La SPPEF n’est pas hostile, comme elle l’a démontré (voir ici et ici), à l’architecture moderne et contemporaine. Tout est cependant question de mesure. Détruire tant de façades anciennes en plein cœur de Paris, dans une rue homogène par le gabarit de ses immeubles et les matériaux mis en œuvre, est exorbitant.
Les motivations et les justifications de ce projet sont d’ailleurs révélatrices (voir la vidéo présentant l’opération). Le président directeur général de la Samaritaine - que sa sincérité honore - explique en effet avoir voulu un « geste architectural extrêmement fort […], sorte de repère dans la rue de Rivoli pour les clients futurs ». Il s’agit ainsi, en réalité, d’édifier un gigantesque objet publicitaire : un bloc monochrome de verre sérigraphié (Illustrations 2 et 3) remplacera les quatre élégantes façades du Paris pré-haussmannien (Illustration 1, 5 et 6), qu’il surplombe de 7 mètres (Illustration 3). Or, la ville est un bien commun et l’intégration des nouveaux bâtiments aux anciens fondamentale. C’est précisément ce qu’énonce le plan local d’urbanisme de Paris dans son article UG. 11. 1. 3. S’opposant à la fois aux "pastiches" et aux bâtiments en rupture, ses dispositions sont sages, mais ici bien malmenées.
La logique architecturale de la rupture, qu’illustre le projet de nouvelle Samaritaine, conduit à une escalade sans fin : c’est à qui tranchera le plus sur l’unité parisienne. Elle promet une ville à l’urbanisme égoïste et chaotique. Perdant son harmonie unique - sa spécificité parmi les capitales mondiales - Paris ne rivalisera pourtant jamais avec les villes appartenant à d’autres traditions. Le projet de la Samaritaine s’inscrit ainsi malheureusement dans la politique urbaine « festive » et « dérégulée » de la municipalité parisienne (voir ici) - celle des tours et des objets extraordinaires - qui travestit bien souvent la satisfaction d’intérêts économiques puissants. On ne peut que s’étonner, à ce propos, de l’appartenance de l’un des personnages clés de la municipalité parisienne au groupe LVMH, propriétaire de la Samaritaine.
Ne craignant pas de se contredire, les propriétaires de la Samaritaine précisent que « la mairie de Paris préfère ce projet qui s’intègre le mieux au site ». Ainsi, l’ondulation du mur rideau « réinterprète[rait] avec son mouvement ondulatoire le rythme vertical des façades parisiennes » (voir ici), ce que peinent à démontrer les dessins de l’agence Sanaa (Illustration 4). Autre argument, « la façade est nouvelle mais, en même temps, elle reflète la rue tout autour. Grâce à cela, les gens peuvent ressentir cette fusion entre la modernité et les façades parisiennes existantes » (agence Sanaa). Il s’agirait ainsi de « réfléchir allégoriquement la pierre haussmannienne des immeubles alentour » (voir ici). Inutile d’insister sur l’inanité de tels arguments, à moins de se payer de mots. La créativité du cabinet d’architecture japonais (lauréat du Pritzker prize) pouvait pourtant, sans inconvénient, s’exprimer en façade basse des bâtiments (détruite de longue date : Illustration 5) et derrière leurs murs.
Le groupe LVMH a également convoqué deux historiens au soutien de son projet. Le premier tente de démontrer que l’unité parisienne n’existe pas : « le matériau unitaire de la ville de Paris qu’est la pierre de taille fait que pendant des siècles on a construit avec quelque chose qui fait que tous les édifices du passé semblent homogènes. Mais je vous assure que quant on a construit la cathédrale de Paris, c’était quelque chose de tout à fait monstrueux » (voir ici). Le second souhaite nous rassurer concernant la destruction des façades de la rue de Rivoli (Illustrations 1, 5 et 6) : « En tant qu’historien, c’est de l’architecture ordinaire de la fin du règne de Louis-Philippe […], des immeubles de qualité mais qui n’ont rien d’exceptionnel » (voir ici). Et si c’était justement cela, Paris !
Julien Lacaze
, vice-président de la SPPEF
Paris, le 21 septembre 2013