Les grandes demeures françaises sont réputées pour la beauté de leurs jardins et le raffinement de leurs intérieurs. Leur mobilier constitue le prolongement de leur architecture, union des arts que nous souhaitons contribuer à protéger.
Le château de La Roche-Guyon, qui avait conservé l’intégralité de ses collections de l’Ancien Régime, tout en bénéficiant d’une situation exceptionnelle sur les bords de Seine, était l’archétype de ces demeures. Une vente mit malheureusement fin, en 1987, à l’harmonie qui y régnait.
Le paradoxe tient à ce que, si ces ensembles incarnent un « art de vivre à la française », célébré dans le monde entier, ils ne sont aujourd’hui pas protégés, faute d’instrument législatif adéquat mis à la disposition des propriétaires.
Pourtant, un pays comme l’Angleterre a su, avec ses grands domaines confiés au National Trust, se constituer un atout touristique et écologique majeur (modèle de protection adapté à la culture du bénévolat anglais, qui pourrait être cependant imité par l’extension des compétences du Conservatoire du littoral).
Il est ainsi légal, en France, de séparer des œuvres classées, y compris immeubles par destination (boiseries), des lieux qui les ont vus naître, mais aussi de diviser des séries d’objets classés (morcellement d’une suite de tapisserie, de sièges, d’une galerie de portraits…), comme de lotir un parc protégé.
Le démeublement d’une demeure justifie d’ailleurs souvent le démembrement des ensembles naturels qui lui sont associés. A quoi bon, en effet, conserver l’environnement d’un lieu qui, privé de ses ornements essentiels, n’est plus apte à séduire des acheteurs capables de l’entretenir ?
Une loi du 5 janvier 1988 tenta de remédier à cette lacune législative par un mécanisme d’incitation fiscale, mais celui-ci ne fait malheureusement que différer les démembrements. La perte des collections du château de Thoiry, puis l’affaire des châteaux japonais (châteaux de Rosny, Sourches, Millemont, Louveciennes…) dans les années 1990, dont les collections, la statuaire des jardins, mais aussi les arbres centenaires des parcs furent vendus, acheva de démontrer l’insuffisance de cette mesure.
Des propositions de loi se sont alors succédées, en 1996, 2001 (votée à l’unanimité par l’Assemblée) et 2011, sans jamais que leurs discussions n’aboutissent, faute de volonté politique. Dans le même temps, les démembrements se poursuivirent : château de Voré, atelier d’André Breton à Paris, château de Vaux-le-Vicomte, collection Rochambeau, collection Francheschini-Pietri en Corse et, aujourd’hui, les collections des châteaux de Breteuil et de Dampierre…
La « grande loi patrimoine » annoncée pour l’année 2015 – si toutefois elle voit le jour – entend remédier à cette situation. Certains meubles pourraient être attachés à un immeuble avec le consentement de leur propriétaire, tandis que les ensembles mobiliers seraient protégés, y compris par un classement d’office indemnisé.
Ces mesures indispensables, fondées sur le consentement des propriétaires, devront impérativement être complétées - afin qu’elles ne restent pas lettre morte - par un régime fiscal incitatif adaptant aux monuments historiques la fiscalité des musées en matière de donation, de dation et de mécénat. En s’agit, en effet, de considérer le consentement à un classement comme un "don de servitude", comme un moyen de paiement de l’impôt ou, pour les entreprises finançant l’indemnisation, comme un mécénat.
L’octroi à certains ensembles d’une personnalité morale régie par un statut (définissant notamment des périodes d’ouverture au public) pourrait en outre être envisagé, à condition d’être compensé par des exonérations fiscales. Ces biens, inaliénables indépendamment du tout, seraient composés d’œuvres et d’immeubles concourant à l’équilibre esthétique et économique du monument (parc, terres, bois, communs aménagées en gîtes…). Cette personnalisation des monuments - les distinguant de leur propriétaire - favoriserait leur remeublement (dons de particuliers et dépôts de l’Etat), tout en facilitant leur transmission.
Enfin, une institution pourrait être dédiée à l’achat et au dépôt de mobilier dans les monuments historiques ouverts à la visite.
La conservation ou la renaissance de ces grands domaines, rendus accessibles au public, doit aujourd’hui donner l’exemple, celui de la reconquête du Beau en France. La SPPEF - trait d’union entre le patrimoine naturel et culturel - entend être force de proposition dans ce domaine.
Lire dans La Tribune de l’Art :
Le démantèlement des grandes demeures françaises : de La Roche-Guyon à Dampierre (1987-2013)
Lire dans Sites & Monuments n°221 - 2014 :
Patrimoine contextuel et ensembles mobiliers : enfin une loi ?