L’écrin maritime du Mont-Saint-Michel mis en péril par les défaillances des autorités

Baie du Mont-Saint-Michel vue par satellite.

Le Mont-Saint-Michel est à nouveau entouré par la mer et il redevient une île aux très très grandes marées. Par contre, la baie, son écrin maritime dont il est indissociable, est en péril.

L’objectif du RCM (rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel) était de libérer le Mont de la montée des sables afin de rétablir son caractère maritime. Il était limité aux abords du Mont. Dans le cadre de l’étude d’impact, on nous avait assuré que l’opération, l’aménagement, n’auraient pratiquement aucun effet sur la sédimentation de la petite baie et que le cours des rivières Sée et Sélune resterait séparé de celui du Couesnon par un grand banc.

Les constatations
Depuis la mise en service du barrage qui deux fois par jour ouvre ses portes, l’examen des relevés Lidar Février 2009 (avant la mise ne service du barrage) et avril 2020 (après une dizaine d’années de fonctionnement) montre que :
 la sédimentation dans la petite baie au lieu d’être maintenue dans la progression régulière de 3 cm par an des décennies précédentes a enregistré une accélération très, très forte de 25 à 30 cm par an dans une vaste zone englobant Tombelaine et allant jusqu’au Grouin. Les dynamiques de la baie ont été complètement bouleversées, le cours de rivières Sée et Sélune n’étant plus séparé de celui du Couesnon. Le rocher de Tombelaine n’est plus entouré par la mer en période de basses-eaux, de larges superficies de sables ne sont plus couvertes. Par marée de faibles coefficients, il est possible maintenant de se rendre à pied depuis le littoral jusqu’à Tombelaine ce qui était impensable il y a 10 ans.

L’élévation de l’altitude des sables favorise l’extension des herbus qui s’avancent inexorablement dans la baie maritime.

Si aucune mesure n’est apportée rapidement toute cette zone tantôt vaste étendue de sables, tantôt recouverte deux fois par jour par le va et vient de la mer, sera envahie par les herbus. Elle aura perdu son caractère maritime, le paysage sera modifié, la magie de la baie altérée, la biodiversité perturbée, l’écosystème déséquilibré, les traversées modifiées.

Reproduction du relevé Lidar février 2009
Reproduction du relevé Lidar février 2009

Les lits de la Sée et de la Sélune se regroupent contre le Grouin du Sud puis se divisent en deux branches d’altitude équivalente de 3,5 m puis 3 m, la branche plus au nord vient « lécher » et éroder l’herbu au niveau de Saint Léonard, Vains.
Les deux branches se rejoignent pour « plonger à l’ouest de Tombelaine (alt 1m puis 0,5 m au niveau de Tombelaine et en aval).
Le lit du Couesnon ((alt. 4 m) contourne le Mont par l’ouest puis nord-ouest et s’approfondit à 3 m avant de rejoindre la zone basse au niveau de Tombelaine.
On observe que la zone basse située à proximité de Tombelaine attire les trois principaux fleuves côtiers, selon un système hydrographique bien établi depuis des dizaines d’années.}

Reproduction du relevé Lidar avril 2020
Reproduction du relevé Lidar avril 2020

Les rivières Sée et Sélune depuis le Grouin piquent directement vers le sud, en direction du Mont-Saint-Michel, puis obliquent vers l’ouest.
La zone nord, nord-est de la petite baie, désertée par les rivières s’est considérablement ensablée. La bordure littorale dont l’altitude a atteint 5 m, 5,50 m s’est beaucoup élargie, s’avançant vers Tombelaine.
A cette altitude, apparaissent les plantes pionnières précédant les herbus. L’altitude de la zone qui s’étend ensuite vers Tombe-laine atteint les 4 mètres avec des surfaces dont la hauteur des sables atteint les 5 m, 5,5 m. Tombelaine est à moitié encerclé par un banc d’une hauteur telle que les marées de faible coefficient ne le recouvrent plus. En 2009, l’altitude de cette zone oscillait entre entre 0,5 m et 1, 5 mètres.
La zone sud de la baie s’est beaucoup creusée, passant d’une altitude de 5 m le long du littoral à 2,5 m. La zone basse qui se situait avant 2009 aux alentours de Tombelaine s’est rapprochée du Mont. Quant au Couesnon, il longe maintenant les herbus précédant les polders puis oblique à l’ouest.
Après la désaffection du réservoir que constituait l’anse de Moidrey et l’envasement de l’estuaire, la capacité de réserve du barrage a diminué.
La configuration de la baie est tout à fait différente de celle qui existait avant 2009 depuis des dizaines d’année. La progression des herbus semble inévitable. L’espace où deux fois par jour, le va et vient de la mer recouvrait de larges étendues de sables dont les couleurs changeaient avec la lumière et les nuages sera remplacé par une masse verdâtre uniforme. Un paysage magique aura disparu et l’écosystème sera modifié.

Réponses des autorités gestionnaires :
Aux alertes des associations et interrogations des médias, le syndicat mixte gestionnaire répond que l’ensablement est naturel, les rivières ont toujours divagué : tout est normal, sans ajouter d’explications plus fournies sur les évolutions constatées grâce aux relevés Lidar, les observations faites de visu et les vues satellites.
En outre, certains, proches des autorités de gestion, ont prétendu que le déplacement des rivières était sous la dépendance du déroulement du cycle de Saros d’une période d’environ dix-huit ans. Cette influence aussi réelle quelle soit est tout à fait insuffisante pour expliquer que les rivières soient restées depuis environ 9 ans dans la zone sud de la baie sans reprendre leurs cours antérieurs. Plusieurs cycles de Saros se sont écoulés et jamais une telle conjonction entre celui-ci et la position des rivières n’a été observée.

Les défaillances des autorités de gestion :

 Le refus des prévisions de l’étude d’impact approuvée avec le projet lors de l’enquête publique en 2002, en déclarant celle-ci obsolète sous prétexte que les fonds auraient varié entre 2002 et 2009, date de la mise en service du barrage, sans donner aucune explication scientifique alors qu’aucune évolution sensationnelle n’ait été observée pendant cette période.

 Les autorités ont négligé les recommandations faites par les auteurs du projet :
En dépit du bouleversement observé des dynamiques de la baie, de l’accélération très rapide de la sédimentation sur une zone fort importante de la baie et de la progression des herbus, du déplacement imprévu des rivières, les autorités n’ont pas appliqué les mesures d’ajustement du fonctionnement des chasses du barrage conseillées par les auteurs du projet RCM, qui avaient prévu, dans leur grande sagesse que des aléas pouvaient modifier leurs prévisions.

  A propos des modalités de la gestion du barrage : en 2016, époque à laquelle des évolutions inhabituelles de l’ensablement et des divagations des rivières avaient déjà été constatées et les alertes lancées, le président du comité de suivi a affirmé que la gestion du barrage était toujours faite à partir des enseignements tirés de l’étude sur maquette de la Sogreah à Grenoble (voir ici) et qu’il n’y avait pas de motifs de la modifier. Il savait pourtant que cette maquette à partir de laquelle avait été validée le projet RCM avait fonctionné sans intégrer les rivières Sée et Sélune.
Or, la baie est modelée par les divagations de ces rivières, faiblement incisées dans l’estran qui sont donc attirées par le point le plus bas.
Avant 2009, cette zone basse, lieu de rencontre des trois rivières de la baie, était situé, depuis des décennies, au nord-ouest de Tombelaine, après la mise en service du barrage, il s’est déplacé progressivement vers le sud-ouest, sous l’effet des lâchers d’eau qui ont modifié et augmenté considérablement la capacité érosive du Couesnon.

 Pas de lancement d’analyses pour remédier à l’étude d’impact jugée obsolète : comment admettre qu’après avoir déclaré l’étude d’impact obsolète, les autorités gestionnaires n’aient pas entrepris des analyses de l’impact de ces lâchers d’eau, deux fois par jour pour compenser cette scandaleuse insuffisance. L’expérience des effets provoqués par les travaux réalisés antérieurement au XIXe et même au XXe qui ont été la cause de la montée des sables autour du Mont et, en conséquence du lancement du projet de rétablissement de son caractère maritime, prouve que tout aménagement nouveau a un impact sur le cours des rivières faiblement incisées dans l’estran.

 Le principe de précaution enregistré dans la constitution en 2005 qui impose aux autorités d’évaluer les risques provoqués par tout aménagement et d’adopter des mesures provisoires, n’a pas été respecté.

Les Français ont massivement, par la voix de leurs représentants, voté le projet de loi qui stipule que la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ». Comment accepter que le bouleversement de la baie soit naturel comme le prétendent les autorités et que les chasses effectuées deux fois par jour depuis le barrage qui ont complètement transformé la capacité érosive du Couesnon qui de très, très faible avant 2009 est devenue depuis très, très forte, n’ont pas modifié les dynamiques de la baie et ce faisant l’état de la baie.

Unissons nos efforts pour soit enfin analysé l’impact du fonctionnement du nouveau barrage sur l’évolution désastreuse de la petite baie et prises les mesures nécessaires pour tout à la fois préserver le rétablissement du caractère maritime du Mont et celui de la baie, son écrin maritime.
Le Mont -Saint-Michel et sa baie qui bénéficient de multiples mesures de protection apparemment passées sous silence constituent un patrimoine architectural et un patrimoine naturel célébrés universellement, inscrits sur la liste du patrimoine mondial. (voir ici)

Marie-Claude Manet, présidente d’honneur de l’Associations des Amis du site de Genêts, de ses Environs et de la Baie du Mont-Saint-Michel (AGEB), association adhérente de Sites & Monuments

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