La vallée du Serein (Yonne) menacée par 3 projets de parcs éoliens

Pour la première fois de son histoire, la vallée du Serein (Yonne), risque de devoir accueillir 3 projets de parcs industriels éoliens, totalisant 17 machines de 180 mètres de haut.

Un parc de 6 mâts a fait ainsi l’objet au début de l’année d’une autorisation préfectorale d’exploiter (en vert sur la carte ci-dessous) à proximité de 2 petits villages bâtis au bord du Serein : Poilly-sur-Serein (en haut de la carte) et Sainte-Vertu (un peu plus bas à droite). Deux parcs supplémentaires, aujourd’hui en cours d’instruction, s’ajouteraient à ce premier parc, l’un au nord (en mauve) et l’autre au niveau du village d’Aigremont (en bleu).

Le parc autorisé figure en vert sur la carte. Il se situe sur les territoires des villages de Poilly-sur-Serein (en haut de la carte) et de Sainte Vertu (un peu plus bas à droite). Les deux parcs supplémentaires projetés figurent en bleu et en mauve.

Notre association, Environnement et Patrimoines en Pays du Serein (EPPS), qui vient d’être créée, considère qu’aucune de ces installations n’a de place dans cet environnement remarquable et elle entend, dans un premier temps, obtenir de la Cour d’Appel de Lyon l’annulation de l’autorisation préfectorale accordée au parc éolien de la société austro-allemande "Web Energie Vents du Serein".

Une vallée à haute sensibilité écologique

La vallée du Serein traverse le département de l’Yonne du sud-est au nord -ouest avant de se jeter dans l’Yonne. La zone sensible à protéger totalement des éoliennes se situe au sud de Chablis sur une trentaine de kilomètres le long de la rivière.

L’implantation de nombreux parcs s’accélère dans l’Yonne : au 6 septembre 2017, la Direction départementale des territoires de l’Yonne dénombrait ainsi 109 mats en service, 19 en construction, 63 accordés et 51 en instruction et fixait un objectif à venir de 200 supplémentaires. Pourtant, la vallée du Serein avait jusqu’ici été épargnée. En effet, cette entité est caractérisée par des paysages intimes que l’on découvre dans une succession de villages, de routes enserrées et d’échappées sur les plateaux avoisinants. Elle a d’ailleurs été déclarée zone de haute sensibilité car possédant des espaces verts repérés dans l’inventaire ZNIEF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique). « Grand ensemble naturel ou peu modifié », qui « possède un rôle fonctionnel ainsi qu’une cohérence écologique et paysagère » (Schéma Départemental des Espaces Naturels Sensibles de l’Yonne), elle offre des potentialités biologiques importantes. La vallée a ainsi fait l’objet d’un "contrat de milieu" autour de l’eau au SDEN. Il est question d’y protéger « la continuité écologique de la vallée du Serein » entre le Morvan et la Champagne humide, couloir écologique qui, au même titre que l’Armançon et la Cure, bénéficie d’une « priorité d’action écologique ». Car cette zone jusqu’ici préservée contraste avec d’autres secteurs de l’Yonne traversés par l’A6 et le TGV et avec la banalisation du territoire, due à la suppression des bosquets et à la constitution de grandes parcelles de culture intensive.

Une vallée patrimoniale

Depuis le piémont du Morvan, la moyenne vallée du Serein, entre Noyers et Chablis, prolonge la haute vallée déjà déclarée en amont « vallée-patrimoine ». De nombreux sites et monuments de ce territoire sont classés au patrimoine, les activités agricoles œnologiques et artisanales attirent un tourisme soucieux de respect de l’environnement.

Deux communes de moyenne importance et d’une haute valeur touristique délimitent cette partie de la moyenne vallée du Serein :

 - Chablis, patrimoine œnologique internationalement reconnu, avec ses caves vigneronnes, sa gastronomie, la future Cité des vins, les paysages des vignobles, la vue sur le paysage de plateau depuis les crêtes ;

Le village de Chablis, vu depuis la colline des grands crus, jusqu’ici préservé des éoliennes
Vue de Chablis. Au loin la colline des grand crus
La maison de l’Obédiencerie à Chablis, IMH
Vue partielle du bourg de Chablis, en bordure du Serein

 Noyers, cité médiévale attirant un tourisme en recherche de patrimoine et d’artisanat traditionnel et notamment le site du Vieux Château, incompatible avec la vue directe sur les parcs éoliens, clairement attestée par le rapport du promoteur lui-même ; 

Village médiéval de Noyers, vu de son vieux château
Vue du village de Noyers : les fortifications
Maisons à pans de bois à Noyer

Dans les méandres de la vallée qui conduit de Chablis à Noyers, les vues successives sur le parc "WEB Énergie Vents du Serein" et les autres en projet (tous posés sur les bords proches des plateaux avoisinants) seraient inconciliables avec les sites remarquables le long de la vallée : villages totalement préservés des lotissements et des zones industrielles, chemins de randonnée pédestre ou cyclable, places de village, lavoirs, moulins, biefs, tuilerie, ponts de pierre, maisons des XVIIIe et XIXe siècles, architecture en pierre apparente et tuiles plates, promenades plantées de tilleuls au bord du Serein (Noyers, Annay, Chablis), baignades (Poilly, Noyers), haltes aménagées, prairies fraîches entourées ici ou là de paysages bocagers d’élevage, haies et murets de pierres sèches, petits bois... Ces paysages seraient écrasés par le gigantisme des machines industrielles (180 m) qui doubleraient quasiment de leur hauteur le dénivelé naturel des petites collines bordant en pente douce le lit de la rivière (200 m d’altitude au point culminant en moyenne).

… et de sites classés

Le village de Sainte-Vertu, dans une boucle du Serein . Les éoliennes occuperaient l’horizon boisé à gauche
L’éolienne n’est pas figurée sur la coupe, elle se situerait à droite du dessin, haute de 180 m (coupe topographique)

Il faut aussi souligner la richesse patrimoniale de cet espace modelé par le travail séculaire de paysans, éleveurs, agriculteurs, vignerons, architectes, artistes, artisans, souvent anonymes, qui ont légué de nombreux édifices et églises aujourd’hui classés au titre des monuments historiques. A Noyers (village médiéval labellisé parmi les 100 plus beaux villages de France), outre l’ensemble de la ville intra-muros et la Promenade du Pré de l’Échelle au bord du Serein, sont protégés : les 2 portes de la ville, l’église, l’hôtel de ville, la maison Brandin, la maison de la Toison d’Or (début du XVIe siècle), le prieuré de Cours (chapelle et Grange du XIIIe siècle), le château de Moutot à Annay (portail du XVIe siècle), l’église de Sainte-Vertu, la mairie et l’église Saint-Aignan à Poilly, le château du XVIIe siècles de Béru, l’église Saint-Pierre de Chablis, l’ancien prieuré Saint Côme (XIIIe siècle), l’hospice, une maison de la rue des Juifs (XVIe siècle), l’église Saint-Martin (ses vantaux, son mobilier et ses tableaux), la maison de l’Obédiencerie (des XIIIe et XVe siècles)... Bref, il s’agit d’une vallée patrimoniale.

Le village de Sainte-Vertu. Au premier plan l’église (ISMH)

Un risque manifeste de saturation visuelle

Contrastant avec la zone humide que constitue la vallée, les plateaux proches sont visibles depuis les méandres des routes sinueuses offrant des aperçus sur les lointains. Le Parc éolien "WEB Vents du Serein", en bordure du plateau (ainsi que des 2 autres en concertation dans les 3 villages précités), sera visible depuis la vallée, comme le montrent nos montages (annexe 2) ou régulièrement en vision lointaine au fil de la route. Dans son argumentation paysagère, le dossier du promoteur néglige ces 30 kilomètres de paysages et de villages de la vallée Serein en justifiant le choix d’implantation par l’entité paysagère plus vaste du plateau dit « de Noyers », qui l’englobe, et que caractérise « une forte artificialisation et de grandes étendues cultivées » aptes à recevoir de nombreux parcs existants ou à venir (100 mats à terme)... Comme si l’effet de saturation visuelle, qu’il reconnaît en ces lieux (photomontage annexe 3), ne demandait qu’à être amplifié dans d’autres ! Il a d’ailleurs pris soin de ne présenter que des visions lointaines sur le parc et aucun photomontage sur les aperçus proches depuis les petites communes, sous prétexte de leurs caractères fugitifs, partiels ou d’un « masquage par les boisements », ce que le rapport d’échelle entre ces petits bois et la taille des machines ne permet pas vraiment.

L’impact visuel sur les villages proches est ainsi nié ou minimisé. Quant aux villages et aux fermes isolées du plateau, ils seront cernés d’éoliennes ou quasiment sous les parcs...

Le village de Poilly-sur-Serein, au premier plan l’église classé. Avec en fond, un photomontage des éoliennes autorisées
Coupe topographique depuis l’entrée du village de Poilly-sur-Serein montrant la distance à l’une des éoliennes (plusieurs autres non représentées sur la coupe seraient également visibles).

D’après le rapport de l’Autorité de l’Environnement (MRHe), la densité des éoliennes serait portée à terme à 6 à 7 mâts au km2 sur un périmètre de 20 kms autour de ce parc. La saturation visuelle est déjà telle, d’ailleurs, qu’un arrêté préfectoral autorisant un parc sur le plateau avoisinant de Saint-Cyr-les-Colons, à une dizaine de kms, vient d’être repoussé par le préfet pour cette même raison. Mais, étrangement, l’argument ne semble pas pris en considération par ce même préfet s’agissant des éoliennes qui vont surcharger ces 3 petites communes et la vallée.

Un projet contradictoire avec la reconnaissance officielle de l’identité de la vallée du Serein

Le Schéma départemental des carrières de 2012 - dont le constat paysager vaut aussi bien s’agissant d’éoliennes - décrivait ainsi cet espace sensible : « Vallée patrimoine du Serein (Zone à éviter). CONTRAINTES ET SENSIBILITÉ - paysage très singulier, à très forte typicité - une succession de micro unités paysagères à l’échelle du méandre - paysages en tableau sur les versants concaves, effets de silhouette sur les versants convexes - très grande harmonie entre relief, végétation et formes bâties : un paysage “sans fausse note”, des motifs rares et précieux. ANALYSE : Les carrières ne sont pas souhaitables dans le fond de vallée, ni sur les versants des méandres ».

Eglise de Sainte-Vertu, IMH
Château de Moutot à Annay-sur-Serein

L’implantation du parc éolien "WEB Vents du Serein" serait-il moins dérangeant pour la typicité patrimoniale des paysages que les carrières ? De fait, c’est bien le raisonnement qu’adopte implicitement le programme préfectoral d’accélération de la stratégie éolienne (juin 2017) en manifestant une volonté particulière de développement de l’éolien jusque dans la vallée du Serein et la région de Chablis elle-même, en dépit de l’opposition affichée de la commune et des viticulteurs.

Et ceci malgré une autre étude des micro-paysages publiée en 2016 dans « L’outil d’aide à la cohérence paysagère et patrimoniale de l’éolien » sous l’autorité de plusieurs services de l’Etat, qui accorde le classement de « haute sensibilité » à toute la vallée du Serein, à Noyers et à Chablis (voir l’annexe 4).

Très logiquement, la Mission Régionale d’Autorité environnementale (MRAe), consultée, conclut d’ailleurs dans son avis que « ce projet a un impact notable sur la Vallée du Serein, et sur les centre-bourgs qui bordent cette dernière (Chemilly, Poilly, Sainte-Vertu). Ce secteur, jusque-là préservé des installations éoliennes existantes ou en projet, est considéré comme peu compatible avec ce type de projet, compte tenu du rapport d’échelle réduit et d’ambiances paysagères intimes dus à la vallée et à la ripisylve. La MRAe regrette l’absence d’analyse de saturation visuelle pour ces villages et note qu’il existe, dès la mise en place de ce projet, un risque de saturation visuelle pour plusieurs villages… » (Annexe 5).

Une autorisation préfectorale inacceptable

Aussi, l’autorisation accordée à la construction de ce parc est incompréhensible, alors que tous les critères d’une incompatibilité sont présents dans les rapports officiels scientifiques, préfectoraux, y compris celui du promoteur. L’arrêt d’annulation que prononcerait à notre demande la Cour d’Appel de Lyon serait donc un signal de prise en compte de la spécificité de la vallée patrimoniale du Serein et de ses communes, créant un précédent pour les parcs en instruction et en projet. Il signifierait aux promoteurs et rappellerait au Préfet la nécessité de préserver ce legs précieux et fragile pour les générations futures.

Lucien Degoy, président d’Environnement et Patrimoines en Pays du Serein (EPPS), association adhérente de Sites & Monuments

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