Édifice majeur de Nancy et de la Lorraine, l’église du Noviciat des Jésuites hier oubliée est aujourd’hui définitivement menacée.
Au début du XVIIe siècle, Charles III, qui vient de créer la Ville Neuve, souhaite attirer dans sa capitale les Jésuites, afin de bénéficier de leur œuvre éducative. Ils ont fondé en 1572, avec son appui et son mécénat, l’université de Pont-à-Mousson, clef de voûte de la résistance catholique face à l’avancée du protestantisme.
Les Jésuites auront à Nancy deux établissements : un collège au Point Central, aujourd’hui totalement disparu, et leur noviciat, près de la Porte Saint-Nicolas. Ce dernier, initialement installé à Saint-Nicolas-de-Port, est transféré en 1602 dans la maison de plaisance qu’Antoine de Lenoncourt, futur Primat de Lorraine, met à disposition près de la Porte nouvellement construite.
Les Pères se préoccupent en même temps d’édifier une chapelle, à laquelle ils décident de donner les dimensions d’une église ouverte au public. Elle sera construite de 1602 à 1605. Cantonnée de deux hautes baies géminées, sa façade qui porte le monogramme rayonnant de la Compagnie de Jésus, IHS, interpelle aujourd’hui encore le passant. L’édifice dédié à l’Annonciation de Notre-Dame de Grâce présentait un plan basilical en forme de croix latine à chevet plat. Les hautes murailles de la nef reposaient de part et d’autre sur cinq arcs en plein cintre ouvrant vers des chapelles.
Une grande place fut laissée au décor peint, les bâtisseurs voulant faire du sanctuaire un lieu d’instruction des fidèles. Ainsi les lambris du plafond déroulaient une sorte d’encyclopédie religieuse sur les mystères de la Vierge.
L’église bénéficia de la faveur déclarée de la famille ducale, notamment du duc Charles III, qui lui portait un attachement particulier et fit des dons importants. Des représentants des grandes familles aristocratiques, des membres de la Maison de Lorraine, comme la propre sœur du duc, la duchesse de Brunswick, voulurent y avoir des chapelles et y ériger leurs tombeaux. La principale d’entre elles reçut, dans des coffrets, les cœurs du cardinal de Lorraine, fils de Charles III, et des ducs Charles III, Charles V et Léopold, si bien que l’église était considérée, aux XVIIe et XVIIIe siècles, comme une seconde chapelle ducale. De grandioses pompes funèbres s’y déroulèrent, comme lors du retour des cendres de Charles V ou à la mort du Grand Dauphin de France en 1766.
On a peine à imaginer aujourd’hui l’intense rayonnement qu’eurent en Lorraine, en France et même en Europe, le Noviciat et son église, de par les évènements qui y prirent place, comme les séances d’exorcisme d’Elisabeth de Ranfaing, « l’énergumène de Nancy », de par aussi les figures célèbres des Jésuites qui s’y formèrent ou y accomplirent leur apostolat, tel le Père Bourdaloue, « prédicateur des rois », ou le Père Jacques Marquette, découvreur du Mississipi en 1673.
Gloire et déclin
Cet éclat prit fin, en 1766, à la mort du roi Stanislas Lezczinski qui, pendant tout son règne, avait protégé la Compagnie de Jésus et fait construire pour elle les Missions Royales. Bannis de France, les religieux le furent de la Lorraine désormais annexée au royaume et tous leurs biens furent saisis. Au cours de ces quelques années dramatiques, de profonds changements affectèrent le lieu. L’église devient paroissiale. Respectée à la Révolution, elle sert au XIXe siècle de chapelle à l’hospice Saint-Stanislas, héritier de l’Hôpital des Enfants Trouvés, que Louis XVI fonde en 1774, reprenant un projet du roi de Pologne. Ce n’est ensuite, aux XIXe et XXe siècles, qu’une longue suite de dégradations. L’édifice, qui n’est plus entretenu et dont le toit s’effondre en 1869, n’a plus qu’un usage utilitaire (remise, buanderie, etc.).
Aujourd’hui à demi ruinée, l’église conserve cependant suffisamment de vestiges importants (la majeure partie des murs extérieurs et des arcades de la nef, les baies, ainsi que plusieurs chapelles), pour que son identité redevienne à nouveau parfaitement reconnaissable. Des investigations archéologiques partielles ont récemment révélé plusieurs décors peints, dont une figure d’ange sur l’intrados d’une arcade.
Vers une altération définitive ou une résurrection
Depuis plusieurs années, l’avenir du Noviciat et de son église, mis en vente par le Centre Hospitalier Régional, préoccupait Françoise Hervé, adjointe au patrimoine en mars 2014. Avec une poignée de bénévoles Nancéiens, elle a pu obtenir un secteur sauvegardé de 150 hectares et est intervenue auprès d’André Rossinot pour que l’église soit isolée afin d’y aménager un équipement culturel dévolu au patrimoine.
L’ensemble immobilier est cependant vendu à France Pierre Patrimoine. Françoise Hervé, obtient du promoteur qu’il rénove le Noviciat et offre l’église à la Ville pour l’euro symbolique. Le Maire, Laurent Hénart, refuse la proposition.
Tandis que l’association « Mémoire de la Ville de Charles III » est créée pour recevoir le bien, de manière inattendue, un permis de construire est instruit et délivré le 21 décembre 2018, autorisant la construction dans la nef et les bas-côtés de deux immeubles de 19 logements !
Le Tribunal Administratif annule ce permis pour violation du plan de sauvegarde et de mise en valeur le 26 décembre 2019. La ville et le promoteur forment appel (l’instance est toujours en cours) et la ville, profitant de la révision du secteur sauvegardé, gomme la protection dont bénéficiait l’église ! L’instruction d’un nouveau permis, sur les mêmes bases, est ouverte.
La nouvelle municipalité, issue des élections du printemps 2020, se voit donc, à son corps défendant, dépositaire d’un cadeau empoisonné. L’association Mémoire de la Ville de Charles III plaide pour qu’elle se libère de cet héritage inacceptable et qu’elle négocie avec France Pierre Patrimoine la cession de l’église pour l’euro symbolique, selon l’offre initiale du promoteur. Il pourrait alors être ultérieurement aménagé dans l’édifice un double équipement à finalité culturelle et économique, dont Nancy manque cruellement : une Maison du secteur sauvegardé pour l’animation patrimoniale de ce dernier et le conseil aux habitants, ainsi qu’un Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine, indispensable à la labellisation de Nancy comme « Ville d’art et d’histoire ».
Ainsi renaîtrait, d’une vie nouvelle, un fleuron oublié de Nancy et de la Lorraine, à deux pas de la Porte Saint-Nicolas restaurée, dans une Ville de Charles III qui, après avoir échappé à la démolition, attend désespérément sa revitalisation.
Signez et partagez la pétition
Association Mémoire de la Ville de Charles III
Contact mail : francoise.herve54@orange.fr