L’ancien théâtre – cinéma municipal de Poitiers est menacé

Au moment où la ville de Châtellerault vient de sauver son ancien théâtre, où en France sont restaurés d’anciens cinémas (Le Louxor à Paris, l’Eden-Théâtre à La Ciotat) et où un intérêt grandissant s’exprime en faveur de l’architecture du XXe siècle, le conseil municipal de Poitiers du 23 septembre 2013 a voté à la majorité le constat de la désaffection du service public de l’ancien théâtre de Poitiers, l’acceptation de la cession du bâtiment et l’autorisation à signer le compromis de vente. Il s’agissait de permettre la reconversion du théâtre en galerie marchande, bureaux et logements avec création d’une salle d’exposition en sous-sol.

Ill. 1. La façade de l’ancien théâtre municipal sur la place de l’hôtel de ville, 1954.
Photo Laurent Prysmicki

Après une période transitoire durant laquelle il avait abrité un cinéma d’Art et essai, l’ancien théâtre municipal de Poitiers est aujourd’hui désaffecté. L’édifice, inauguré en 1954, est l’œuvre de l’architecte parisien Edouard Lardillier spécialisé dans la construction de salles de spectacle et notamment de cinéma des années 1930 aux années 1960. La majeure partie de ses réalisations était située à Paris (les cinémas Studio-Parnasse et Studio-Bertrand, le Berlitz, le cinéma de l’Hôtel de Ville, le Royal Haussmann ainsi que le Star à Créteil) et dans le Nord de la France (le Bellevue et le Capitole à Lille, cinémas le Colisée à Roubaix, le Rex à Dunkerque, l’Alhambra et le Colisée à Calais). Troyes (cinéma le Français), Nantes (cinéma Katorza) et Poitiers sont les seuls exemples au sud de Paris. La plupart de ces salles étaient polyvalentes, munies d’une scène pouvant accueillir des spectacles, notamment de music-hall. Mais Poitiers semble être le seul théâtre qu’Edouard Lardillier ait construit.

Ill. 2. La façade latérale de l’ancien théâtre rue de La Marne, 1954.
Photo Laurent Prysmicki

L’ancien théâtre de Poitiers n’est peut-être pas un jalon fondamental de l’histoire de l’architecture, mais c’est un édifice qui a la chance d’être conservé intégralement dans ses dispositions d’origine avec une grande partie de sa décoration. Au stade des recherches actuelles, il semblerait même qu’il s’agisse de la dernière réalisation de Lardillier à avoir conservé ses volumes intérieurs. Seules les peintures, les sièges de la salle et une partie des revêtements de sols ont été remplacés. De plus, c’est une œuvre relativement originale qui mêle, selon l’habitude de cet architecte, néoclassicisme des années 1920-1930 pour la façade principale et le hall, et formes tout en courbes empruntées à l’architecture paquebot pour la salle et les dégagements.

La salle de 800 places (1100 à l’origine) menacée de destruction. Photo L. Prysmicki

La structure du bâtiment est en béton armé. Les façades principale et latérale sont recouvertes de parements de pierre (Illustrations 1 et 2). A l’origine, la salle comptait 1100 places avec les promenoirs (800 places assises depuis sa rénovation). Le balcon au spectaculaire surplomb peut accueillir plus de 400 spectateurs supplémentaires. Au centre, se trouve la "loge" des notables, un espace délimité par la même balustrade en verre et feuilles d’acanthe en laiton que ceux de l’escalier d’honneur du hall. Le balcon en béton possède des angles arrondis donnant l’illusion d’être en porte-à-faux. Son couvrement est formé par une succession de voûtes originales en béton, destinées à mieux renvoyer le son. L’accès au balcon se faisait par le foyer. Largement éclairé par la série de hautes fenêtres rectangulaires de la façade latérale courbe, le foyer a conservé son bar années 1950, en bois et tôle de laiton ajourée (Illustration 7).

Le balcon avec son éclairage encastré et ses ferronneries, à démolir, 1954. Photo L. Prysmicki
Ill. 5. Le balcon et son dispositif de couvrement, 1954. Photo Laurent Prysmicki

Conçus pour assurer une visibilité adéquate autant pour le théâtre que le cinéma, les fauteuils étaient de la maison Gallay. Les tentures étaient de couleur rouge géranium et gris tourterelle. La scène mesure 20 mètres de large pour 10 mètres de profondeur et 20 mètres de haut. La partie cinéma d’origine comportait un écran panoramique concave de 12 mètres permettant la projection en cinémascope et en relief. A l’étage, au dessus du hall, la surélévation formant comme un attique était occupée par une salle de danse. Bien que les volumes aient été divisés ultérieurement par des cloisons légères pour créer des bureaux, le miroir et les barres d’appui ont été conservés. Tout comme les plafonniers en verre de la maison Kobis & Lorence, de Paris (Illustration 6).

Ill. 6. Applique du foyer par Robert Caillat, vers 1954. Photo Laurent Prysmicki
Le foyer et son bar menacés de démolition, 1954. Photo L. Prysmicki

Pour le grand hall, l’atelier parisien Robert Pansart (1909-1973) a imaginé une paroi figurative de 90 m² en verre églomisé (technique de miroiterie utilisant des feuilles d’or et d’argent) représentant les différents arts de la scène (la danse, la musique, le théâtre), d’après un carton du peintre français d’origine serbe André Grozdanovitch (1912-1997). Robert Pansart réalisa des décors similaires pour le paquebot France ainsi que pour le cinéma Berlitz à Paris, dont il ne reste aujourd’hui que quelques éléments. La « fresque » de glaces de Poitiers, qui évoque l’art de Chirico, est le plus grand exemple de miroir décoratif en verre églomisé encore conservé en France (Illustrations 10-13). Fait extraordinaire, cette paroi décorative était visible depuis l’extérieur par les grandes verrières (aujourd’hui en partie occultées) installées entre les piliers de la façade. Les lustres du hall (Illustration 9), les appliques du foyer (Illustration 6) et de la salle ainsi que les rambardes des escaliers sont l’œuvre de Robert Caillat qui travailla au Georges V et sur le Normandie.

Plafonniers en verre de la maison Kobis & Lorence (Paris), vers 1954. Photo L. Prysmicki
Ill. 9. Grand lustre de l’escalier par Robert Caillat, dont le dessin est conservé (voir ici), vers 1954. Photo Daniel Clauzier

Le théâtre de Lardillier a donc fermé ses portes au mois de décembre 2012. Le 23 septembre 2013, le conseil municipal a décidé de la vente du théâtre pour 510.000 euros au promoteur poitevin Thierry Minsé, associé à l’architecte parisien François Pin. Le projet de la ville de Poitiers est d’en faire un centre commercial, tout en conservant un espace culturel en sous-sol dédié aux "arts visuels". La salle (Illustrations 3, 4 et 5) et le foyer (Illustrations 6 et 7) vont être détruits, seules la façade et la paroi en verre églomisé de Pansart seront conservées (obligation du nouveau secteur sauvegardé de Poitiers). Mais la mairie ayant refusé que l’édifice et sa paroi soient protégés au titre des monuments historiques, on peut se demander avec quels financements et quelle expertise elle compte entreprendre la restauration du grand miroir décoratif très altéré (oxydation multiple, décollement des feuilles de métal en maints endroits…). A ce sujet, la ville de Poitiers évoque déjà la possibilité de déposer les verres, le temps de faire les travaux, et de les stocker ailleurs…

Le grand hall avec le miroir décoratif de Robert Pansart, sur un carton d’André Grozdanovitch, vers 1954, devant être "déposé" en perspective des travaux. Photos L. Prysmicki

Un collectif, réunissant à la fois des personnes qui estiment que l’ancien théâtre doit rester un haut-lieu de la culture à Poitiers et celles qui désirent que l’édifice soit sauvegardé, a été créé et une pétition lancée (à ce jour 7000 signataires). Un courrier a été adressé à madame la ministre de la Culture, demandant une instance de classement de l’ensemble de l’édifice et de sa décoration, ainsi que le maintien de sa vocation culturelle. Une inscription au titre des monuments historiques a également été demandée à la préfète de région par le collectif. Enfin, un recours a été déposé pour demander l’annulation de la délibération entérinant la vente du théâtre.

Ill. 11. Voir ci-dessus
Ill. 12. Voir ci-dessus

La SPPEF a d’ores et déjà déposé en son nom un recours identique. En effet, sept irrégularités dans la procédure ont été constatées. La SPPEF s’associera également à la demande d’inscription au titre des monuments historiques de l’ancien théâtre de Poitiers, aux élévations et aux volumes intérieurs intéressants et à la décoration, meuble et immeuble par destination, aussi fragile qu’exceptionnelle.

Ill. 13. Voir ci-dessus

Laurent Prysmicki, Collectif de défense de l’ancien théâtre de Poitiers et Julien Lacaze (pour le dernier paragraphe), Vice-président de la SPPEF

Lien utiles :

Plus de photos sur l’ancien théâtre de Poitiers

Article de Daniel Clauzier (2013) sur le théâtre de Poitiers et sa décoration

Article de La Tribune de l’Art (novembre 2013)

Site internet du Collectif de défense de l’ancien théâtre de Poitiers (nombreux documents : photos anciennes, programme d’inauguration de 1954, articles du Monde et de Médiapart, etc…)

Page Facebook Non à la vente de l’ancien théâtre de Poitiers

Pétition en ligne (déjà 7000 signataires avec la pétition papier)