Prix "Allées d’arbres" 2018

Le « Prix des allées » fait émerger un paysage et ses acteurs

 

Chantal Pradines, rapporteur du jury.

 
Troisième édition, déjà, du « Prix des allées » (doté de 6500 € grâce au ministère de la Transition écologique et solidaire, à la Banque populaire d’Alsace-Lorraine-Champagne et au domaine Jacques-Frédéric Mugnier) : après le bon taux de réponses et les excellents crus des deux premières années, ne risquait-on pas la déception ? Jugez par vous-même : 18 dossiers en 2016, 17 en 2017 et... 27 en 2018 (déposés par 16 communes de 397 à 18463 habitants, 6 particuliers, 4 associations et une communauté de communes). Quant à la qualité, elle aussi était au rendez-vous, imposant au jury un important travail pour analyser chaque dossier en détail et sélectionner les plus porteurs d’une réelle dynamique et les plus proches des recommandations du rapport « Infrastructures routières : les allées d’arbres dans le paysage » qui sert de référence au concours.
Cette année, un spécialiste de la biodiversité a rejoint le jury, nous permettant, comme il se doit pour des allées, d’appréhender les dossiers sous l’angle culturel, paysager et environnemental. David Happe, expert arboriste indépendant, ingénieur en écologie, a ainsi rejoint Jean-Pierre Thibault (Conseil général de l’environnement et du développement durable), Jean-Michel Sainsard (ministère de la Culture), Jean-Michel Gelly (Maisons Paysannes de France), Yaël Haddad (journaliste de la presse professionnelle du paysage), Chantal Pradines (expert indépendante) et Michel Widehem (Groupement des experts conseils en arboriculture orne­ mentale). Les quatre lauréats seront présentés ci-après. Cette année, ils recevront leur prix le 13 novembre, dans le cadre du premier colloque international dédié aux allées d’arbres en France (voir pages 61-63). Nous espérons que, à cette occasion, de nouvelles synergies se mettront en place entre les anciens lauréats et les nouveaux. L’édition 2019 du prix est prête à être lancée. À vous de jouer : prenez connaissance du règlement sur www.sppef.org et préparez votre dossier ou proposez-le à votre commune ou communauté de communes, aux professionnels de l’arbre et du paysage qui interviennent sur des allées, aux associations. La date limite de réception des dossiers est fixée au 31 mars 2019.

 
Commune de Heining-lès-Bouzonville

Restauration d’allées fruitières (chemins communaux, 1,5 kilomètres, 72 fruitiers)
1. Des trous à regarnir, entre ces vestiges encore imposants dans le paysage
© Commune de Heining-lès-Bouzonville

Une commune modeste - quelque cinq cents habitants - qui fait le constat d’une disparition progressive des arbres fruitiers le long des chemins ruraux et qui inverse la vapeur avant que l’oubli ne les ait définitivement effacés de la mémoire : le dossier a été l’un des « coups de cœur » du jury. Les allées fruitières constituent en effet une facette intéressante de l’histoire des allées, en particulier dans cette région située à 25 kilomètres à peine, à vol d’oiseau, du Luxembourg, qui fut allemande entre 1871 et 1918 (voir encadré p. 90), et qui reste très proche de l’Allemagne : 600 mètres après la mairie de Heining-lès-Bouzonville, la RD 118L, la « rue principale », bute sur la frontière avec la Sarre, tourne à 90 degrés vers la droite, pour devenir, moins d’un kilomètre plus loin, la « rue de la frontière / Neutrale StraBe », qui sépare à droite les maisons françaises de Leiding - intégrée à la commune de Heining-lès-Bouzonville depuis 1830 - de celles, à gauche, de l’allemande Leidingen. La Commune a planté 72 arbres pour regarnir ou recréer des alignements de fruitiers le long de ses chemins ruraux, pour un coût total de 3500 €TTC (dont 66 % ont été pris en charge par la Fédération départementale de la chasse de la Moselle et par UEM Fondation d’entreprise). Autre bon point, les trois volets qui justifient conjointement la protection des allées d’arbres dans l’article L350-3 du Code de l’environnement, à savoir culture, biodiversité, aménités, ont été pleinement pris en compte. Redonner aux chemins leur caractéristique historique et culturelle d’allées fruitières, si prégnantes dans le paysage, agrémenter ainsi le chemin de randonnée transfrontalier mis en place avec la commune allemande de Wallerfangen, rompre le « désert » des étendues d’agriculture intensive - à terme, les arbres constitueront des habitats, et les alignements deviendront des corridors de déplacement pour de nombreuses espèces animales, tout en intervenant sur les conditions climatiques et hydriques : tels étaient les objectifs de la commune.
La biodiversité « cultivée » n’a pas non plus été oubliée : des variétés fruitières anciennes de haute tige utilisées localement au tournant du XXe siècle, au moment où se sont développées ces plantations dans cette région, ont été privilégiées : 30 poiriers à cidre de la variété Oberôstereicher Mostbirne et 30 pommiers des variétés Rambour d’hiver, Ontario et Boskoop ont été plantés. Quelques cerisiers et quelques néfliers ont complété l’ensemble (les néfliers avaient disparu avec les vignes attaquées par le phylloxéra, le tanin des nèfles ne trouvant plus d’utilité pour la fermentation du vin).
Et si la volonté de la commune de poursuivre la reconquête du paysage par d’autres allées aboutissait à la création d’une allée transfrontalière ? Cent ans après l’Armistice de 1918, cela constituerait un beau symbole de la cohésion européenne, à l’instar de la plantation genuaao-polonaise réalisée en 2014 dans un programme « Aileen statt Grenzen » (« bes allées, pas des frontières »).

 
Association « Autour du canal de Bourgogne »

Restauration d’une partie des allées du canal (voie verte VNF, 2 kilomètres, 334 arbres)
2. Douceur du paysage du canal © Asso. « Autour du canal de Bourgogne »

Long de 242 kilomètres, le canal de Bourgogne relie le bassin du Rhône au bassin de la Seine entre Saint-Jean-de-Losne, en Côte-d’Or, et Migennes, dans l’Yonne. Construit entre 1775 et 1833, il voyait le trafic marchand s’y essouffler un siècle plus tard, par la faute des 189 écluses, du tunnel de Pouilly-en-Auxois, long de 3,3 kilomètres, où la circulation ne peut se faire que dans un sens à la fois, et de la difficulté d’assurer un tirant d’eau suffisant tout au long de l’année. Aujourd’hui, il sert à la navigation de plaisance et, avec sa voie verte, sa concentration d’écluses et de maisons éclusières et son tracé aux courbes souples, il constitue un lieu prisé des amateurs de grand air. Un Guide du Routard y a été consacré en 2017.
Partir du constat d’un désengagement du gestionnaire pour se substituer très concrètement à lui puis, dans un second temps, réimpliquer ce dernier et les autres acteurs institutionnels afin de se concentrer à nouveau sur la sensibilisation au patrimoine : telle a été la démarche, exemplaire, de l’association « Autour du canal de Bourgogne », l’autre coup de cœur du jury.
Là aussi, l’élément déclencheur est le constat de la dégradation progressive et de la disparition des arbres bordant le canal entre Montbard et Pouilly-en-Auxois. Certains alignements, tombés avec la tempête de 1999, n’ont jamais été replantés. Les anciens peupliers destinés à la fabrication des allumettes par la SEITA, laissés à l’abandon depuis la disparition de celle-ci, tombent et ne sont pas renouvelés. Qu’ils ne soient pas propriétaires des chemins et n’aient aucun budget n’arrête pas les 10 membres bénévoles de l’association lorsqu’ils décident de passer à l’action et de replanter ! Et de cette mise en mouvement naît, comme souvent, le miracle. 334 arbres commandés à la pépinière régionale Naudet - soit le triple de l’objectif initial -, dûment étiquetés pour que chaque donateur puisse identifier son arbre, seront plantés à la Sainte-Catherine 2017 par une cinquantaine de personnes bravant la météo. Tout a été choisi en accord avec Voies Navigables de France (VNF). Essences : 182 peupliers noirs d’Italie, 152 érables, 12 cerisiers et pruniers près des maisons éclusières. Lieux, distances de plantation : 6 mètres entre arbres, « un peu serrés » selon les critères d’arboriculture ornementale contemporains, mais en conformité avec les distances historiques des plantations en allées. L’idée d’une sensibilisation conviviale de la population, à l’occasion d’une randonnée « gourmande », avait été la bonne : 160 participants ont été enthousiasmés par la démarche et la beauté des lieux et les objectifs de financement participatif ont été très largement dépassés. Le coût de l’opération, 6 000 €, a été financé à 50% par le public et 35 % par le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. En outre, la dynamique de désengagement en place depuis une vingtaine d’années a pu être inversée. Voies Navigables de France ne s’est pas contentée de donner son accord pour cette plantation de 2 kilomètres de long, mais elle a poursuivi de son chef les plantations au cours de l’hiver.

 
Regroupement de citoyens « Gien - Sauvons les platanes »

Mobilisation pour la sauvegarde de l’allée des quais de Loire (voie communale, 1,5 kilomètres, 121 platanes)
Une trame verte pour doubler la trame bleue de la Loire
© Regroupeme111 • Gien - Sauvons les platanes »

Un projet d’aménagement engagé par la municipalité de Gien prévoit l’abattage de 61 des 121 platanes qui, accompagnent les quais de Loire sur 1,5 kilomètre. Certains de ces arbres datent de la plantation d’origine, réalisée à l’achèvement des quais en 1834 et constituée alors de 227 peupliers et platanes. 30 platanes ont été abattus en octobre dernier, sous protection des CRS. Mais pour les habitants regroupés pour défendre ces platanes, la décision d’abattage contrevient à l’article L 350- 3 du Code de l’environnement, dont l’objectif est la préservation des allées d’arbres. La lecture du diagnostic phytosanitaire des platanes montre que seuls 6 nécessitent d’être abattus. Concilier à la fois aménagement, maintien de ces alignements d’arbres emblématiques des bords de Loire, et préservation d’un corridor vert pour la population, pour les visiteurs, et pour la faune, est une nécessité qui découle de la Loi. En avril 2018, le tribunal administratif d’Orléans donnait raison aux habitants et suspendait les abattages, ce que confirmait le Conseil d’État en juillet, les platanes étant protégés au titre d’« éléments du patrimoine culturel national ».
En choisissant de leur octroyer un prix, le jury salue la pertinence de l’engagement de ces citoyens, la justesse de leurs actions et leur opiniâtreté : loin de baisser les bras après la perte d’un quart des arbres, ils ont poursuivi avec une régularité d’horloge leur présence dominicale sous les platanes, occasion de moments d’échanges, d’histoires partagées, de concours de dessin, de réflexions pour l’avenir ; ils ont fédéré autour d’eux des associations nationales comme la Ligue pour la Protection des Oiseaux, Maisons Paysannes de France, ou A.R.B.R.E.S. qui a décerné un label provisoire « ensemble arboré remarquable » ; ils ont sollicité le sénateur Joël Labbé qui a posé une question écrite au ministre de la Transition écologique et solidaire ; ils ont engagé les actions en justice ; enfin, ils ont trouvé 40 parrains prestigieux pour leurs arbres, éminents naturalistes et spécialistes des arbres : Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO, Georges Feterman, président d’A.R.B.R.E.S., Francis Hallé, auteur de Du bon usage des arbres - un plaidoyer à l’attention des élus et des énarques, Isabelle Autissier, présidente du WWF, des artistes comme Anny Duperey ou Michael Lonsdale, des juristes comme Valérie Cabanes ou Corinne Lepage, le moine bouddhiste Matthieu Ricard, l’ancien directeur du téléthon Pierre Birambeau et bien d’autres encore.
Le prix contribuera modestement à couvrir les coûts engagés, 17 500 €, dont 34 % étaient déjà financés par des dons en mars dernier. Espérons surtout qu’il légitimera un véritable travail de concertation avec la municipalité pour l’avenir.

 
M. et Mme Eppinger, Château de Sermange

Pérennisation d’une ancienne allée cavalière (chemin privé accessible au public, 225 mètres, 85 tilleuls)
L’ancienne allée cavalière à préserver
© M. et Mme Eppinger

Le château de Sermange, demeure de plaisance construite en 1727, se voit doter vers 1762 d’une nouvelle allée de 85 tilleuls sur 225 mètres de long. Parallèle à la façade du château, elle mène d’un portail proche de la chapelle jusqu’au bois. Elle est alors agrémentée de deux bancs en pierre demi-circulaires et les tilleuls sont taillés en plateau-rideau. Au XIXe siècle, la taille est abandonnée puis, au début du XXe, les arbres subissent une taille de réduction. Les propriétaires sont soucieux de préserver l’allée et, de manière générale, l’écrin paysager du château. Un dossier de protection au titre des Monuments historiques sera déposé. Le portail et les bancs seront restaurés. Madame Eppinger est par ailleurs présidente de l’association « Les amis de Sermange », qui se bat contre l’implantation d’éoliennes de 150 mètres de haut dans cet écrin. En 2016, une étude historique et paysagère du parc et de son allée a été réalisée, suivie d’un diagnostic sanitaire, biomécanique et physiologique de celle-ci dans le but d’en assurer la conservation et de garantir la sécurité du public lors des « Rendez-vous aux jardins » ou d’autres animations. Si l’état sanitaire et biomécanique des 80 arbres restants à ce jour n’est pas très bon, les bonnes réactions physiologiques permettent de limiter l’intervention des élagueurs-grimpeurs au strict minimum pour assurer la sécurité - suppression du bois mort et légère éclaircie d’éventuelles petites branches en surnombre dans le houppier, à moins que des altérations importantes observées sur le tronc ou les charpentières principales de certains sujets ne posent la question de leur maintien. L’historique de gestion passé, allant de la taille architecturée en plateau-rideau à la taille de réduction, bien lisible et source des problèmes actuels, constitue un bon support pédagogique sur l’arbre et sa gestion. La Journée Européenne des Allées le 20 octobre peut être à cette fin une date opportune.

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