Le projet de la nouvelle Samaritaine attaqué par la SPPEF

Ill. 1. La rue de Rivoli après réalisation du projet (on note la covisibilité du bâtiment avec le Louvre). Infographie : agence Sanaa.

L’ancienne Samaritaine, acquise par le groupe de luxe LVMH en 2001, est fermée depuis 2005. Elle fait l’objet, depuis trois ans, d’un vaste projet de rénovation et de modernisation des deux îlots de l’ancien grand magasin, situé entre la Seine et la rue de Rivoli, pour un investissement de 460 millions d’euros. Deux permis de construire, un par îlot, ont été déposés en juillet 2011 et délivrés par la Mairie de Paris le 17 décembre 2012.

Malgré l’avis favorable de la Ville, qui ne cache pas son soutien au projet depuis le début, et celui du service territorial de l’architecture et du patrimoine de Paris (STAP), que dirige Jean-Marc Blanchecotte, la SPPEF a décidé de déférer à la censure du Tribunal administratif ces deux actes le 15 février 2013. Elle est associée dans ce combat à SOS Paris et à deux riverains, tandis que l’association Ensemble rue Baillet a déposé de son côté un recours gracieux.

Ces trois recours contre le permis font suite à un précédent : l’association Accomplir, SOS Paris et Ensemble rue Baillet ont en effet déjà attaqué la révision simplifiée du PLU de Paris, votée en juillet 2010 par le Conseil municipal afin de permettre les travaux de la Samaritaine, notamment une surélévation de 7 mètres sur la rue de Rivoli ! Ce premier recours n’a pas encore été jugé : il devrait l’être courant 2013. Face aux menaces et à l’urgence, il était donc important d’agir dès maintenant.

Ill. 4. Vue aérienne de l’immeuble projeté rue de Rivoli (à gauche) avec ses toitures « végétalisées » tranchant sur le zinc parisien. Infographie : agence Sanaa.

Un projet dénaturant pour le centre de Paris

Si la SPPEF pouvait se réjouir, comme les élus, les habitants et les commerçants du quartier, de voir la Samaritaine rouvrir ses portes, le projet finalement approuvé par la Mairie et les services de l’Etat porte une telle atteinte au patrimoine parisien qu’il a paru nécessaire de le combattre vigoureusement.

Dans le cadre de la rénovation de l’îlot sud, dit « Sauvage » (du nom de l’architecte de la fameuse façade Art déco qui donne sur la Seine), LVMH a souhaité implanter un hôtel 5 étoiles, « Cheval Blanc », et un grand magasin. Protégée au titre des Monuments historiques, cette partie composée de bâtiments de Frantz Jourdain et d’Henri Sauvage, créés pour la Samaritaine, sera restaurée sous le contrôle de J.-Fr. Lagneau, ancien architecte en chef des Monuments historiques. Ce permis comporte plusieurs vices de forme et a été attaqué en conséquence.

Ill. 6. Mauvaise intégration du nouveau batiment aux façades historiques conservées. Infographie : agence Sanaa.

Le second permis porte sur l’îlot situé au nord et que délimitent les rues de Rivoli, de l’Arbre-Sec, de la Monnaie et Baillet. De ce côté, en revanche, les magasins de l’ancienne Samaritaine s’étaient développés de manière chaotique dans un ensemble de maisons des XVIIe et XVIIIe siècle, ainsi que dans quatre immeubles pré-haussmanniens qui s’alignent sur la rue de Rivoli. LVMH a confié en 2011 la réalisation d’un magasin neuf de ce côté à l’agence d’architecture Sanaa, qui vient de signer le bâtiment du Louvre-Lens. Ici, changement de discours : pas de restauration, mais une démolition de tout l’îlot, à l’exception de six maisons anciennes rue de l’Arbre-Sec (Illustration 4 et 5), destinées à devenir des logements sociaux (95 en tout), et de trois maisons rue Baillet, qui n’appartiennent pas au groupe de luxe. Le projet prévoit ainsi d’abattre (LVMH parle de « destruction-construction  ») les quatre immeubles construits sur la rue de Rivoli en 1852 (Illustration 6), une maison de 1725 de belle qualité sur la rue de la Monnaie, une autre fin XVIIIe, enfin un corps de logis de la fin du XVIIe siècle en cœur d’îlot ! Seule la Commission municipale du Vieux Paris a courageusement dénoncé, dans deux séances, cette grave atteinte au patrimoine parisien, hélas sans résultat.

Ill. 4. Immeubles de la rue de Rivoli avant le projet. En gris : bâtiments à démolir. Plan : François Brugel.
Ill. 5. Immeubles de la rue de Rivoli après le projet. En rose : bâtiments à construire. Plan : François Brugel.

Un geste « résolument contemporain »

Ces destructions incroyables (voir la vidéo présentant ce qui sera démoli) sont motivées par le désir de bâtir à la place un grand bloc blanchâtre habillé d’une façade de verre ondulée et sérigraphiée qui ouvre sur la rue de Rivoli et en casse toutes les lignes – un «  geste résolument contemporain  » (Illustration 1), qui tient lieu de discours sur la modernité et l’avenir radieux, malgré le côté éculé de l’argument.

La SPPEF, qui défend l’architecture moderne de qualité (voir nos combats à Fontainebleau et à Rueil-Malmaison), considère que ce projet est au contraire banal et surtout que sa volumétrie le rend inopportun à cet endroit. Rappelons que le quartier est dans le site inscrit de Paris (loi de 1930) et qu’il est aux abords et en co-visibilité de nombreux monuments historiques (loi de 1913), le plus important, curieusement omis par l’architecte des Bâtiments de France dans son avis, étant le palais du Louvre... S’il ne comporte pas d’édifices protégés en soi, cet îlot est bien un élément patrimonial évident du centre de Paris. Le raser aux trois quarts (Illustration 4 et 5) constitue donc une sérieuse atteinte au site, d’une gravité dont le quartier n’a pas connu d’équivalent depuis les travaux traumatisants de G. Pompidou.

Surtout, cette irruption d’une façade moderne dans l’alignement de la rue de Rivoli vient contredire la politique de la Mairie de Paris et des services de l’Etat depuis trente ans. En effet, devant la multiplication des démolitions demandées sur les grands axes, leur politique a été de sauvegarder autant que possible ces alignements (ce que recommande le SDRIF). Trop souvent, cela a abouti à une solution détestable mais très efficace : le façadisme. Si la SPPEF défend le patrimoine comme un tout et considère que détruire un édifice pour ne garder que sa façade est un leurre, elle ne peut pas ignorer non plus que tous les sacrifices consentis depuis ces dernières décennies ont préservé le visage de la capitale. Au nom de quoi, aujourd’hui, autorisait-on le groupe de luxe LVMH à s’affranchir de ce qui a été demandé à tout le monde (Illustration 2 et 3) ? S’agirait-il d’un « projet privé d’intérêt public », nécessaire à la capitale, comme le prétend le dossier de presse de LVMH ? Nullement, mais bien d’un vaste centre commercial d’un groupe privé.

Ill. 6. Îlot pré-haussmanniens(1852) voué à la démolition rue de Rivoli. État en septembre 2013. Photo : Florence Roux-Courtois / SPPEF

Malgré une habile communication, et la création sur le site d’une « maison du projet » (83, rue de Rivoli), avec force images et textes historiques, LVMH ne peut dissimuler le vrai visage de son projet, destructeur pour le vieux Paris, dans un des plus vieux quartiers de la capitale, né au Haut Moyen-Age autour de l’église de Saint-Germain l’Auxerrois. On se souvient que juste en face, il y a quatre ans, on a mis au jour les restes de la première enceinte de la rive droite, qui remonte aux XIe-XIIe siècles. Dans un site aussi fragile, gageons que la politique du bulldozer n’a pas sa place.

La SPPEF demande donc que ce permis soit annulé et le projet de LVMH revu pour préserver un îlot caractéristique du vieux Paris, dont la rénovation est possible, sans façadisme ni faux-semblant.

Alexandre Gady, président de la SPPEF


1 Le fait que M. Christophe Girard soit à la fois directeur du développement chez LVMH et maire du IVe arrondissement, ancien adjoint au maire chargé de la Culture de 2001 à juillet 2012 dans l’équipe de M. Delanoë, constitue à l’évidence une source d’interrogation pour les citoyens.