne peut être faite sur ces exigences qui ont été parfaitement respectées dans le dossier en cause et qui ont abouti, après la prise de connaissance des avis des différentes autorités, services ou commissions ainsi qu’il a été relaté, à la délivrance de l’Arrêté de Mr le Préfet du Nord le 8 juillet 2016 autorisant sept éoliennes et en refusant six en raison justement des impacts sur le site.
Or le Tribunal Administratif conclut dans un des « Considérant » du jugement : « Il suit de là qu’en refusant l’Autorisation Unique d’exploiter les éoliennes E1, E3, E6, E7, E8 et E9, le Préfet a entaché son arrêté d’erreur d’appréciation au regard des dispositions de l’article L 511-1 du Code de l’Environnement ».
On est en pleine incompréhension. Le juge, pour justifier cette annulation, reprend l’avis initial favorable rendu par la DREAL lors de la rédaction de l’Avis de l’Autorité Environnementale signé par Mr le Préfet du Nord le 28 avril 2015..
Or cet avis, qui constitue le premier élément de la procédure de l’ICPE, n’a été rédigé qu’après lecture et simple examen du dossier de présentation du projet éolien fourni et rédigé …. par le promoteur éolien ; dossier, bien évidemment, extrêmement « polissé ».
On ne peut que s’interroger et protester contre une telle incohérence.
À quoi sert l’Enquête Publique et les avis des habitants ? A quoi sert l’avis de Mr le Sous-Préfet de CAMBRAI ? A quoi servent le rapport et les conclusions du Commissaire Enquêteur ? A quoi sert l’avis de la DDTM ? A quoi sert l’avis de la CDNPS ?
Tous ces avis doivent servir à éclairer Mr le Préfet comme lui conseille le Tribunal Administratif dans son « Considérant » rappelé ci-dessus pour respecter les prescriptions de l’article L 511-1.
Mais où on est dans « l’absurde », c’est qu’en ordonnant l’Autorisation de construction des Six éoliennes refusées par le Préfet, le Juge privilégie, sans tenir compte de tous les avis négatifs partiels ou totaux, le contenu l’Avis de l’Autorité Environnementale rédigé par les services de la DREAL et signé par le Préfet le 28 avril 2015.
Il reproche au Préfet « une erreur d’appréciation » dans son arrêté !!!
Or cet arrêté a été rendu par le même Préfet, en tenant compte des remarques faites dans le Rapport de l’Inspection de l’ICPE rédigé par les services de la DREAL le 23 décembre 2015 (ce sont les mêmes qui avaient rédigé l’Avis de l’Autorité Environnementale !!!) mais qui, après avoir pris connaissance des différents avis, ont eu la lucidité et l’honnêteté nécessaires pour modifier leur avis initial en respect des prescriptions de l’article L 511-1.
Le résultat de ce jugement incompréhensible et absurde a des conséquences désastreuses car il ajoute aux sept éoliennes autorisées à l’impact un peu moindre, six éoliennes au surplomb dévastateur pour les deux villages et la qualité de vie de leurs habitants.
Lors de la Convention Européenne du Paysage organisée par le Conseil de l’Europe le 25 juin 2015, Thorbjorn JAGLAND Secrétaire du Conseil de l’Europe affirmait à propos des paysages : « Notre environnement, qu’il soit rural ou urbain, côtier ou intérieur, dégradé ou bien protégé, a des incidences inestimables sur notre qualité de vie. Ce ne sont pas les sites d’exception qui méritent notre attention, ce sont aussi les espaces d’une grande variété dans lesquels nous vivons ».
Le paysage est un bien culturel qui résulte de l’interaction du naturel et du social, c’est ce qui influe fortement le choix du lieu de son habitation parce que c’est la vision quotidienne et permanente des habitants d’un village.
C’est le cas des administrés de MARCOING et Ribécourt-la-Tour qui ont choisi d’y vivre pour profiter pleinement de la ruralité et d’un environnement privilégié.
On est en droit de se demander pour quelles raisons, dans un jugement inique, un juge tranquillement derrière son bureau, sans connaître l’environnement de ces deux villages, peut sans scrupule « ordonner le massacre » d’un si bel endroit au mépris des règles du Code de l’Environnement et « attenter » au bien-être des habitants ?
Jean Pierre Leroy Association La Tour oui, les éoliennes jamais.