Renouant avec la tradition inaugurée par son Bulletin, publié à partir de 1902, Sites & Monuments a le plaisir de publier le poème de l’une de ses adhérentes relatif à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Tout y est parfaitement dit !
1. Elle était là, la cathédrale,
massive et fragile,
sereine sur la Seine,
sur l’île et sur la ville.
Elle était là, la cathédrale,
puissante et rayonnante,
éternelle dentelle
de pierres,
de pleins et de vides,
d’ogives déliées,
de rosaces,
et de radieuses
audaces de style.
Elle veillait tranquille
sur le parvis de la ville,
reliant, impassible,
les deux rives
du fleuve amical
qui l’accompagne,
inlassable,
du Pont au double
au Pont au change,
sous les lumières changeantes,
des cieux d’Ile de France.
2. De Saint Louis à Péguy,
elle a coché toutes les cases
de l’histoire du pays,
ses titres de noblesse,
comme ses tragédies.
Elle a vécu les guerres,
les frondes révolutionnaires,
le monarque et la Commune,
les rois, les empereurs,
la République comme
le sacre de l’Empire.
Elle a vibré avec Charles,
seul debout dans la nef
de Paris bientôt en liesse.
Elle était aimée des artistes,
des peintres et des poètes,
des plus illustres
au plus modeste chevalet.
Hugo le légendaire,
Nerval, Verlaine et Flaubert,
Gautier Théophile, lyrique,
Rabelais, et même Michelet.
3. Elle était là, la cathédrale.
Longtemps, sa façade grise
et lumineuse,
ses gargouilles dédaigneuses
ont dominé la cité,
jusqu’à ces tours arrogantes
qui lui firent, un jour,
concurrence,
sans qu’elle en prit ombrage,
sure de son héritage,
de sa hauteur de vue,
et de son ancrage.
Elle était de l’architecture ciselée
qui célébrait le ciel,
quand les édifices lisses du siècle
reflètent sans cesse,
l’art dérisoire et pressé
de se vouloir,
l’égal de Prométhée.
4. Et ce soir d’un avril de printemps,
ce brasier rouge dévorant,
la forêt en flammes,
la flèche qui s’effondre,
la sidération du passant.
Ce désastre qui fait outrage
à l’histoire ancestrale ;
qui ravage un trésor
de labeur, de patience,
d’offrandes et de souffrances ;
un chef d’oeuvre des hommes,
parti en quelques heures
en cendres et en fumées,
par un funeste échafaudage.
5. Qui saura encore ces bâtisseurs
de cathédrale,
ces tailleurs de pierre,
ces orfèvres, ces œuvriers,
ces charpentiers,
tous ces artisans
de l’art gothique triomphant ?
Qui, pour dire le rouge du vitrail,
liant le vert émeraude
et les saphirs,
au safran flamboyant ?
Qui, pour rendre hommage
à cet obscur moyen âge,
oublié de la modernité ?
Dans sa quête insolente
d’asservir la durée,
le temps actuel ignore
les rituels,
l’art de la matière,
et des mains la beauté,
confondant métier,
et travail non qualifié ?
Qui, pour dire ces signatures
anonymes et collectives,
loin du système starifiant
de fumeuses compositions ?
6. Elle était là, la cathédrale,
elle était là, dite à l’imparfait.
Ils vont reconstruire, disent-ils :
assez de vaine rêverie
et d’épopées théâtrales,
assez de roman national.
Que vive l’espérance !
Mais auront-ils la patience,
quand des jeux d’argent
pressent l’emploi du temps ?
Quel crédit à qui néglige
le respect des bâtis anciens,
et supprime, dans les textes,
l’avis des architectes ?
Sauront-ils,
le temps d’un monument,
retrouver la geste,
respecter l’ œuvre,
entendre le silence
de l’esprit qui l’anime,
comme les musiques
et l’ivresse des claviers
du grand orgue au couchant ?
Et non attacher leur nom
à vite rebâtir, avec adresse,
une plus haute flèche.
Renée Chapuis-Nenny, adhérente de Sites & Monuments
Avril 2019