L’Inspection des Patrimoines favorable à une protection "globale" du monastère de la Visitation "comme témoin d’un mode de vie temporel et spirituel"

Vue du jardin du monastère de la Visitation bientôt loti dans le cadre d’un projet de valorisation immobilière. Photo Sites & Monuments.

La Délégation à l’inspection, à la recherche et à l’innovation (DIRI, anciennement Inspection générale des Patrimoines) s’est penchée en janvier 2024 sur l’intérêt patrimonial du monastère de la Visitation (voir les photos) dans une note pour le cabinet de la ministre de la Culture dont nous venons d’apprendre l’existence et d’obtenir communication.

Pour une approche patrimoniale globale du monastère de la Visitation

Si la délégation affirme, en préambule, que "les parties destinées à la démolition - deux oratoires, vacherie, et poulaillers - ne présentent pas en elles-mêmes un intérêt patrimonial suffisant pour justifier une protection au titre des monuments historiques", elle précise immédiatement que " leur protection ne pourrait faire sens que dans le contexte d’une protection d’ensemble du monastère ".

Plus loin, la délégation réaffirme qu’" une protection au titre de monuments historiques ne pourrait s’envisager que de manière globale à l’échelle du monastère , interrogeant la représentativité de celui-ci [...] , en particulier à Paris, sur les plans architectural et urbain, mais aussi historique et sociologique, comme témoins matériels d’un mode de vie temporel et spirituel. " Elle précise même que " La question se pose de manière d’autant plus aigue que la période actuelle se caractérise par l’accélération des fermetures d’établissements conventuels, en particulier féminins".

Parties du monastère de la Visitation non affectées par le projet de démolition dont les associations demandent la protection au titre des monuments historiques. Photos Sites & Monuments.

Or, au-delà de la seule instance de classement sur les bâtiments menacés par le projet (vacherie, poulailler, oratoires), c’est précisément une protection globale qui a été demandée par les associations le 4 décembre 2023 : "Différents éléments du monastère, comme sa chapelle et son mobilier, non concernés par le présent permis, mériteraient par ailleurs d’être protégés au titre des monuments historiques", demande réitérée le 15 janvier 2024.

Cette protection est d’autant plus souhaitable que les archives du monastère, transférées au monastère de la Visitation de Denfert-Rochereau, non consultables actuellement faute de classement, enrichiront probablement à terme l’interprétation des lieux.

Cette reconnaissance de l’intérêt patrimonial du monastère de la visitation est d’autant moins contestable que la Délégation à l’inspection se méprend sur deux points importants. D’une part, l’hôtel de Clermont-Tonnerre n’a pas été édifié "vers 1775", puisqu’il apparait sur le plan dit "de Turgot" de 1739 (il possède d’ailleurs des cheminées aux ornements rocaille du milieu du XVIIIe siècle). D’autre part, le "bâtiment de logement de 7 étages" à édifier rue de Vaugirard n’est nullement "destiné à de jeunes mères en difficulté", mais constituera un immeuble de rapport pour l’archevêché (loué dans les conditions du droit commun au prix du marché).

"Lot social" (en violet) et "Lot rapport" (en vert) dans le projet du monastère de la Visitation. Nous indiquons par des flèches la solution proposée par les associations. Source : réunion d’information du 15 mai.

Transférer le projet social dans l’immeuble de rapport du projet

La ministre Rachida Dati dispose par conséquent de toute la latitude nécessaire pour prendre une instance de classement permettant une expropriation pour cause d’utilité publique du jardin du monastère et de sa ferme urbaine (voir article L. 621-18 du code du patrimoine).

Dans ce cadre, il est tout à fait possible de satisfaire l’archevêché qui souhaite maintenir l’ensemble de son programme social sur le site. Il suffit en effet de relocaliser les activités sociales du bâtiment prévu à l’emplacement de la vacherie dans le bâtiments de rapport à édifier rue de Vaugirard (les bâtiments bas à démolir en ce lieu sont sans intérêt patrimonial).

Emplacement de la construction du futur immeuble de rapport rue de Vaugirard. Il s’agit de la seule partie du monastère de la Visitation dont l’intérêt patrimonial n’est pas avéré. Photo Sites & Monuments.

Exproprier le jardin pour financer l’achat d’un autre immeuble de rapport

L’archevêché pourrait en effet acquérir un autre immeuble de rapport dans Paris (ou réaliser des placements financiers) permettant de financer son action sociale sur le site grâce à l’expropriation du jardin et de ses dépendances bâties. Son financement conjoint par l’Etat (Fonds vert destiné à "aider les villes à s’adapter au réchauffement climatique") et la mairie de Paris (grâce à l’économie de 40 millions d’euros réalisée par l’abandon des bagageries du projet One - Tour Eiffel), semble tout indiqué.

Partie résiduelle du jardin accessible au public (pointillés blancs) : 1, 2 et 4 (circulations) ; 3 (square clos). Source : réunion d’information du 15 mai / SOS Paris.
Plan masse du monastère de la Visitation avec indication des parties à démolir.
Plan masse du monastère de la Visitation avec indication de la partie dont l’expropriation est demandée par les associations (en vert).

Dans le cadre de cette expropriation, un accord pourrait être trouvé avec la ville de Paris, devenue propriétaire des 5500 m2 de la ferme pédagogique, pour un usage exclusif des lieux par l’archevêché, hors des horaires d’ouverture au public.

Chapelle funéraire néogothique incorporée dans la vacherie (1886) du monastère de la Visitation donnant sur la rue du Cherche-Midi. Ensemble décrit par Émile Zola menacé de démolition. Photos Sites & Monuments.
Projet de démolition de la vacherie du monastère de la Visitation et nouveau vis-à-vis proposé aux usagers de son "square". Source permis.

Pour un jardin partagé, productif et solidaire

Nul doute que le pittoresque préservé du monastère et la présence d’animaux en fera un lieu utile au projet social de l’archevêché et un terrain d’échange de ses pensionnaires avec les Parisiens. Un jardin partagé, productif et solidaire dont le succès ne se démentira pas.

Sœurs de la Visitation avec l’une de leurs vaches devant l’oratoire sud du jardin (voir plus bas). Photo DR.
Monastère de la Visitation avec, en haut à droite, le bâtiment de l’infirmerie (1879) et, en bas, le clapier-poulailler (1886) destinés à être détruits. Carte postale, vers 1950. Coll. Sites & Monuments.

Que le ministère de la Culture ne prétende pas, comme de coutume, qu’il est trop tard pour agir ! L’instance de classement est une mesure dépourvue de formalité pouvant, au besoin, être prise d’heure à heure. Nous apprenons, en outre, par la note de la Délégation à l’inspection, que "le courrier recommandé daté du 20 janvier 2021" (réitéré depuis), par lequel six associations demandaient le placement sous instance de classement du monastère de la Visitation, a été "réceptionné par le service du patrimoine le 9 octobre 2023", soit près de trois ans plus tard !

Julien Lacaze, président de Sites & Monuments

Consulter la note du 11 janvier 2024 au format pdf

Illustration de la rareté des espaces verts dans le quartier de Montparnasse à Paris. L’opportunité d’acquérir une parcelle de pleine terre de 5500 m2 ne se représentera probablement pas. Photo Sites & Monuments.