Les Visitandines ou Religieuses de la Visitation de Sainte-Marie, instituées par François de Sales et Jeanne de Chantal, arrivent à Paris le 6 avril 1619. Les religieuses avaient à l’origine pour mission de rendre visite aux malades et aux pauvres ; elles tirent ainsi leur nom de l’épisode évangélique de la Visitation, où la Vierge Marie vient rendre visite à sa cousine Elisabeth, après l’Annonciation.
Mais cette orientation apostolique est bientôt abandonnée et la clôture imposée aux religieuses. Les Visitandines s’établirent d’abord rue Saint-Antoine (aujourd’hui avenue Denfert-Rochereau). Le deuxième monastère se trouvait au 110, rue de Vaugirard[1]. Acheté en 1819 et aménagé pour l’essentiel à partir de 1821, les religieuses de ce dernier couvent sont parties vers 2010 (pour rejoindre le monastère de la Visitation avenue Denfert-Rochereau) et le terrain bâti a été offert au diocèse de Paris.
Le Monastère de la Visitation occupe une grande parcelle, située dans un îlot traversant, délimitée au nord par la rue du Cherche-Midi et au sud par la rue de Vaugirard. La parcelle se compose d’un jardin d’environ 5.500 m2 - bénéficiant pour 4.000 m2 du statut d’espace vert protégé - véritable poumon vert pour le quartier, ainsi que de bâtiments historiques : un hôtel particulier édifié par la famille de Clermont-Tonnerre vers 1775 (date à laquelle il figure sur le plan de J.-B. Jaillot), une chapelle au très beau dallage et la dernière vacherie de Paris.
En offrant le monastère de la Visitation au diocèse de Paris, les Religieuses de la Visitation avaient, semble-t-il, stipulé qu’il pouvait être construit, mais sans possibilité d’aliénation. Le projet pour lequel le diocèse a déposé et obtenu un permis de construire aboutit malheureusement à détruire de nombreux bâtiments existants, au détriment de la cohérence de l’ensemble monastique, de la diversité urbaine, des vues, comme de la qualité de vie à Paris, ville déjà trop dense.
Quel est le projet envisagé par le diocèse ?
Le diocèse entend mener un vaste projet immobilier destiné à accueillir un pôle de solidarité, en lien avec trois associations. Ce projet, dénommé Maison Marguerite-Marie, est présenté sur le site de l’Église catholique de Paris[2].
La restructuration du Monastère de la Visitation prévoit la construction d’un bâtiment d’habitation (41 logements) et d’équipement de petite enfance de 7 étages sur deux niveaux de sous-sol (côté rue de Vaugirard), d’une résidence pour personnes handicapées de 6 étages et commerce à rez-de-chaussée sur un niveau de sous-sol avec toitures végétalisées (côté rue du Cherche-Midi), de 2 bâtiments d’habitation (6 logements dont 3 logements sociaux) de 2 et 3 étages et sous-sol sur jardin. Le projet entraînera la démolition de nombreux bâtiments du Monastère et s’accompagnera d’un réaménagement paysager du jardin.
Quel sont les bâtiments en péril ?
Composé d’édifices religieux (chapelle édifiée en 1821, cloître remanié en 1912 et oratoires) et de logis (ancien hôtel de Clermont-Tonnerre, daté de la fin du XVIIIe siècle et pensionnat de jeunes filles de 1867...), le site forme un ensemble monumental exceptionnel.
Celui-ci est notamment constitué de bâtiments d’exploitation agricole destinés à la vie communautaire : une étonnante vacherie construite en 1886, enjambant une chapelle (édifiée avant 1867), et portant un haut mur pare-vue en briques ajourées. Comme le souligne l’historique du monastère, versé au dossier du permis, « Le toit a été fait très pentu pour monter plus haut et même surmonté d’un mur, à la demande de l’archevêque de Paris, dans le but d’isoler le jardin des maisons voisines ». Un poulailler-clapier, également édifié en 1886, complète ces installations d’élevage.
L’ensemble des bâtiments mentionnés subsiste, malgré des modifications ou des réaménagements parfois malheureux.
En 1992, les planchers de la vacherie ont été modifiés afin de créer des logements dans le volume du bâtiment et un mur en parpaings élevé dans le jardin pour offrir aux nouveaux habitants un semblant de jardin privatif.
Malgré ces aménagements, le site rend compte dans sa configuration actuelle de l’occupation monastique et de la vocation contemplative des sœurs de la Visitation Sainte-Marie qui ont habité ces lieux durant plus d’un siècle et demi.
Quel impact paysager et patrimonial ?
Le projet prévoit la destruction de nombreux bâtiments construits par les sœurs (infirmerie de 1879, boulangerie de 1889, blanchisserie de 1897, oratoires antérieurs à 1867, vacherie et poulailler de 1886), privant ainsi le monastère de sa cohérence fonctionnelle. Il prévoit de construire à leur emplacement quatre bâtiments d’habitation sans qualité architecturale, exploitant au maximum les facultés densificatrices du PLU, dont trois bordant le jardin. Le projet a en particulier pour conséquence la destruction de cet espace singulier en fond de parcelle le long de la rue du Cherche-Midi qu’est la vacherie, sa chapelle et sa claustra.
Il détruira également, avec la vacherie, les pilastres cannelés en pierre de taille Louis XVI, contemporains de hôtel de Clermont-Tonnerre, dont l’entrée se faisait à l’origine par les jardins de la rue du Cherche-Midi (il s’agit ainsi de la dernière enceinte de ce type conservée dans la rue). La présence de trois contre-pilastres enduits, dont un isolé plus à l’ouest, permet d’imaginer l’existence de quatre pilastres symétriques (disposition bien visible sur le Cadastre de Paris par îlots (vers 1818). Leur réemploi dans les constructions projetées n’a pas même été envisagé...
Une venelle sera aménagée le long de la limite Est de la parcelle, suite à la démolition de constructions adjacentes à la chapelle, élevées avant 1867 et abritant aujourd’hui les sacristies intérieure et extérieure. Cette venelle permettra la traversée nord-sud de la parcelle ; le public pourra accéder au jardin soit par la rue de Vaugirard au sud, soit par la rue du Cherche-Midi au nord, en passant sous le porche créé dans le bâtiment nouveau construit à l’alignement de la rue. Mais ce jardin, privé des bâtiments lui conférant sa vocation agricole, et encadré de constructions massives d’une confondante banalité, aura perdu son charme singulier.
Côté rues de Vaugirard et du Cherche-Midi, les ouvertures trop larges des bâtiments projetés tranchent avec celles environnantes et rompent le rythme donné par ailleurs aux façades. L’hôtel de Chambon, édifié en 1805 rue du Cherche-Midi, aujourd’hui propriété de l’acteur Gérard Depardieu, serait écrasé par la masse de l’immeuble mitoyen à édifier, malgré son inscription au titre des monuments historiques en 1936 (voir ici).
Le projet prévoit également des modifications importantes dans les bâtiments conservés (percement de quatorze lucarnes aux dimensions imposantes, portes-fenêtres, terrassement…), ainsi que le remplacement de l’ensemble des menuiseries extérieures malgré leur grande qualité, certaines datant possiblement du XVIIIe siècle ou des années 1820.
Un PLU défaillant
4000 m2 du jardin sont aujourd’hui considérés par le Plan Local d’Urbanisme comme des Espaces verts protégés (voir ici, planche F09, et ici, annexe VII n°6-12), statut facilement réversible, contrairement à celui qu’offrirait une protection au titre des monuments historiques ou d’un "Site patrimonial remarquable" (voir ici).
La parcelle du monastère est simplement "signalée" dans le PLU "pour son intérêt patrimonial, culturel ou paysager" (voir ici et illustration ci-dessus), mais à titre de simple "information", sans appartenir pour autant aux bâtiments protégés par le PLU au titre de l’article L. 123-1 7° du code de l’urbanisme (voir ici).
Le PLU impose en outre, à l’emplacement de l’ancienne vacherie, des constructions dédiées à 100 % au logement social. Il limite simplement leur hauteur à 15 m rue du Cherche-Midi (soit 5 niveaux), hauteur portée, rue de Vaugirard, à 18 m (soit 6 niveaux). On mesure combien le PLU de Paris est rudimentaire dans une zone si sensible qui mériterait d’être précisément analysée et régie par un Site patrimonial remarquable (voir ici).
En conclusion
Dans l’état actuel du projet, celui-ci présente un impact réel sur le paysage des rues de Vaugirard et du Cherche-Midi qu’il banalise. Il s’agit en effet d’une opération visant à densifier au maximum l’occupation de la parcelle. Sous couvert de « restituer les bâtiments historiques du monastère dans leur configuration avant le siège de Paris de 1870 », un ensemble singulier témoignant de la vie d’un ordre cloîtré au XIXe siècle sera bel et bien détruit.
Étant donné la valeur patrimoniale et la rareté de cet ensemble monastique complet, l’association Sites & Monuments regrette qu’aucune protection au titre des monuments historiques n’ait été prise (pour les bâtiments comme pour le mobilier) et l’absence d’extension du Site patrimonial remarquable (SPR) de Paris à son 6e arrondissement (voir ici).
Il va de soi que la beauté de notre capitale, la proximité de la nature et le maintien d’une densité supportable bénéficie à chacun. La création de logement sociaux - pouvant être faite par préemption d’immeubles existants, bureaux ou anciens hôtels notamment - ne devrait pas s’y opposer.
Si l’on peut saluer l’ouverture d’une fraction du jardin au public, on pourrait également, dans un projet ambitieux, envisager son affectation complète au public, la réhabilitation du poulailler et de la vacherie et leur aménagement à des fins pédagogiques dans le cadre d’une mini-ferme. La nomination d’une "adjointe à l’agriculture" prendrait ainsi un peu de sens !
Dans ce contexte, Sites & Monuments appelle la ministre de la Culture à prendre une instance de classement d’un an permettant de négocier une solution avec l’évêché, les sœurs de la Visitation et les riverains, qui ont heureusement intenté différents recours contre ce projet destructeur[3].
Anne Kubler, délégué de Sites & Monuments pour les 5e et 6e arrondissements
Julien Lacaze, président de Sites & Monuments
[1] Le deuxième monastère, fondé en 1626, était situé rue Saint-Jacques, puis rue de Sèvres en 1800. En 1815, le monastère acquit l’ancien hôtel de Clermont-Tonnerre, situé au 110 rue de Vaugirard, avec l’argent obtenu par la vente du couvent de la rue de Sèvres. Les aménagements nécessaires furent financés par la duchesse douairière de Duras qui posa la première pierre de la chapelle le 8 octobre 1821.
[2] Maison Marguerite-Marie (voir ici). Dernière consultation le 5 février 2020.
[3] Sites & Monuments a formé un recours gracieux à l’encontre du projet.
Bibliographie :
Procès-verbal de la Commission du Vieux Paris du 21 novembre 2018
Archives de Paris : 1850W 16 ; 1941W 20 ; VO12 598.
Archives du diocèse de Paris : 4R17.
Dictionnaire des dates, des faits, des lieux et des hommes historiques, ou les tables de l’histoire, répertoire alphabétique de chronologie universelle. Publié par une Société de Savants et de Gens de Lettres, sous la direction de A.-L. d’Harmonville, tome 2, Paris, 1845, p. 598.
Pontal Édouard, Les congrégations religieuses en France : leurs œuvres et leurs services, Paris, Poussielgue frères, 1880, p. 418.
Société des études historiques, Revue des études historiques, Paris, A. Picard, 1920, p. 33.
Collectif, Dictionnaire des églises de Paris, éditions Hervas, Paris, 1995.
Récapitulatif des principales phases de construction du monastère