Le pavillon Carré de Baudouin, Monument historique et lieu culturel emblématique du 20ème arrondissement, sous défiguration imminente : stop au désastre annoncé !

La campagne à Paris

Connaissez-vous Paris ? Le pavillon Carré de Baudouin, rare maison de campagne du XVIIIe siècle du pourtour de la capitale à avoir été conservée jusqu’à nos jours, aurait pu aisément intégrer les fameuses chroniques à énigmes de Raymond Queneau, récemment rééditées. Longtemps nommé — à tort — pavillon Pompadour, l’histoire plutôt tumultueuse de cette maison « à la mode » contribue pleinement à enrichir la mémoire du XXe arrondissement, du temps des villages de Belleville et Ménilmontant, dont la situation en altitude offrait des vues panoramiques très prisées. Le philosophe Jean-Jacques Rousseau se plaisait à y herboriser au gré de ses promenades, et le quartier doit à son caractère pittoresque d’avoir obtenu la faveur de nombreux photographes et cinéastes.

Un spectaculaire panorama sur la capitale : "Avenue de Ménil Montant/près Paris)". Lithographie de Villain d’après un dessin de Jules Van Marcke, vers 1825. Coll. part.

C’est dans ce lieu aux charmes certains que Nicolas Carré de Baudouin, « intéressé dans les affaires du roi », décida d’établir en 1745 sa résidence de campagne. Au tournant des années 1770, il demanda à son neveu par alliance, l’architecte Pierre-Louis Moreau, Maître des bâtiments de la Ville de Paris, de dessiner l’élégant pavillon que nous connaissons. Sa façade principale, à péristyle ionique surmonté d’un fronton triangulaire, puise son inspiration dans les fameuses villas de Vénétie réalisées deux siècles plus tôt par Andrea Palladio. Devenu plus tard maison de vacances des Goncourt, Jules et Edmond ont évoqué dans leur journal leur paradis d’enfance, ce « lieu enchanteur »... qu’il est resté.

Inscrit Monument Historique dès 1928, étudié et réétudié au fil des découvertes d’archives, cité dans des ouvrages de référence sur l’architecture des Lumières, le pavillon Carré de Baudouin constitue ainsi l’un des joyaux d’un Paris encore un peu secret, qui a su, tout en s’adaptant parfaitement à de nouveaux usages, préserver une atmosphère de temps suspendu, si précieuse aux habitants des métropoles. Cette impression est renforcée par le fait que l’édifice a conservé une grande partie de son cadre végétal, aujourd’hui jardin public de la ville — un point essentiel à l’appréhension du site.

Sur un plan du quartier de 1778 on distingue nettement l’imposante propriété de Nicolas Carré de Beaudouin et son grand jardin attenant. Archives Nationales Z/1j1313/20. Photo. Denis Goguet.
L’élégante façade du pavillon Carré de Baudouin, au n°121 rue de Ménilmontant, date du dernier tiers du XVIIIe siècle. La référence à l’architecture palladienne reflète le goût de l’époque dans la construction des maisons de campagne, édifices qui devaient allier le prestige à l’agrément. Photo. ©Yann Revol.

« Le Carré » espace culturel du 20ème arrondissement : une réhabilitation exemplaire

Après avoir connu un certain nombre de propriétaires, le pavillon Carré de Baudouin servit un temps d’orphelinat, œuvre des sœurs de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, puis de centre médico-social et éducatif. La Ville de Paris acquiert le domaine en 2004 : une excellente initiative qui permit la reconversion du site en édifice culturel. Pour mettre en place ce nouveau programme, une réhabilitation complète de l’ensemble est nécessaire. Les architectes Stéphane Bigoni et Antoine Mortemard — à qui l’on doit également, entre autres réalisations récentes, la création en 2015 de la Médiathèque Françoise Sagan — qui remportent la consultation, se nourrissent de l’histoire du lieu afin de guider la conception du projet. La façade à péristyle est parfaitement restaurée, et le pavillon retrouve peu à peu, au fil d’un long chantier, l’aspect d’une maison de campagne de la fin du XVIIIe siècle, intimement liée à son jardin attenant.

La rénovation de la façade en 2007 a permis de retrouver la grande qualité de la modénature du XVIIIe siècle, dont les proportions obéissent au choix de l’ordre ionique. Photo. ©Yann Revol.

L’aménagement intérieur est conçu avec le même soin, à l’appui de fragments encore présents de décors d’origine. Encadrements de porte aux moulures puissantes, éclairage tamisé, palette de coloris choisie à partir de tons de boiserie utilisés au XVIIIe siècle : l’ambiance créée dans ces espaces fait le lien entre l’ancien et le contemporain de manière particulièrement subtile. Publiée dans des revues d’architecture de référence, cette réhabilitation est à la fois d’une très grande qualité esthétique et porteuse de sens : le succès obtenu auprès du public l’a prouvé. Les habitants du XXe et les nombreux autres visiteurs se souviennent particulièrement des longues files d’attente de l’exposition consacrée en 2018 au photographe Willy Ronis.

Les espaces muséographiques ouverts en 2007, conception de l’agence Bigoni-Mortemard : une palette de tons inspirés des boiseries du XVIIIe siècle et des lustres contemporains offrant différents éclairages adaptables à chaque exposition. Une atmosphère particulièrement raffinée, qui a conquis les visiteurs. Photo. ©Yann Revol.
Conçu avec autant de soin malgré les fortes contraintes techniques, l’auditorium se caractérise par une teinte plus chaude qui évoque l’ambiance douce et feutrée des théâtres du XVIIIe siècle. Photo. ©Yann Revol.

Projet en cours : mise aux normes et enlaidissement tout compris

Bien mal nommé « Embellissement du pavillon Carré de Baudouin », le projet de la nouvelle équipe d’architectes choisie pour effectuer des travaux de rénovation a malheureusement tout d’un enlaidissement, où la banalisation du lieu semble tristement servir de fil conducteur. S’il est vrai que l’édifice nécessite, après quinze ans d’usage intensif, une série de mise aux normes techniques et quelques travaux de ravalement et restauration, le projet actuel s’affiche sans scrupules, n’hésitant ni à percer de nouvelles ouvertures la façade à péristyle du XVIIIe siècle, ni à dépersonnaliser de manière radicale les espaces muséographiques qui accueillent le public.

En voici quelques points, parmi les plus saillants :

  • Remplacement d’une partie du mur d’enclos (rue de Ménilmontant) par une grille pour rendre la façade principale plus visible : cette décision est une aberration, car la qualité de l’espace à l’intérieur de la parcelle dépend justement de l’existence d’un mur d’enclos. Lorsque l’on accède au pavillon, on entre dans un lieu intime, loin des nuisances de la rue. C’est cette première étape, fondamentale, qui permet d’apprécier l’édifice dans toute sa plénitude. Elle illustre parfaitement le concept de promenade architecturale, si cher à Le Corbusier, qui a puisé cette idée dans son expérience pratique des bâtiments anciens, et notamment ceux du XVIIIe siècle. L’image 3D réalisée pour matérialiser ce point (voir ci-dessous) est particulièrement éloquente : non, cette grille ne rendra pas plus visible la façade à colonnade ionique, et de toute façon ce n’est pas souhaitable.

    Avant-après : le projet de grille rue de Ménilmontant remplaçant une partie du mur d’enclos, qui protège des nuisances de la rue. Pièces graphiques JAGG architectes.

    Photomontage depuis la rue de Ménilmontant (JAGG architectes) : la nouvelle grille, fortement nuisible à la qualité de l’espace intérieur, ne permet évidemment pas de percevoir la façade à péristyle, selon le but souhaité - et non souhaitable.
  • Installation d’une grille séparant le pavillon du jardin et création d’un parvis minéral : quoi de mieux en effet pour gommer définitivement l’histoire et les qualités spatiales et paysagères du site ? Là encore, les images parlent d’elles-mêmes. D’un côté, l’agrément de l’espace actuel ; de l’autre : minéralisation, grille métallique, lampadaires de rue...rien ne manque pour faire disparaître les qualités d’un lieu rare, qui accueille visiteurs et habitants pour des moments d’échange et de culture partagée. Pour éviter de faire les choses à moitié, une déclaration de travaux sur le domaine public (DP 075 120 21 V0104) intitulée ‘Coupe et abattage d’arbres d’alignement / 119 rue de Ménilmontant 75020’ a été autorisée le 24/4/2021 : doit-on craindre également de voir certains des plus beaux arbres disparaître du jardin ?
    Le plan de situation illustre parfaitement la minéralisation et la dislocation du site (pièce graphique JAGG architectes) : pavillon et jardin sont brutalement disjoints et ne semblent plus appartenir à la même entité.
    La photographie qui illustre la page d’information sur le pavillon Carré de Baudouin sur le site internet de la mairie du XXe révèle en revanche admirablement le lien étroit entre la façade palladienne et le jardin où il fait bon discuter : si les travaux prévus sont réalisés, elle sera tout à fait obsolète !
    Photomontage depuis le parvis - sic ! - (JAGG architectes) : le changement d’ambiance est si brutal que l’on n’a plus l’impression qu’il s’agit du même lieu. De la grille métallique au lampadaire urbain, tout est là pour éradiquer le lien, fondamental hier comme aujourd’hui, entre le pavillon et son jardin.
  • Agrandissement des ouvertures (portes d’accès) en retour du péristyle : l’idée est aussi incongrue que violente, amenant une dégradation brutale de l’équilibre de la façade. Dans ce type de villa, chez Palladio comme chez les architectes des Lumières, les ouvertures d’accès de côté sont toujours plus réduites que celles de la façade principale. Redonner à l’une de ces portes latérales le rôle d’entrée dans le pavillon, comme l’avaient conçu les architectes Stéphane Bigoni et Antoine Mortemard, est une très bonne chose, mais il n’est nullement besoin d’agrandir les ouvertures pour cet usage. Les coupes sont encore une fois cruellement révélatrices : les disproportions du projet sont criardes et altèrent violemment l’élégante modénature de la façade du XVIIIe siècle...sans évoquer les problèmes de structure engendrés. L’une de ces nouvelles portes est de plus conçue pour être toujours fermée : peut-on sérieusement valider ces travaux, aussi néfastes que dispendieux ?

Si le fait de redonner l’accès au pavillon par l’une des portes latérales du péristyle est une bonne idée, leur agrandissement constitue une erreur particulièrement choquante, qui altère violemment les proportions de la façade du XVIIIe siècle et sa structure.

Le photomontage avant/après (JAGG architectes) est si éloquent que l’on peut légitimement se demander si le dossier a été étudié par les instances de la DRAC en charge de la protection des Monuments historiques.
  • Rénovation des espaces ouverts au public (accueil, salles d’exposition, auditorium) : encore une fois, les choix établis regorgent de contre-sens et ne semblent obéir qu’à la volonté d’effacer les qualités et l’originalité des espaces existants. Pourquoi en effet une telle banalisation de ces espaces alors qu’ils ont une forte personnalité aujourd’hui ? Pourquoi anéantir l’identité du pavillon et sa palette subtile de coloris, inspirée des tons utilisés au XVIIIe siècle, en le badigeonnant d’un blanc glacial de haut en bas, y compris les éléments de second œuvre ? Que dire du sol en plastique Gerflor imitation parquet ? Est-ce possible d’envisager des matériaux aussi médiocres et peu durables dans un édifice de cette qualité ? Comment expliquer la suppression des lustres à lamelles dont la luminosité est contrôlée par un variateur, et donc parfaitement adaptable à chaque situation ? Des rails en pourtour permettent par ailleurs d’installer autant de projecteurs que souhaité, selon les types d’exposition. Encore une fois, comment justifier ces dépenses ? Pourquoi tant d’incongruité ?
    Blanc glacial all-over, sol en plastique imitation parquet, suppression des tons subtils et des lustres contemporains : la banalisation des espaces d’exposition ne permet plus de reconnaître le pavillon Carré de Baudouin, dont l’identité disparaît (photomontage JAGG architectes).
    L’accueil du pavillon (photomontage JAGG architectes) : une ambiance identique, complètement dépersonnalisée. Notons que le plafond se veut une récupération des dispositifs des salles existantes...mais encore une fois sans justification. Ce qui permet aujourd’hui d’évoquer la douceur des éclairages anciens avec des lustres contemporains perd tout son sens dans la restauration proposée.
    Photomontage de l’auditorium (JAGG architectes). La référence donnée pour le choix du sol en liège et la couleur rouge des fauteuils est celle du Collège Mayor Colombiano de Madrid : quel rapport avec le pavillon Carré de Baudouin ?

Budget participatif : en silence surtout

Ironie du sort, le projet de rénovation actuel du pavillon Carré de Baudouin est issu d’une proposition adoptée du budget participatif. Sur l’initiative de Quentin Pasbeau, le projet a remporté les suffrages... car le pavillon connait de nombreux adeptes parmi les habitants du XXe arrondissement. Dans l’idée des initiateurs du projet il ne s’agissait nullement de transformer l’édifice, mais de le restaurer respectueusement après une quinzaine d’années d’intenses activités.

Pourquoi dès lors un silence complet sur le contenu du projet ? Pourquoi tant de discrétion ? Dans le cadre d’un projet public, pour une enveloppe conséquente de 500 000 €, il semble légitime que les citoyens soient au courant : les mettre devant le fait accompli risque fort d’augurer une très mauvaise surprise. Certes, les conditions sanitaires récentes n’ont pas toujours été propices à des réunions à grande échelle, mais pourquoi une volonté manifeste de ne rien dévoiler, de ne pas ouvrir le dialogue ? Pourquoi ne pas publier les photomontages des nouvelles ambiances projetées ? Le site internet du pavillon mentionne seulement le fait que l’édifice sera « entièrement rénové » et qu’il « offrira dès 2022 un nouvel écrin aux arts visuels ». Le terme est cruellement choisi : une fois les travaux réalisés, la notion d’écrin, architectural ou paysager, ne sera plus qu’une vue de l’esprit...

Sauvons ce lieu magique du désastre annoncé !

Certainement réalisé dans l’urgence et sans réflexion approfondie, le projet actuel de rénovation du pavillon Carré de Baudouin montre une prise en compte insuffisante des qualités du lieu, comme de son contexte historique et paysager. Si la réhabilitation de 2007 avait au contraire offert à cet édifice malmené par le temps une identité retrouvée, puisée dans sa longue histoire, le projet actuel parait totalement décontextualisé. Les travaux sont imminents...mais mieux vaut tard que jamais ! Dans l’intérêt de tous comme de ce très bel édifice, il est encore temps d’amender le projet pour que le résultat conduise à améliorer l’existant, et non le contraire. Soulignons qu’une rénovation plus respectueuse serait aussi beaucoup moins coûteuse...l’argent public est précieux, ne le gaspillons pas pour défigurer ce qui fait notre patrimoine commun. Par ailleurs, il s’agit d’un édifice inscrit aux Monuments Historiques : les avis de l’Architecte des Bâtiments de France comme celui de la Conservatrice des Monuments historiques en charge du XXe arrondissement ne semblent pas encore avoir été transmis, alors que le dossier de consultation aux entreprises a été lancé en toute discrétion pendant l’été.

Nous sommes très nombreux à aimer le pavillon Carré de Baudouin, tel qu’il a été et tel qu’il est devenu : ne laissons pas se réaliser sous nos yeux des travaux aussi nuisibles, qui altéreront irrémédiablement les qualités et les spécificités de ce lieu de culture hors normes, qui mérite toute notre attention.

Sophie Descat, historienne de l’architecture, maître de conférences à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La Villette et déléguée de Sites & Monuments.
Denis Goguet, historien de Paris et conférencier.

Pour en savoir plus :
Maxime Braquet « Le Site Carré-de-Beaudouin, trois cents ans d’histoire d’un lieu inspiré de Ménilmontant », Bulletin de l’Association d’Histoire et d’Archéologie du 20ème arrondissement de Paris, n°35 (3ème trimestre 2006).

Sophie Descat, « Le pavillon Carré de Baudouin », dans Le XXe arrondissement. La montagne à Paris, textes réunis par François Gasnault et Jean-Philippe Dumas, Paris, Action Artistique de la Ville de Paris, 1999, p.38-42.

Denis Goguet, « De la rue Plâtrière à la Haute Borne, sur les pas de Rousseau l’avant-dernier jeudi du mois d’octobre 1776 », dans L’accident de Ménilmontant, sous la direction d’Anouchka Vasak, Paris, Classiques Garnier, 2015, p.23-40.

Denis Goguet : Conférence à l’auditorium du Pavillon du Carré de Beaudouin le 20 mars 2021.

Claire Ollagnier, Petites maisons, du refuge libertin au pavillon d’habitation en Ile-de-France au siècle des Lumières, Bruxelles, Mardaga, 2016.

« Culture sur butte : le pavillon Carré de Baudouin, Paris 20e », Techniques et architecture, n°492, novembre 2007, p.103-105.

« Intérieurs 2008 : centre culturel, décloisonnement et majoration des surfaces d’exposition », AMC, décembre 2007, p.98-100.

Agence Bigoni-Mortemard

Site de la Mairie du 20ème : Présentation du pavillon.

Le Pavillon Carré de Beaudouin