Cet imposant bâtiment de brique et pierre, est un fleuron du patrimoine industriel des Ardennes bien visible depuis l’écluse n° 1 du canal de Vouziers, un embranchement du canal des Ardennes. Aujourd’hui, la « voie verte Sud Ardennes », piste cyclable aménagée sur l’ancien chemin de halage le long des canaux du Sud Ardennes et de l’Aisne passe devant l’édifice.
Le canal de Vouziers est créé en 1836 ; cette nouvelle branche du canal des Ardennes permet une liaison à l’important port de Vouziers où une écluse clôt ce tronçon en rejoignant l’Aisne non navigable en amont.
Afin de constituer une prise d’eau suffisante pour le canal, un barrage à fermettes et aiguilles est bâti par l’État sur l’Aisne, au lieudit « La Plume ». Cette construction va permettre d’établir un moulin à proximité grâce à la force hydraulique disponible.
En 1855, Constant Joseph Payer (1818-1899) et son épouse Pauline Ambroisine quittent le moulin de Landèves à Ballay où ils étaient meuniers depuis 1841. Ils s’installent dans une ferme proche de Vouziers où ils construisent alors le moulin dit « de la Plume ». C’est un moulin à deux tournants et cinq paires de meules : trois écrasent du blé et d’autres céréales, deux des « coquins », roches riches en phosphate de chaux. Une partie des bâtiments « en pierre, bois et terre » est toujours visible en bordure de la rivière, sous le barrage.
Les époux Payer destinent ce moulin à leur fils unique Paul Eugène né le 18 août 1849. Malheureusement, l’héritier de la famille, mobilisé, est tué à la bataille de Saint-Quentin du 19 janvier 1871. Ses parents désespérés placent le moulin sous la protection de Saint Paul et rapidement l’appellation « moulin Saint-Paul » prévaut sur celle de « moulin de la Plume ». Constant Ernest Payer, effondré, délaisse ses affaires qui périclitent. Le couple Payer s’endette au point que deux créanciers obtiennent, in fine, la saisie et la vente de tous leurs biens en 1879.
Après plusieurs rebondissements, c’est Ernest Alphonse Hardy et son épouse Marie Aimée née Lacaille qui acquièrent le moulin et ses dépendances en 1880 et le modernisent. En 1884, des cylindres remplacent les meules initiales et écrasent journellement 350 quintaux de blé. Alphonse Hardy l’agrandit dans les années 1895 et le dote d’une roue motrice aux dimensions cyclopéennes : 6,5 m de diamètre, des auges larges de 3 m dont l’enveloppe en brique est bien visible sur le côté du moulin. Sur la façade ouest, il installe dans une niche, la monumentale statue de Saint Paul tenant un glaive rappelant son martyr et les grandes majuscules H et L.
Est-ce pour Hardy-Lacaille ou Hardy-Lebègue du nom de sa sœur Elisa Gabrielle avec qui il fonde en 1900 la société anonyme des moulins Hardy Lebègue ? On ne le sait mais le moulin Saint-Paul fait partie de ses apports personnels. En 1905, à la suite de nouveaux agrandissements et de modernisations, le moulin augmente encore sa production. Une machine à vapeur complète la force motrice hydraulique puis prévaut sur la force hydraulique. Les combats d’octobre 1918 infligent de gros dégâts au moulin. Son activité en pâtit. La société anonyme des moulins Hardy-Lebègue continue pourtant à prospérer et compte en plus de celui de Vouziers, neuf moulins rachetés successivement dans les Ardennes pour les uns et à Roubaix pour un autre.
Le 24 avril 1929, les bâtiments du moulin Saint-Paul sont vendus à la société des produits chimiques de Vouziers qui renonce à son utilisation comme moulin à farine. Après la seconde guerre mondiale, la minoterie perd sa fonction de fabrication pour devenir simple magasin de la Société des agriculteurs syndiqués des Ardennes fondée en 1920 puis seulement silo de la Coopérative Agricole Ardennaise qui deviendra la Coopérative Champagne-Céréales, et aujourd’hui Vivescia, son actuelle propriétaire.
Le bâtiment remarquable, ne serait-ce que par sa taille, ne peut sans doute être restauré mais une mise à l’abri des voleurs qui viennent régulièrement récupérer des métaux et la suppression de certains arbres et végétaux qui commencent à envahir le site seraient à entreprendre.
Mme Carpentier, architecte des bâtiments de France, cheffe de service de l’UDAP des Ardennes à Charleville-Mézières a écrit en mars 2023 : « Cet ensemble remarquable du XIXe siècle, répertorié à l’inventaire du patrimoine industriel de Champagne-Ardenne présente un grand intérêt architectural et paysager. Il est effectivement fort regrettable de le voir se dégrader ». Malheureusement, le moulin ne bénéficiant d’aucune protection au titre des monuments historiques, elle ne peut intervenir.
L’association locale Association de Sauvegarde du Patrimoine Vouzinois (ASPV)a écrit à Vivescia, groupe coopératif céréalier français qui a réalisé un chiffre d’affaires de 3,8 milliards d’euros en 2022, avec 10 000 agriculteurs-coopérateurs et 6 700 collaborateurs. Elle en attend un geste. À ce jour, aucune réponse n’est parvenue à l’association.
Michel Coistia, fondateur de l’ASPV
Christian Camuzeaux, délégué départemental Ardennes de Sites & Monuments