Le Figaro 8 novembre 2025 : "Quand la rénovation énergétique met en péril le patrimoine"

Le Figaro n°25257 du 8_9 novembre 2025, Une et p.2-3
[...bas pages 2 et 3...]

 


« Il faut arrêter ce massacre financé par nos impôts » : DPE, MaPrimRénov’… quand la rénovation énergétique met en péril le patrimoine

Le Figaro (Web) du 7 novembre 2025 à 17h10. Par Stéphane Kovacs
Nombre de propriétaires s’égarent dans le dédale de normes énergétiques. Ralf Gosch / stock.adobe.com

ENQUÊTE - Alors que nombre de propriétaires s’arrachent les cheveux devant les incohérences du système, les associations réclament un moratoire sur les DPE pour le bâti ancien.

C’est une charmante maison de bourg, en pierre de pays, sur l’île d’Yeu, en Vendée. Avec vue sur les toits de tuile ocre et la mer au loin. Quand Hélène et son mari l’ont achetée, en 2021, leur idée était de réhabiliter cette résidence secondaire et de la louer pour rembourser leur prêt. Sauf que rien ne s’est passé comme prévu.

De dispositifs de rénovation énergétique en réglementation tatillonne, de diagnostics de performance énergétique (DPE) en éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), de certificats d’économies d’énergie (CEE) en MaPrimRénov’, nombre de propriétaires s’égarent dans un dédale alphabétique absurde. Si l’été dernier, l’ex-premier ministre François Bayrou annonçait une énième modification du DPE, les bailleurs ne sont pas au bout de leur peine. « Non à l’industrie du prêt à isoler ! » clament les associations de sauvegarde du patrimoine, qui demandent un moratoire sur les DPE pour le bâti antérieur à 1948.

Dans leur petite maison de l’île d’Yeu, achetée avec un DPE « E », le jeune couple parisien, soucieux de réduire sa consommation énergétique, entame avec entrain des travaux de rénovation. « Nous avons fait installer un chauffe-eau électrique basse consommation et fait changer toutes les fenêtres en PVC pour des croisées en chêne double vitrage, plus belles et mieux classées thermiquement », décrit Hélène. Sauf qu’un mois après leur acquisition, la méthode d’élaboration des DPE a été modifiée par un arrêté de mars 2021. « Elle n’est plus faite sur facture de consommation réelle, mais sur estimation de cette consommation, à partir d’une - impossible - caractérisation des matériaux ! s’étrangle Hélène. En outre, la durée de validité du certificat établi par nos vendeurs a été réduite de dix à quatre ans. Nous avons donc dû en refaire un. Et, bien que nous ayons fait appel au même diagnostiqueur qu’eux, nos améliorations n’ont eu aucune incidence. Pire, nous sommes passés en « G », deux classes en dessous du DPE annexé à l’acte de vente ! »

Pour rembourser son prêt, le couple avait mis sa maison en location l’été. Mais depuis la loi Le Meur de novembre 2024 sur les meublés de tourisme, il faut obligatoirement être classé au moins en « E ». Et non en « F », comme pour les locations à l’année… « C’est absurde, puisque les logements saisonniers - comme notre maison louée essentiellement l’été - sont généralement peu ou pas chauffés, se récrie Hélène. On soumet tout simplement les propriétaires à des exigences thermiques punitives pour les inciter à louer à l’année, très loin de l’objectif climatique… Tout est finalement mouvant ; il est impossible de se projeter. »

« Tout cela est kafkaïen ! »

Que recommande donc le diagnostic associé à ce classement « extrêmement peu performant », réalisé en août dernier ? « D’isoler les murs par l’extérieur - la maison étant trop petite pour une isolation par l’intérieur -, de détruire nos beaux sols en carrelage des années 1950 pour les isoler, d’acheter une pompe à chaleur que nous ne saurions pas où suspendre, de poser en toiture un système solaire pour l’eau chaude, de changer à nouveau toutes nos fenêtres ! s’effarent les propriétaires. Ces aménagements sont impossibles en raison de la configuration des lieux et des contraintes patrimoniales propres à l’île ; nous sommes à moins de 500 mètres de l’église classée, et il y a le problème de surplomb des parcelles voisines. Tout cela est kafkaïen ! »

Résultat, la deuxième tranche de travaux est désormais stoppée net. « Nous n’osons plus rien faire, face au coût de ces potentiels aménagements absurdes, avoue le couple. Une simulation en ligne de la nouvelle étiquette énergétique applicable au 1er janvier 2026 nous a appris que nous restons en classe “G”. Nous ne pourrons donc plus louer notre maison. Un problème de trésorerie pour nous, et un manque à gagner pour les entreprises islaises, vivant essentiellement du tourisme… »

Une pétition adressée à la ministre de la Culture

À Paris, c’est pour sauver « un pan de l’histoire de l’architecture contemporaine des Trente Glorieuses » que tout un quartier se mobilise. Dessiné par l’architecte Jean Dubuisson, à Montparnasse, dans le 14e arrondissement, l’emblématique immeuble Mouchotte, avec ses 753 logements et ses 2000 habitants, est le plus grand ensemble de la capitale. Sa façade caractéristique, labellisée architecture contemporaine remarquable (ACR), avec sa trame d’aluminium et de verre dite « écossaise » par le rythme qu’elle adopte, est également célèbre pour avoir fait l’objet d’une photographie prise par Andreas Gursky, un des photographes les plus cotés au monde.

Aujourd’hui, s’alarme l’association Sauvons Mouchotte, qui vient d’être créée, c’est un DPE collectif de classe « F » qui pourrait avoir raison de l’édifice « deux fois patrimonial ». « Après avoir obtenu ce “F” lors d’un DPE collectif concernant à peu près la moitié de l’immeuble, le principal propriétaire, une société bailleresse, veut réaliser des travaux avant 2028, pour échapper à l’effet couperet de la réglementation thermique, explique la présidente de l’association. Sauf qu’étrangement, l’autre partie de l’immeuble a un DPE collectif “E”. Mais les diagnostics individuels des appartements vendus et loués présentent la lettre “E” voire “D” ! Or, seuls les DPE individuels sont légalement contraignants pour un vendeur ou un bailleur… »

Une pétition adressée à la ministre de la Culture a été mise en ligne. Outre « la décision écologiquement aberrante de détruire les façades en aluminium d’origine pour les refaire à l’identique, toujours en aluminium », l’association relève qu’« un changement de la façade ferait perdre au bâtiment son label ACR, puisqu’il ne s’agirait plus que d’une pâle copie de l’œuvre originale, sans caractère patrimonial et sans passé ». « D’autres travaux plus modestes et moins coûteux peuvent arriver à des résultats similaires, plaide un copropriétaire. Car on nous a annoncé un prix dérisoire, dont 70 % allait être pris en charge par MaPrimeRénov’, mais on sait bien que les subventions sont plafonnées… En plus, on nous a laissé entendre que, pour certains appartements, le confort thermique ne serait pratiquement pas amélioré. »

Dans la capitale, ce sont aussi les propriétaires d’appartements haussmanniens qui s’inquiètent : l’adjoint à la maire de Paris « en charge du logement et de la transition écologique du bâti », le communiste Jacques Baudrier, n’a-t-il pas annoncé récemment son intention de « préempter des immeubles du XIXe siècle remplis de passoires thermiques pour les transformer en logements sociaux » ? « Les diagnostiqueurs ne sont souvent pas suffisamment formés aux bâtiments anciens, témoigne Marie Jouveau, architecte et urbaniste du patrimoine. II n’est pas rare que certains rentrent des valeurs par défaut et annoncent à des propriétaires, dans le haussmannien, qu’ils vont se retrouver en “passoire thermique” ! Or, globalement, le haussmannien s’avère plutôt performant, avec des bâtiments très compacts, donc des déperditions très relatives. »

« Une offre d’isolation à 1 euro »

À Airion, petite commune rurale de l’Oise, « l’isolation à 1 euro » a déclenché une « guerre » entre deux voisins, qui se partagent un ancien relais de poste du XVIe siècle. Une belle maison à colombages, inventoriée comme « bâtiment d’intérêt patrimonial » au plan local d’urbanisme (PLU), dont Robert de Lanessan et sa famille occupent, « depuis quarante ans », la majeure partie. « Un beau jour de 2021, on a vu arriver une entreprise qui a installé un échafaudage sur la partie de la façade appartenant à nos voisins, se remémore le retraité. Ils ne nous avaient même pas prévenus ! En fait, ils voulaient vendre, et, après un mauvais DPE, se sont laissé tenter par une offre d’isolation à 1 euro. On leur a dit d’arrêter tout de suite ! Mais ils ont continué, et voilà qu’on se retrouve avec un revêtement en polystyrène, lui-même recouvert d’un enduit jaune pisseux ! »

« Une verrue sur la façade », s’offusque Robert de Lanessan, propriétaire seulement de la partie droite
de cet ancien relais de poste, à Airion, dans l’Oise. Photo fournie au Figaro

« Une verrue sur la façade, s’offusque Robert de Lanessan, alors que moi, j’ai acheté une maison chargée d’histoire, des murs en pans de bois avec des clous certifiés du XVIe siècle ! Les colombages, asphyxiés sous le polystyrène des voisins, ils vont pourrir ! La loi est mal faite ; je ne comprends pas qu’on laisse saccager le patrimoine comme ça. » Une procédure judiciaire a été lancée. « L’an dernier, la commune a été condamnée pour ne pas avoir respecté le PLU, poursuit le retraité. On attend maintenant que les nouveaux acquéreurs soient condamnés à démonter le revêtement. Figurez-vous qu’en plus, ils voulaient rénover le côté cour avec des tôles en acier ! »

« Il faut arrêter ce massacre, financé par nos impôts ! »

Très remontée contre cette « arme de destruction massive » que serait le DPE, l’association Maisons paysannes de France « ne compte plus les exemples de propriétaires désemparés , qui se retrouvent face à des impasses ». « Alors qu’aujourd’hui, quantité de personnes ne trouvent plus à se loger, on a créé un stress qu’on n’imaginait pas ! assure Gilles Alglave, son président. Le DPE aujourd’hui ne connaît ni la terre, ni le bois, ni la pierre, mais seulement les matériaux industrialisés. Il ne tient pas compte de notre patrimoine, qui obéit à un mode de fonctionnement bioclimatique. Bien au-delà de l’esthétique, cette rénovation industrialisée risque d’entraîner des pathologies parfois sévères, parce que le fragile équilibre du bâtiment aura été rompu. Il faut arrêter ce massacre, financé par nos impôts ! »

La commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique l’a reconnu en 2023, « les particularités du bâti ancien, c’est-à-dire datant d’avant 1948, n’ont pas été prises en compte ». « Le cas des maisons à colombages isolées par l’extérieur avec du polystyrène est un cas d’école, relève-t-elle par exemple. Le bâti ancien paraît comme un véritable impensé de la politique de rénovation énergétique, alors même qu’il représente un tiers des logements ! D’ailleurs plus d’un tiers de ces logements sont classés “F” ou “G”, alors qu’ils sont souvent construits en matériaux locaux et plus agréables à habiter l’été. » Ce rapport a nourri une récente proposition de loi, qui vise à modifier le Code de la construction et de l’habitation pour y glisser la notion de bâti ancien. Adoptée - à l’unanimité - au Sénat en mars, elle doit à présent être examinée à l’Assemblée nationale.

En attendant, les associations de sauvegarde du patrimoine se disent « convaincues qu’il est possible de conjuguer le respect du patrimoine ancien et l’urgence du défi climatique ». « Ne sacrifions pas nos paysages à une politique énergétique inefficace et ruineuse, s’écrie Julien Lacaze, président de Sites & Monuments. Seuls les monuments historiques échappent encore à ce régime. Ces normes absurdes ont accouché de travaux désastreux pour le petit patrimoine, faits dans la panique et au moindre coût, mais également d’une rétractation problématique de l’offre locative. Cette tendance à ne concevoir l’écologie qu’à travers certains chiffres - ceux des DPE ou du taux d’énergies renouvelables dans le “mix énergétique” -, sans prêter attention au sacrifice de la nature et du patrimoine qu’ils supposent, est un travers très français. Seuls les idéologues concepteurs de ces programmes ne voient pas que la campagne cède progressivement la place à l’industrie des énergies et que du plastique sous garantie décennale se substitue aux boiseries centenaires de nos façades. »

 

Lire sur lefigaro.fr