Pontivy : le patrimoine peine à trouver sa place dans le PLUi

Sites & Monuments et les Amis du patrimoine de Bieuzy (APB) lancent un recours contre le PLUi de Pontivy Communauté pour insuffisance de protection du patrimoine

Siège de Pontivy Communauté dans la partie historique de l’ancien hôpital (Photo Sites & Monuments, septembre 2021)
Pontivy Communauté - Zone concernée par le Plan Local d’Urbanisme intercommunal

Selon l’article L 151-19 du code de l’urbanisme, « Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation leur conservation ou leur restauration. Lorsqu’il s’agit d’espaces boisés, il est fait application du régime d’exception prévu à l’article L. 421-4 pour les coupes et abattages d’arbres ».

On note bien que rien ne l’impose. Néanmoins, selon l’article L. 151-8 du code de l’urbanisme : « Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols permettant d’atteindre les objectifs mentionnés aux articles L. 101-1 à L. 101-3 »

Ainsi, le PADD (projet d’aménagement et de développement durables) du PLUi de Pontivy Communauté fixe comme objectif d’« assurer la protection du patrimoine tout en permettant sa réhabilitation : patrimoine historique (exemple : patrimoine Napoléonien à Pontivy), religieux, civil, rural (exemple : bâti agricole traditionnel), industriel, archéologique, vernaculaire,… »

Dès lors, l’article L 151-19 du code de l’urbanisme doit s’appliquer.

Or, l’inventaire du patrimoine de ce PLUi est resté manifestement insuffisant. Nous n’avons cessé de le dire. Pourtant, nous savons bien, depuis la démolition sauvage de la mairie de Pluméliau, que la seule protection opposable en dehors du classement au titre des Monuments historiques, est le document d’urbanisme : PLU et aujourd’hui PLUi.

Le Canal et le Blavet : « épine dorsale » du territoire
Parmi les « paysages emblématiques forts », le PADD retient la vallée du Blavet, le canal de Nantes à Brest et la rigole d’Hilvern, définis comme « épine dorsale » du territoire. Alors, qu’en est-il de leur inventaire ?

La ville de Pontivy bénéficie heureusement d’un Site Patrimonial Remarquable (SRP), ex ZPPAUP et AVAP et le patrimoine fluvial y a trouvé sa place. Mais il n’en va pas de même dans les 24 autres communes.

Péniche Duchesse Anne, office de tourisme de Pontivy (photo Sites & Monuments, septembre 2021)

Si le PADD retient la mise en valeur des maisons éclusières en l’illustrant par une photographie d’écluses et une autre de maisons éclusière, dans la plupart des communes, celles-ci ne figurent pas sur les plans des prescriptions (pièce 4.1.b) du PLUi qui rendraient leur protection opposable.

Page 7 du PADD

Ainsi à Gueltas, les vingt-trois écluses, les sept maisons éclusières et autre patrimoine fluvial (bornes, ponts etc.) n’ont pas été inventoriés. Seuls deux fours à pain figurent à l’inventaire.

Il n’était pourtant pas difficile de donner à ce patrimoine une protection. En effet, l’inventaire culturel du patrimoine réalisé par la Région le décrit déjà et de manière illustrée et très précise.

Chaîne d’écluses de Gueltas
Ecluses de Gueltas (photo Sites & Monuments - septembre 2021)

Il en est de même à Neulliac (seize écluses), à Saint-Gérand (neuf écluses), à Bréhan, (six écluses), à Pleugriffet (deux écluses) et à Saint-Thuriau (écluse du Roch sur le Blavet).

La rigole d’Hilvern a également été retenue par le PADD. C’est un canal de dérivation qui conduisait l’eau captée en amont sur l’Oust au barrage de Bosméléac (22) vers le canal au lieudit Hilvern. Elle traverse les communes de Saint-Gérand, Saint-Gonnery, Gueltas et Croixanvec.
« Issue d’une idée régionaliste vieille de 1746 et rendu possible en 1824 par Napoléon, le Canal de Nantes à Brest fait aujourd’hui partie intégrante du paysage breton. Son bief d’alimentation, la Rigole d’Hilvern est un ouvrage important pour la navigation complète de Nantes à Brest mais perd son utilité dès la fin de la grande guerre et le développement des réseaux routier et ferrés. Après un siècle d’abandon, la rigole est aujourd’hui un poumon touristique pour le Centre-Bretagne et un élément du patrimoine naturel et architectural témoin d’une époque révolue. » Simon Cojean, Diplôme d’Etude Celtique, Rennes 2.
Si elle est aujourd’hui à sec, elle n’en reste pas moins un cheminement exceptionnel, une voie verte bordée d’arbres dont beaucoup sont centenaires.

Rigole d’Hilvern à Ravaguen, Saint-Gonnery (Photo Sites & Monuments, septembre 2021)

A Saint-Gonnery, sur le plan des prescriptions, les arbres protégés le long de la rigole font bien apparaître son tracé mais on regrette que les éléments de cet ouvrage fluvial franchi par vingt ponceaux ne soit pas inventoriés plus précisément.

Ponceau à Ravaguen, Saint-Gonnery (Photo Sites & Monuments, septembre 2021)

De même à Croixanvec où l’ouvrage est franchi par six ponceaux.
La tranchée d’Hilvern, bief de partage situé à Saint-Gonnery, est un ouvrage d’exception qui devait figurer dans l’inventaire, en raison de la nature des travaux et de l’histoire de sa construction par des bagnards.

Pays d’Art et d’Histoire : le pays des Rohan
Les 25 communes de la communauté de communes sont toutes concernées par le label « Pays d’Art et d’Histoire, Pays des Rohan » selon le Communiqué de presse du ministère de la culture le 18 décembre 2019.

« Le label Pays d’art et d’histoire est attribué au « Pays des Rohan », territoire assis sur un périmètre historique correspondant à l’ancienne terre de pouvoir de la famille de Rohan pendant 700 ans d’histoire. Le Conseil national salue le long processus de fédération entre les communes autour du projet de label, dans lequel il voit la garantie d’un projet durable, de même qu’il reconnaît la richesse du projet culturel, construit à partir d’une diversité patrimoniale et de la prise en compte de l’art contemporain. L’attention portée à l’architecture du XXe siècle viendra renforcer la cohérence de ce projet tourné vers l’avenir. »

On aurait pu croire que le PADD qui retenait cet objectif, aurait imposé de croiser les données de ce dossier avec celui du PLUi, afin d’apporter au patrimoine du pays des Rohan une protection opposable. Il n’en est rien.

Ainsi, neuf églises non protégées par les monuments historiques et non incluses dans un périmètre de protection d’un autre monument, manquent dans l’inventaire du PLUi : à Bréhan, Gueltas, Kerfourn, Le Sourn, Pleugriffet, Saint-Aignan, Saint-Connec, Sainte-Brigitte et Séglien.

Au nord de la commune de Sainte-Brigitte, le site du château connu dès le XIIe siècle, berceau des Rohan, a laissé place aux ruines d’un manoir. Le PLUi l’a bien étoilé de rouge.
Mais on regrette que la charmante église de la commune entourée de ses ifs ait été oubliée. Elle abrite notamment une statue de Sainte Brigitte de Suède du 18ème siècle, inscrite aux Monuments historiques au titre d’objet le 17 mai 1978.

Eglise de Sainte-Brigitte et ses ifs.

De même, à Saint-Gérand, la chapelle de Saint-Dredeno qui accueille chaque été une exposition de "l’Art dans les chapelles" n’est pas inventoriée ; pas plus que sa fontaine, ni les écluses du Couedic toutes proches, ni le patrimoine ferroviaire (maison du garde-barrière).

Chapelle Saint-Dredeno à Saint Gérand.
Ecluses du Couedic à Saint-Gérand

L’ensemble du site est pourtant très attrayant et favorable à un développement touristique. C’est donc le quartier qui aurait dû être délimité en application de l’article L151-19

Maison éclusière du Couedic, Saint-Gérand (Photo Sites & Monuments, 31 août 2021)
Maison du garde-barrière, Saint Dredeno, Saint Gérand (Photo Sites & Monuments, 31 août 2021)

Des outils insuffisants pour l’application de l’article L.151-19
La légende des plans de prescriptions se réfère à l’article L.151-19 du CU que pour des « éléments du paysage (boisement) et pour des « haies, talus ». Elle ne propose aucune légende pour « identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis … monuments…à protéger ».
En symbolisant par une étoile rouge les « éléments de patrimoine (four à pain, calvaire, lavoir…) ou de paysage (arbre remarquable) à protéger » elle ne nous invite à inventorier que le patrimoine vernaculaire. D’ailleurs les cartes en seconde partie du document 5-17_PC_Inventaire du patrimoine bâti protégé ont pour titre « petit patrimoine identifié et protégé sur la commue ».

Légende des cartes 4.1.b PRESCRIPTIONS

L’aberration de la protection du patrimoine de ce PLUi se trouve ainsi en partie expliquée.

A GUERN, par exemple, au nord-ouest de la commune, le village de Saint-Salomon est un hameau aux maisons anciennes regroupées autour d’une chapelle. A 150 mètres se trouve la fontaine. On observe que le plan de prescriptions du PLUi fait apparaitre une protection pour la fontaine, mais pas pour la chapelle que l’on voit ci-dessous sur la carte Geoportail.

Alors que l’inventaire des bâtiments susceptibles de changer de destination multipliait les triangles jaunes sur les cartes des prescriptions, les manoirs et maisons remarquables ne trouvaient pas de protections appropriées.

PRESCRIPTION manoir de Belle-Chère
Le manoir de Belle-Chère. Google Map

Ainsi, à Noyal-Pontivy, à Belle-Chère, on repère un triangle pour un bâti agricole susceptible de changer de destination, mais rien pour le manoir d’à côté que l’association des Amis du Patrimoine de Bieuzy (APB) demandait de protéger.

Manoir de Belle-Chère à Noyal-Pontivy

Dans le livre de Charles Floquet « Noyal-Pontivy au cours des siècles », on apprend que « d’après Ogée et du Halgouët, terres nobles et manoir de Belle-Chère appartiennent en 1440 au vicomte Alain IX de Rohan ».

La famille Allanic qui porte « d’argent à la poule de sinople, accompagné en chef de deux œufs de pourpre » en devint propriétaire en 1711.
« L’ancien manoir, plusieurs fois reconstruit, a laissé la place à une longère à étage avec escalier à vis en bois placé dans une tourelle appuyée au dos de l’édifice »

On aurait aimé, pour le patrimoine, la même qualité d’étude que pour l’inventaire des bâtiments susceptibles de changer de destination développé en 378 pages pour satisfaire de très nombreuses demandes de particuliers.

1.4.PC_ANNEXES_RAPPORT_DE_PRESENTATION_APPRO

Aussi avons-nous souhaité donner une seconde chance à ce PLUi pour une meilleure protection du patrimoine.

Le 19 juillet 2021, Sites & Monuments et l’association des Amis du patrimoine de Bieuzy (APB) ont déposé un recours auprès du Tribunal administratif de Rennes contre la délibération du 18 mai 2021 par laquelle le conseil communautaire de Pontivy Communauté a approuvé le PLUi (Voir ici).

Anne-Marie Robic, déléguée de Sites & Monuments pour le Morbihan et présidente de l’association des Amis du patrimoine de Bieuzy (APB)

Lire dans Le Télégramme et le Journal de Pontivy du 16 septembre 2021