France Culture du 17 janvier 2024 "Patrimoine : à la sauvegarde au titre des monuments historiques s’ajoutent d’autres dispositifs de protection"

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Tous les bâtiments présentant une valeur historique, culturelle ou artistique ne sont pas forcément voués à être inscrits ou classés au titre des monuments historiques. Ils peuvent aussi être protégés par le plan local d’urbanisme (PLU) ou grâce au label “Site patrimonial remarquable”.

Avec Julien Lacaze Président de l’association Sites & Monuments

Les menaces de démolition du Pavillon des Sources de Marie Curie et du monastère de la Visitation à Paris montrent que ces bâtiments anciens, malgré leur intérêt patrimonial, ne sont pas à l’abri d’une disparition, faute d’avoir été inscrits ou classés au titre des monuments historiques.

Le ministère de la Culture dispose d’une procédure d’urgence pour assurer temporairement leur conservation, une instance permettant d’empêcher tous travaux pendant douze mois. Mais c’est une mesure exceptionnelle.

Depuis la fin du XIXe siècle, depuis la loi du 30 mars 1887, les édifices et ouvrages d’art obtiennent généralement une protection au titre des monuments historiques, grâce à l’État directement et grâce aussi aujourd’hui à des demandes faites par des propriétaires, des particuliers ou des association de défense du patrimoine.

On compte à ce jour plus de 45 000 immeubles inscrits ou classés. Mais il existe d’autres dispositifs de protection. Un plan local d’urbanisme ou le label "Site patrimonial remarquable" peut aussi assurer la sauvegarde de bâtiments.

"N’importe qui peut faire une demande de protection"

Selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la Culture, 45 415 immeubles sont protégés au titre des monuments historiques en France. 30 658 sont inscrits et 14 757, près d’un tiers, sont classés.

C’est la région Nouvelle-Aquitaine qui en compte le plus (6 228 soit 14%), suivie par l’Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes (11% chacune), le Grand Est (10%) et l’Île-de-France (9%).

L’inscription, qui constitue le premier niveau de protection, est décidée au niveau régional par arrêté du préfet (DRAC), après avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture.

Le plus haut niveau, le classement, après avis de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture, est décidé par arrêté du ministre de la Culture ou très exceptionnellement par décret en Conseil d’État, si le propriétaire du bâtiment concerné refuse de donner son accord.

Il faut dire que les exigences ou contraintes du classement sont bien plus fortes que celles de l’inscription, notamment en ce qui concerne le niveau de qualification des architectes chargés de la restauration. Et en cas d’inaction ou de défaillance du propriétaire, l’État peut le mettre en demeure de réaliser des travaux, voire les exécuter d’office ou engager une procédure d’expropriation.

La proportion d’immeubles protégés en mauvais état ou en péril reste élevée : 23% en 2018 contre 30% en 2012, selon la Direction de l’information légale et administrative, ces immeubles en danger sont détenus à une très large majorité par des communes et par des personnes privées.

Un travail régulier de révision des protections est réalisé par les services de l’État, mais l’initiative d’une inscription ou d’un classement ne vient pas que des autorités publiques, souligne le président de l’association Sites & Monuments, Julien Lacaze : "N’importe qui peut faire une demande de protection. C’est ouvert aux associations mais aussi aux particuliers. Mais c’est assez aléatoire et ce nombre aujourd’hui de 45 000 pour des inscriptions et classements en France est très peu élevé par rapport à ce qui se fait en Allemagne où il y a plusieurs centaines de milliers de monuments. Et c’est vrai qu’il peut y avoir des manques et parfois des lacunes criantes dans la protection. C’est ce qu’on a pu constater pour le Pavillon des Sources ou pour le monastère de la Visitation à Paris."

Des raisons politiques et financières peuvent expliquer le nombre limité d’immeubles protégés au titre des monuments historiques, selon Julien Lacaze : "Il y a une attitude un petit peu malthusienne de l’État. D’une part parce que si on inscrit ou on classe de nouveaux bâtiments, ce sont autant de monuments qu’il faudra probablement subventionner à l’occasion de travaux. Et c’est aussi cette question du périmètre de protection, un rayon de 500 mètres autour de ces monuments, dans lequel l’architecte des bâtiments de France va avoir un avis conforme sur les permis de construire et de démolir. Et ça, ça peut faire grincer les dents de certains maires."

"Le PLU de Paris a oublié énormément de monuments"

Les bâtiments qui ne sont pas inscrits ou classés au titre des monuments historiques peuvent bénéficier d’autres garanties de sauvegarde. Dans chaque commune, une protection est assurée si elle est “annexée au règlement du plan local d’urbanisme”, précise le président de l’association Sites & Monuments :

"Mais encore faut-il que le maire se saisisse de cette faculté. Et cela n’a malheureusement pas été le cas du PLU de Paris qui a oublié énormément de monuments. La protection simplement indicative dont fait l’objet le monastère de la Visitation n’a aucune portée juridique."

Un autre instrument d’urbanisme, le label “Site patrimonial remarquable”, permet aussi de protéger un bâtiment, quand son intérêt patrimonial ne résulte pas de ses caractéristiques propres, en tant qu’édifice pris isolément dans son individualité, mais de son intégration dans un ensemble. Et c’est une solution plus sûre que le PLU, selon Julien Lacaze :

"La loi sur les monuments historiques permet de protéger des monuments dans leur individualité, alors que le Site patrimonial remarquable s’intéresse au lien que tissent les différents bâtiments entre eux. C’est donc une logique qui est beaucoup plus riche. C’est une co-construction entre l’État et les collectivités. Cet instrument serait le plus pertinent à Paris. Il est déjà appliqué dans deux secteurs de Paris, le Marais et le 7e arrondissement, mais c’est totalement insuffisant. Il y a d’autres arrondissements qui sont extrêmement riches patrimonialement et qui devraient normalement en bénéficier. Cet instrument offre une protection approfondie et pérenne. Il ne peut pas être détricoté aussi facilement qu’un plan local d’urbanisme. On a vu en effet des protections disparaître, à l’occasion d’une révision ou d’une modification d’un PLU."

Et lorsqu’il n’existe pas du tout de protection, pour des bâtiments - comme le Pavillon des Sources - menacés d’une destruction imminente, le ministère de la Culture dispose d’une arme ultime : une instance qui permet à titre provisoire de les soumettre, pendant un an, au régime du classement au titre des monuments historiques.

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