Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) : démolition de la maison natale de l’écrivain Saint-John Perse (ISMH)

Dessin de l’architecte Bernard Autin, 1991
Façade sur la rue Achille-René Boisneuf, 2007

La maison natale de l’écrivain Alexis Léger, dit Saint-John Perse (1887-1975), bordait l’une des plus importantes voies de du plan en damier de Pointe-à-Pitre, mentionnées sur des plans du XVIIe siècle : l’ancienne rue d’Arbaud, actuelle rue Achille-René Boisneuf. On situe son édification avant 1863, année de sa première vente.

La maison s’élevait sur une parcelle en lanière aérée, à l’emplacement d’un ancien bâtiment détruit par le séisme et l’incendie de 1843. Elle présentait l’originalité d’avoir été le lieu de naissance, le 31 mai 1887, de l’écrivain Alexis Léger dit Saint-John Perse qui y a passé les douze premières années de sa vie. La maison avait été réhabilitée après l’incendie de 1871.

La bâtisse était l’archétype de l’architecture domestique pointoise du dernier tiers du XIXe siècle. Elle s’élevait selon la disposition suivante : un rez-de-chaussée en maçonnerie de moellons de pierres calcaires surmonté de deux étages en ossature et bardage de bois, et d’un comble couvert d’une toiture à deux pans, couverte de tôles ondulées. L’ensemble bâti comprenait également une arrière-cour cernée de dépendances.

La façade principale sur rue, était percée au rez-de-chaussée de trois imposantes ouvertures en plein cintre, dont l’une ouvrait sur un couloir latéral de distribution. Afin de limiter les risques de propagation en cas d’incendie, l’ossature en bois était enchâssée entre deux pignons en maçonnerie de moellons calcaires.

Situation de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Source : DAC Guadeloupe
Situation de la maison natale de Saint-John Perse à Pointe-à-Pitre. Source : www.geoportail.gouv.fr

Au cours des années 1940-1950, d’importants travaux ont été entrepris, afin de diviser cette demeure familiale en appartements à louer. A cette époque, le comble a été surélevé en attique pour le rendre habitable. Très endommagé par le passage du cyclone Hugo en 1989, l’immeuble qui menaçait ruine, a été réparé dans les années 1990.

Une association pour la sauvegarde de la maison natale de Saint-John Perse, présidée par une descendante de l’écrivain a été créée en 1993 afin de racheter l’immeuble alors en péril et le restaurer. Le rachat avait été rendu possible grâce à une souscription publique et à des fonds européens qui avaient permis d’effectuer des relevés architecturaux. En août 1995 la façade et la toiture sur rue sont inscrites au titre des monuments historiques (voir base Mérimée).

Au cours des années 2000, la bâtisse change successivement de propriétaire. Elle devient le bien de la Ville de Pointe-à-Pitre puis celui de la Communauté d’Agglomération Cap Excellence. En 2010, une sécurisation et une campagne d’étaiements cofinancés par l’Etat avaient permis la sauvegarde provisoire de l’édifice.

Il convenait d’attribuer une fonction à ce bâtiment, et d’y mener un projet de restauration, afin que cette maison, ayant abrité l’enfance du célèbre poète et représentant un exemple caractéristique de la typologie constructive de la fin du XIXe siècle, ne disparaisse pas, d’une façon ou d’une autre…

Façade sur la rue Achille-René Boisneuf, après la mise en sécurité réalisée en 2010
Travaux préparatoires à la démolition, 23 septembre 2017

Au-delà de l’atteinte à la mémoire collective, cette affaire juridique relève de l’arbitrage de deux textes. L’article L. 621-27 du code du patrimoine dispose tout d’abord que :

"L’inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l’autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu’ils se proposent de réaliser.

Lorsque les constructions ou les travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à permis de démolir, à permis d’aménager ou à déclaration préalable, la décision accordant le permis ou la décision de non-opposition ne peut intervenir sans l’accord de l’autorité administrative chargée des monuments historiques. [...]

Les autres travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques ne peuvent être entrepris sans la déclaration prévue au premier alinéa. L’autorité administrative ne peut s’opposer à ces travaux qu’en engageant la procédure de classement au titre des monuments historiques prévue par le présent titre.  »

Images de la démolition, 23 septembre 2017
Images de la démolition, 23 septembre 2017

En cas de péril, fait non-avéré, en l’absence d’une expertise compétente documentée et de l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France, l’article R. 511-2 du code de la construction et de l’habitation prévoit que :

"

Avant d’ordonner la réparation ou la démolition d’un immeuble menaçant ruine en application de l’article L. 511-2le maire sollicite l’avis de l’architecte des Bâtiments de France dans le cas où cet immeuble est inscrit au titre des monuments historiques en application de l’article L. 621-25 du code du patrimoine. »

Plusieurs semaines après cette démolition de monument historique opérée dans un contexte juridique mal défini, plusieurs questions subsistent :

  comment au sein d’une "Ville labellisée d’Art et d’Histoire" depuis 2003 et qui conserve 17 monuments historiques, 16 désormais, l’édilité a-t-elle pu ignorer les lois relatives à la conservation des monuments historiques ?

  quel est, aujourd’hui, l’avis des services de l’Etat chargés des monuments historiques et de la Préfecture de la Guadeloupe, restés silencieux, qui examinent la légalité des actes depuis le 25 septembre ?

 les deux murs mitoyens en moellons de pierres calcaires restés en place de la maison détruite n’ont pas été étayés, dans l’attente d’une éventuelle reconstruction.

Images de la démolition, 23 septembre 2017
La démolition achevée, 23 septembre 2017

Le déchargement de ces murs, demeurés sans confortement provisoire (batteries de contrefiches), pourrait cette fois, représenter un réel péril pour les immeubles adjacents et leurs occupants. Qui s’en préoccupe ?

Nathalie Ruffin, architecte du patrimoine

Camille de Mouzon, architecte du patrimoine, déléguée de Sites & Monuments pour les Antilles

Pour signer la pétition