
Les allées d’arbres sont un patrimoine naturel et culturel menacé. En atteste la décision de la municipalité du Neubourg - en date du 18 mai 2022 - de délivrer un permis d’aménager une aire de stationnement coupant l’allée centrale du Champ de Bataille. Cinq mois plus tôt, l’abattage de 80 % des 167 hêtres de la même allée, pour certains vieux de plus de 50 ans avait rendu possible cet aménagement.

Rappelons qu’une portion de cette allée cavalière - celle concernée par l’abattage et le parking - est propriété de la ville depuis 1956. Elle formait l’axe central d’un trident planté, aujourd’hui disparu (il est bien visible sur la carte de l’état major), rayonnant à partir du Neubourg et dont la branche centrale menait au château du Champ de Bataille. Cet axe central de 3500 mètres est partiellement inscrit au titre des Monuments Historiques avec le parc du château, protection se cumulant avec une inscription au titre des Sites. La partie de l’allée abattue, celle également concernée par le parking, se trouve, au-delà, à l’intérieur du périmètre délimité des abords (PDA) créé par arrêté du préfet de la région Normandie le 12 février 2021 (zone dans laquelle l’ABF a un pouvoir d’autorisation). Ce PDA est commun à trois édifices protégés au titre des Monuments Historiques, à savoir le château du Champ de Bataille, inscrit au titre des Monuments Historiques en 1995, le Vieux Château du Neubourg, classé en 2020 et l’église du Neubourg, classée en 1938. L’arrêté a en effet rendu jointifs ces trois périmètres de 500 mètres, considérant que "l’allée cavalière du champ de Bataille doit demeurer un axe visuel rappelant le lien existant entre le Vieux Château [du Neubourg], édifié dans un but défensif, et le Château Neuf, dédié aux loisirs et à la chasse".


Le périmètre délimité des abords (rose) correspond à la servitude AC1 sur la commune du Neubourg.
Extrait de l’arrêté de la préfecture de la région Normandie du 12 février 2021.



L’argument de la municipalité pour justifier cet abattage massif est surprenant. Selon elle, l’aménagement de ce parking, interrompant le parcours des arbres, permettra de mettre fin à une pratique qui a contribué à la dégradation des hêtres : le stationnement anarchique à leurs pieds. Un élu explique ainsi sans rire à la presse locale : "On a déplacé l’aire de stationnement pour protéger les arbres de l’allée des voitures, qui peuvent esquinter les racines" (voir ici). Adieu donc arbres magnifiques et merveilleuse perspective de l’allée historique, désormais interrompue sur quarante mètres par un parking.

Que s’est-il donc passé pour que cette allée soit ainsi sacrifiée ? Revenons quelques années en arrière. En mai 2020, l’ONF, missionnée par la commune du Neubourg, dresse un bilan sanitaire médiocre des hêtres, dû notamment à la présence de champignons. Toutefois, l’organisme préconise de n’abattre que trente arbres, numérotés pour l’occasion (chiffre porté à trente-six en 2021). Mais la mairie du Neubourg n’en a cure. En effet, onze hêtres se trouvaient à l’emplacement du futur parking, mais seuls quatre pouvaient être abattus selon le rapport de l’ONF. Or, le respect de cette préconisation entraînait forcément l’abandon du projet de parking. De fait, l’abattage des onze hêtres était un préalable incontournable à la demande et à la délivrance du permis d’aménager de cette aire de stationnement.
En décembre 2020, l’Architecte des Bâtiments de France émettait un avis favorable à l’abattage des arbres, tout en imposant à la commune « une obligation de replantation de l’ensemble de l’allée […] avec des sujets de belle taille avec des mottes entières afin de leur assurer une prise correcte et un beau développement ». Evidemment, la replantation sur l’emprise du futur parking ne sera pas réalisable. En contrepartie, la municipalité a décidé de planter une haie de charmilles autour des voitures…


Ironie du sort, les arrêtés municipaux des 4 et 15 décembre 2020, validant cet abattage, furent annulés le 10 mars 2022 par le tribunal administratif, suite à une action de FNE Normandie, au motif que la commune aurait dû limiter cette coupe aux trente arbres numérotés par l’ONF. Mais il était hélas déjà trop tard puisque 80% des hêtres avaient été abattus dès janvier 2022 ! Pour autant, il est sinon surprenant, du moins incohérent, que l’annulation des arrêtés municipaux en première instance, puis confirmée en appel, n’ait pas au moins entraînée celle du permis d’aménager le parking sur l’emprise des arbres abattus. Un recours en ce sens a d’ailleurs été déposé devant le tribunal administratif de Rouen par deux membres de l’association « Pour le Bien Hêtre d’une Allée », celle-ci ne disposant pas de l’année d’existence scandaleusement exigée depuis 2018 par la loi ELAN (voir ici) pour pouvoir ester en justice. Alors que la requête de l’un des riverains a été considérée comme irrecevable le 17 octobre 2024 par le tribunal, estimant que son habitation était trop éloignée du lieu du futur aménagement, celle de son voisin a été reçue, mais rejetée en raison d’un préjudice jugé insuffisant (voir ici).
Ce futur parking, d’une capacité de trente places, occupera 880 m2 au sol sur quarante mètres de linéaire de l’ancienne allée pour un coût de 162 000 euros (voir ici). Ainsi, les véhicules stationneront sur des places disposées en épi (quinze places de chaque côté à l’emplacement des alignements d’arbres). Comment comprendre alors l’avis favorable de l’ABF en date du 26 avril 2022 sur le permis d’aménager du parking, validé au motif qu’il allait rendre « l’allée complètement piétonne », argument que la commune s’empressera de reprendre ? Par ailleurs, cet avis favorable contredit celui de décembre 2020 dans lequel le même ABF imposait à la commune une obligation de replanter l’ensemble de l’allée, désormais interrompue sur quarante mètres par le parking.


La tristesse est teintée de colère face à ce sacrifice validé dans un mélange d’incohérences et de contradictions. L’allée du Champ de Bataille est un lieu emblématique du patrimoine historique, culturel et naturel du Neubourg. Une aire de stationnement enherbée - pouvant être au besoin améliorée - était pourtant aménagée depuis des lustres dans un champ situé à l’entrée de l’allée, 700 m plus loin. Quant à l’ancien parking, situé à l’autre extrémité de l’allée, à l’orée du parc de Champ de Bataille, il sera un jour "équipé de tables de pique-nique et de bancs" (voir ici).
Yves-Marie Peraldi, président de l’association « Pour le Bien Hêtre d’une Allée »
Isabelle Richir et Julien Lacaze, pour Sites & Monuments