Le Figaro du 15 septembre 2023 : "Château de la Buzine, musées délabrés et fermés, patrimoine négligé... Marseille : le naufrage de la politique culturelle"

RÉCIT - La bataille autour du château de Pagnol se poursuit aujourd’hui au pénal, dernier épisode d’une gestion culturelle de la municipalité hasardeuse. Et probablement coûteuse.

Le Figaro n° 24592 du 15 septembre 2023, p.32

Envoyée spéciale à Marseille

Pour le malheur des touristes et des contribuables marseillais, le conflit entre le maire Benoît Payan et Nicolas Pagnol s’envenime au point de rendre les positions de ces deux fortes personnalités irréconciliables. Après avoir géré pendant six ans le château de la Buzine en quintuplant la fréquentation et hissant l’une des rares délégations de service public de la cité phocéenne à l’équilibre financier, Nicolas Pagnol n’a pas été reconduit par la mairie en juin. Face à la menace d’un recours devant le tribunal administratif, Benoît Payan a choisi de reprendre dans la précipitation les rênes du château de la Buzine en régie municipale. Depuis, le petit-fils de Marcel Pagnol ne décolère pas.

Le 14 septembre, devant les grilles du château qui appartenait autrefois à son grand-père et racheté par la ville en 1995, Nicolas Pagnol a convoqué la presse. « Benoît Payan a pensé que l’honneur de la famille Pagnol était un paillasson sur lequel il pouvait s’essuyer les talonnettes, il a pris notre discrétion pour de l’absence et ma bonhomie pour de la faiblesse. Je crains fort qu’il ne se soit trompé », lance-t-il. Après une interview de Marcel Pagnol par Pierre Tchernia diffusée sur un grand écran et avoir lu quelques mots de son grand-père, pour « répondre aux élucubrations du maire selon qui la Buzine n’a jamais été le Château de ma mère », il est entré dans le vif.

« BuzineGate »
S’estimant dépossédés par la décision de la mairie, les ayants droit ne donneront aucune autorisation à la ville pour l’utilisation du nom de Pagnol, de photos, d’extraits de films ou de pièces de théâtres, ni de ses romans. Comment, dans ces conditions, Benoît Payan compte-t-il célébrer en 2024, le cinquantenaire de la disparition de Marcel Pagnol ? «  Des demandes de prêts seront faites auprès des institutions culturelles et les autorisations seront sollicitées auprès des ayants droit moyennant le paiement de droit d’auteur et des redevances », nous écrit l’équipe du maire*. Si elle passe outre, la ville risque d’être poursuivie devant les juges. « 2024 aurait dû être une grande fête au château de ma mère. Il n’en sera rien. Merci Benoît Payan », a conclu Nicolas Pagnol qui convie les amoureux de Pagnol aux célébrations des communes voisines, à Allauch, Aubagne et La Ciotat. Les pénalistes David Koubbi et Alba Terrade, habitués des dossiers médiatiques (Tristane Banon, Jérôme Kerviel, Oscar Temarou), ont ensuite annoncé des poursuites au pénal contre Benoît Payan pour injures publiques et diffamations à l’encontre de Nicolas Pagnol. « Ce n’est qu’un au revoir, les politiques passent, Pagnol restera », a terminé Nicolas Pagnol.

Ce « BuzineGate » est désastreux pour l’image de Marseille. Le château emblématique de la culture provençale n’a déjà plus l’ADN de Pagnol. La semaine dernière, un camion est venu chercher le buste de Pagnol qui accueillait les visiteurs dans le hall. Après les Journées du patrimoine, le week-end prochain, et une ultime projection du Château de ma mère, tous les souvenirs de l’ancien maître des lieux seront rendus à ses ayants droit.

Vendredi 15 septembre, les 150 élus examineront en conseil municipal l’avenir de la Buzine. Dans le rapport destiné aux élus que s’est procuré le Figaro, le projet culturel de la mairie ressemble trait pour trait à celui de la direction sortante. Il repose sur Pagnol, le cinéma, les expositions, un espace littéraire, l’accueil des enfants avec des activités artistiques, des privatisations, des spectacles et un restaurant avec les prix inchangés. «  L’œuvre cinématographique et littéraire de Pagnol conservera en ce lieu toute sa place et sa légitimité », peut-on lire, comme si l’obtention des droits ne posait pas problème. En l’absence de programmation pour 2024, la mairie envisage de prolonger l’exposition Steven Spielberg jusqu’à Noël. La suivante, faute de temps, ne pourra qu’être achetée auprès d’un tiers.

Un projet précipité
Ce ne sera pas l’unique surcoût pour les contribuables. La reprise en régie de l’exploitation du château aura de sérieuses conséquences financières. À compter du 17 septembre, quand la mairie reprendra les clés du site, la Buzine sera intégrée dans le budget général de la ville. Comme ses fonctionnaires n’ont eu que deux mois pour mettre en place le plan d’action, la valorisation des actifs et du budget prévisionnel du site n’est pas terminée. La Buzine n’aura donc ni budget annexe, ni autonomie financière. « Ses recettes et coûts d’exploitation seront mêlés à ceux du périscolaire, des parcs et jardins. On n’en connaîtra pas les détails », souligne Sandrine Blanchard, l’avocate en droit public de Nicolas Pagnol.

Plus embêtant encore, sans la création d’un établissement avec des comptes séparés, les aides du département (de 125.000 à 150.000 euros par an) et celles de la région (5000 à 50.000 euros selon les années) s’arrêteront. Une mauvaise manière de la présidente des Bouches-du-Rhône, la divers droite Martine Vassal, et du président Renaissance de la région Sud Renaud Muselier à la ville contrôlée par la gauche ? La question n’est pas politique : juridiquement, ils ne peuvent plus aider la Buzine.

Ces collectivités finançaient de surcroît tous les investissements, dont la rénovation du parcours du 7e art à hauteur de 300.000 euros. « De toute façon, nous ne connaissons pas le projet de la ville, Benoît Payan ne nous y a pas associés », souligne l’équipe de Martine Vassal. La ville, qui versait 450.000 euros par an, percevra désormais toutes les recettes mais assumera dans le même temps 100% des coûts. Avec l’arrêt des activités Pagnol, dont la commercialisation des randonnées théâtrales, le manque à gagner risque d’être conséquent. La mairie, qui prévoit en outre la gratuité des visites, sait que ses recettes vont drastiquement chuter. Selon nos calculs, le passage en régie doublera la facture pour le contribuable pour atteindre 800.000 euros.

L’affaire du château de Buzine est le dernier exemple en date d’une gestion municipale des sites culturels qui bat de l’aile. Avant d’espérer pousser la porte d’un musée municipal, mieux vaut se renseigner. À la Vieille Charité, chaque pluie torrentielle inonde la cour pavée. À la Pentecôte, le site a fermé. Au musée d’histoire de Marseille collé au centre commercial Bourse, le déclenchement des alarmes incendie dans les magasins voisins lors des émeutes du 30 juin a contraint la direction à établir un plan de sauvegarde des œuvres. Les épaves monumentales de navires de commerce antique qui n’ont pas pu être déplacées sont bâchées. L’établissement est donc fermé au public, sans qu’aucune date de réouverture ne soit connue.

Depuis 2019, le musée des Docks romains subit des dégâts des eaux provenant de la copropriété et de la chaussée. En juillet, deux sinistres ont entraîné une opération de sauvetages des œuvres mises en péril. Un témoin parle d’une submersion « jusqu’à la taille  », de l’odeur pestilentielle tenace et des regrets d’avoir dû laisser sur place d’immenses jarres antiques. En octobre, la mairie lancera six mois de travaux pour 276.000 euros. La métropole sera chargée des travaux de voirie.

Le mémorial de la Marseillaise et le musée Grobet-Labadier sont eux toujours «  fermés jusqu’à nouvel ordre ». Le cabinet Monnaie et Médailles, comme le Préau Accoules-musée des enfants aussi. Le Musée d’art contemporain a lui enfin ouvert. Repensé par les architectes marseillais du cabinet BAM, le lieu est magnifique. Dans les salles, les médiateurs expliquent les œuvres avec force de pédagogie et de gentillesse. Heureusement, car les cartels totalement abscons excluent le grand public. Quant au toit-terrasse où Jean-Marc Coppola adjoint PCF à la Culture avait promis glaciers et bar pour grignoter, il est accessible mais sans ces prestations.

Tout cela suscite beaucoup d’amertume, même chez les moins enclins à critiquer la majorité de gauche. « Je ne verrais jamais les musées municipaux tous ouverts en même temps », soupire Jean-Pierre Zanucca, délégué FSU des musées municipaux. Les syndicats s’émeuvent aussi de voir la directrice du château traitée avec un statut différent de celui du directeur de l’Opéra dont l’établissement est similaire : est-ce une discrimination car elle est une femme ? Les cadres s’attendent à une purge dès que les projecteurs seront moins braqués sur le château. « S’ils sont si bons que ça, ils feront des merveilles dans nos musées », ironise un important élu de la majorité particulièrement crispé et impulsif.

À mi-mandat, le bilan culturel de la majorité qui a pris la ville à la droite après 25 ans de règne de Jean-Claude Gaudin, paraît bien maigre. On retient un maintien global des subventions et davantage d’éducation artistique pour les jeunes. La principale révolution reste la gratuité des collections permanentes des musées, une idée qui coûte 106.000 euros. Depuis 2020, la fréquentation de ces salles a augmenté de 30%. « La mesure a-t-elle fait venir des personnes qui n’allaient jamais au musée ? », s’interroge l’élu LR Pierre Robin. La ville ne dispose pas - ou ne communique pas - sur le profil de ces nouveaux visiteurs.

Les failles de l’Opéra municipal
Cette mesure cache par ailleurs beaucoup de misère. De nombreux grands chantiers sont en attente. Le rapport de la cour régionale des comptes paru cet été sur l’Opéra municipal est sanglant. Pas de comptabilité analytique pour un budget équivalent à celui d’une commune de 15.000 habitants. Des places gratuites pour deux millions d’euros, sans précision sur qui en profite. Des musiciens qui ne font que la moitié des répétitions et des représentations prévues, mais, dans le même temps cumulent plusieurs emplois à temps complet.

Même les syndicats les plus proches de la majorité s’inquiètent de mesures de Benoît Payan et de Jean-Marc Coppola qui vont à l’encontre des valeurs du « Printemps marseillais  » : automatisation des ventes de billets en test au Mac, recrutement d’agents dans le privé pour remédier à l’absentéisme des agents reclassés municipaux, privatisations... David Coquille, journaliste au quotidien La Marseillaise, comptabilise toutes les atteintes au patrimoine la ville. « À la mairie classée depuis 1948, la façade a été percée pour installer des bannières comme celles félicitant l’OM sans validation de l’architecte des bâtiments de France, dénonce Sandrine Rolengo, déléguée de l’association Sites & Monuments pour les Bouches-du-Rhône. Au second étage, le parquet et les tomettes d’époque ont été arrachés et jetés à la benne. » Quant au système de régie, il demeure opaque, sans conseil d’administration qui surveille et conseille les institutions concernées. Il reste trois ans à Benoît Payan et à Jean-Marc Coppola pour présenter des réalisations concrètes. Les malheurs de la Buzine sont de mauvais augure.

(*) Une semaine avant la parution de cette enquête, nos interviews prévues avec Benoît Payan, maire de Marseille, et Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture, ont été annulées. La mairie a également refusé de donner son accord pour des entretiens avec les directrices de la Buzine, du MAC et les conservateurs des musées.

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