Maison de Pierre Loti à Hendaye et passerelle littorale : une mobilisation fidèle aux combats de l’auteur pour les paysages

Vue sur maison blanche de Pierre Loti et la villa Mauresque à Hendaye (toutes deux ISMH) depuis la Bidassoa

Comme j’aurais souhaité ne pas avoir à écrire ce billet d’humeur… Hélas, les travaux de la passerelle devant s’ancrer au pied de la maison de Pierre Loti (voir sur le site de la DRAC) et de la villa Mauresque, toutes deux inscrites au titre des monuments historiques (voir ici et ici) à Hendaye poursuivent leur avancée inexorable.

Maison Pierre Loti à Hendaye (Bakharetchea), la tourelle centrale (ISMH) vue de la tour nord. Photo Gil Guerin - CRMH Aquitaine
Maison Pierre Loti à Hendaye (Bakharetchea), au devant de la tour nord (ISMH), porte d’accès pour les barques

Notre association suit ce dossier depuis près d’une année. Une motion dénonçant les ravages causés par ce projet sur la maison de Pierre Loti a été adoptée à l’unanimité par les adhérents, présents et représentés, lors de notre assemblée générale du 10 mars 2020. Il appartient en effet à notre association, ainsi que l’indique l’article 5 de nos statuts, « de participer à la sauvegarde des lieux associés à la mémoire de Pierre Loti ». Alors que nous avons toujours soutenu les actions en faveur du rayonnement et de la rénovation de sa maison natale à Rochefort, comment laisser sans défense Bakharetchea, refuge choisi par Pierre Loti, lieu de son dernier soupir.

Plan de la passerelle projetée devant la maison Pierre Loti à Hendaye (Bakharetchea)

La protection de l’environnement et des constructions dignes d’intérêt a toujours figuré parmi les préoccupations de notre écrivain.

Ainsi, il a été associé très tôt à l’application de la loi du 21 avril 1906 sur la protection des monuments naturels et des sites, loi votée sur un proposition du 2e président de la Société pour la protection des paysages de France (SPPF[1]), le député Charles Beauquier. Cette loi, plus connue sous l’appellation de loi du 2 mai 1930 (ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque) qui lui a donné sa forme définitive, est à l’origine d’une grande partie du droit de la protection de l’environnement.

Intérieur de la maison de Pierre Loti à Hendaye (Bakharetchea) le 26 septembre 1897
Tourelle de la maison de Pierre Loti à Hendaye (Bakharetchea) avec son propriétaire

C’est ainsi qu’il a été nommé dès octobre 1906 membre de la commission départementale constituée en application de cette loi, à titre de notabilité pour le département de la Charente‑Inférieure (M. Mouliérat, le grand restaurateur du château de Castelnau‑Bretenoux est également une des personnes siégeant comme « notabilité » dans le département du Lot).

Simulation de passerelle devant la maison de Pierre Loti à Hendaye à marée basse

Le Bulletin d’avril 1908 de la Société pour la protection des paysages de France, reproduit, sous le titre « les méfaits du tourisme », un article de Pierre Loti publié par Le Figaro du 30 mars de la même année :

« Pauvre pays basque, si longtemps intact, comme une sorte de petite Arabie, défendu qu’il était par sa fidélité aux traditions ancestrales et par son langage qui ne peut s’apprendre, le voici donc qui s’en va tout d’un coup ! Depuis très peu de saisons, le tourisme, qui semblait l’ignorer, l’a enfin découvert. Des milliers d’oisifs, des snobs accourus des quatre vents de l’Europe, s’y déversent en troupeau chaque année : alors, pour les accueillir et les rançonner, on multiplie les bâtisses à façade tapageuse, les casinos, les voies ferrées et les fils électriques. D’invraisemblables articles de mode arrivent à pleins wagons pour coiffer les jolies Basquaises de la campagne.

Bientôt, plus un village qui ne soit défiguré comme à plaisir : pas une chaumière qui ne soit honteusement maculée par les écriteaux de l’« Oxygénée verte » ou de l’« Amer Picon ».

Rien à faire contre tout cela, je le sais bien. Mais voici un projet néfaste, en ce moment à l’étude, que je dénonce à la Société protectrice des paysages français. Entre Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, subsiste encore par miracle une étendue de côte magnifiquement déserte, des falaises restées fières et sauvages.

Eh bien, on veut, tranchants les rochers, nivelant les sables, y faire passer une ligne de tramway, pour l’amusement des snobs en voyage. Il y en a déjà tant et tant, de lignes ferrées, à l’usage de ces gens-là, et tant de plages travesties suivant leur goût ! Ne pourrait-on un peu aussi songer aux vrais artistes, et leur réserver un lieu de paix le long de la mer ? Vraiment, il est des sites qu’il faudrait respecter et qui devraient devenir intangible propriété nationale, comme nos monuments ou les objets d’art de nos musées  » (lire dans le Bulletin de la SPPF et dans Le Figaro). 

Ce même bulletin indique que les autorisations obtenues pour ce projet sont apparues périmées et que le danger signalé, « pour le moment du moins, parait écarté ».

Simulation de passerelle devant la maison de Pierre Loti et la villa Mauresque à Hendaye à marée haute

Près d’un an plus tard, Pierre Loti écrira une belle lettre à la SPPF afin de lancer un appel destiné à sauver le parc et le château de La Roche Courbon, sur le point d’être vendu à des fabricants de papier « qui vont raser la forêt ! ». Grâce à son intervention, cette propriété sera sauvée.

Dans son livre Le château de la Belle-au-Bois-Dormant, paru en 1910, Pierre Loti a rassemblé divers textes. Son article paru dans le Figaro du 30 mars 1908, concernant le projet de tramway au pays basque, y est reproduit dans un chapitre intitulé « L’agonie de l’Euskalerria », en ajoutant ce dernier paragraphe de fin :

« Dans l’avenir, aux yeux de nos descendants plus affinés, ils seront de grands malfaiteurs, ces hommes qui, pour amasser de l’or, détruisent si aveuglément, dans nos horizons de France, les dernières réserves de calme et de beauté.  »

Que pouvons nous ajouter ?

Villa mauresque et jardins de la maison Pierre Loti à Hendaye avec cheminement possible à marrée basse

Renouant des liens historiques, l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti a décidé avec l’association Sites & Monuments, héritière de la SPPF, d’intervenir en justice au soutien de la contestation de cette passerelle enlaidissant un lieu de mémoire littéraire, deux monuments historiques comme le littoral basque. Les référés ayant échoué, son retrait rapide est désormais notre objectif commun.

Marie-Ange Gerbal, Présidente de l’Association Internationale des Amis de Pierre Loti (AIAPL)

[1] Devenue désormais Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France (SPPEF - Sites & Monuments)

Consulter le dossier de demande de permis d’aménager